Mémoire d’État, mémoires du peuple
Suzanne Citron, qui s’est éteinte ce lundi 22 janvier à 96 ans, n’avait cessé de se mettre à distance critique de l’histoire officielle.
dans l’hebdo N° 1487 Acheter ce numéro
Le 12 mars 1956, le président du Conseil, Guy Mollet, est investi des pouvoirs spéciaux par 455 voix contre 76. L’État choisit alors la guerre, et l’armée, la torture. Cette fois pas d’argutie possible : c’est bien « la République qui torture au nom de la France une et indivisible » [1]. À cette sentence, l’historienne Suzanne Citron ajoutait : « Mon image de la République, préservée par la Résistance, s’effondre. » Cette grande dame s’est éteinte ce lundi 22 janvier à 96 ans.
Le matin même, le député LREM Cédric Villani demandait qu’Emmanuel Macron « reconnaisse et condamne officiellement l’attitude de l’armée française de l’époque » [2] et que la lumière puisse être faite sur la disparition de 3 024 personnes arrêtées par les paras entre janvier et septembre 1957. Et d’assurer, audacieux, que « l’État ne cherchera plus à imposer sa vision ».
Une phrase qui fait écho à l’œuvre de Suzanne Citron, qui n’avait cessé de se mettre à distance critique de l’histoire officielle, celle qui procéda longtemps par occultation des crimes d’État (ceux de la dé/colonisation, mais il en fut ainsi longtemps de la Shoah, de l’esclavage, etc.). Cette histoire, mise en scène politiquement depuis la IIIe République, ne savait qu’honorer le « culte des ancêtres et du passé héroïque », plongeant de fait toutes les autres mémoires à venir, notamment celle des victimes et de leurs descendants, pourtant parties prenantes de la société, dans un passé de second plan. Une « vicissitude », disait De Gaulle. Un détail.
Cette histoire a également exigé longtemps qu’on plie genou devant la Nation (« un plébiscite tous les jours », selon Ernest Renan) pour être bon Français. Qu’on s’oublie soi-même. Ainsi les mémoires – pourtant françaises, pleinement françaises – nées des immigrations postcoloniales furent-elles longtemps effacées du tableau. Cette tradition historiographique réactionnaire existe encore. Elle sert tous les propagandistes identitaires d’aujourd’hui qui exigent l’assimilation comme on exige une capitulation : sans condition. Ils s’appellent Valls. Elle s’appelait Suzanne Citron.
Osons une épitaphe : « Une France des diversités et des multiples racines est à inventer, morceau d’humanité, bribe d’Europe, présage d’avenir [3]_. »_
[2] L’Humanité, 22 janvier.
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