« The Donald » contre Trump

Pendant sa première année de mandat, le Président a au moins réussi un exploit : il a donné naissance à une nouvelle opposition et dopé l’action des mouvements citoyens.

Alexis Buisson  • 17 janvier 2018 abonné·es
« The Donald » contre Trump
© Andrew CABALLERO-REYNOLDS/AFP

À Washington, en prêtant serment lors de son entrée en fonction sur le parvis du Capitole, le 20 janvier 2016, Donald Trump était loin de se douter qu’un an plus tard il aurait à se défendre sur sa santé mentale, lors de l’examen médical officiel auquel se prêtent les chefs d’État. La raison : la parution du brûlot du journaliste Michael Wolff, Fire and Fury, qui décrit les coulisses du pouvoir sous Donald Trump. Un président méprisé par ses plus proches collaborateurs, incapable de se concentrer ou d’écouter son entourage ni de maîtriser les dossiers complexes : le tableau est édifiant.

Face aux spéculations sur l’aptitude de Donald Trump à exercer la plus haute fonction de l’État, la défense de l’intéressé n’a pas de quoi rassurer ses soutiens. Le 6 janvier, il s’est lancé, comme à son habitude, dans une série de tweets matinaux, rappelant qu’il était « très intelligent » et se décrivant comme un « génie stable », tout en accusant les médias de « refaire le coup de Ronald Reagan », dont la santé mentale avait fait l’objet d’interrogations. Quelques heures plus tard, devant la presse, il a déclaré qu’il avait fréquenté « les meilleures universités », laissant les observateurs pantois. « C’était un moment incroyable dans une présidence qui défie déjà tous les standards », a estimé le New York Times.

Un an de mesures et de déclarations controversées Donald Trump a donné le ton dès les premiers jours de sa présidence en signant un décret interdisant aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane et aux réfugiés d’entrer sur le territoire états-unien. Outre la remise en cause des régulations environnementales de Barack Obama, il s’est attaqué en vain à l’« Obamacare », la loi qui a donné une couverture médicale à des millions d’habitants. Il a aussi adopté une réforme fiscale qui, selon les économistes, favorise les plus riches ; remis en cause le dispositif Daca établi sous Obama, qui protégeait de l’expulsion des immigrés illégaux arrivés très jeunes aux États-Unis ; et fait pression sur le Congrès pour obtenir le financement de son mur le long de la frontière mexicaine. Mais, de toutes les actions et déclarations de Donald Trump, son soutien aux groupes suprémacistes blancs réunis à Charlottesville, en août 2017, restera pour beaucoup le moment le plus controversé de sa première année. À titre de protestation, plusieurs grands patrons ont quitté les groupes consultatifs mis en place par la Maison Blanche. De nombreux républicains l’ont également critiqué, mais sans le lâcher complètement.
C’est ce genre d’épisode qui rappelle que Donald Trump est son meilleur ennemi. Déjà notoirement impopulaire lorsqu’il a remplacé Barack Obama en 2016, il est le président le moins aimé de l’histoire des sondages, et ce au bout d’un an de mandat à peine, alors même que la Bourse et l’emploi sont au beau fixe. Selon les sondages, près de la moitié des États-uniens le suspectent d’avoir commis un « crime » dans l’affaire de la collusion avec la Russie et estiment que sa présidence sera probablement l’une des pires de -l’histoire. Ils s’inquiètent aussi de le voir déclarer une « guerre majeure » avant de quitter le pouvoir… Les mesures prises par Donald Trump ont suscité une levée de boucliers sans précédent au sein de plusieurs groupes minoritaires, comme les homosexuels, les musulmans et les immigrés, et chez les femmes (voir encadré). Certains républicains ont également partagé publiquement leurs doutes sur cette présidence rocambolesque. Le sénateur du Tennessee, Bob Corker, figure éminente de l’influente commission des Affaires étrangères, a déclaré en octobre que « The Donald » allait conduire le pays sur « la voie de la troisième guerre mondiale ».

En un an de présidence, pas un jour sans que le locataire de la Maison Blanche ne tende le bâton pour se faire battre. Lors des rares moments où il aurait pu rassembler, Trump a trouvé le moyen de distraire l’opinion publique par une gaffe ou une maladresse, ou de se faire de nouveaux ennemis. Comme à l’occasion des événements dramatiques de Charlottesville, en Virginie, où une personne a trouvé la mort après qu’une voiture a foncé dans une foule de manifestants venus protester, en août, contre un rassemblement de suprémacistes blancs. Loin de condamner fermement cet épisode, le chef de l’exécutif a regretté la « violence des deux côtés ». Ses tweets quasi quotidiens, souvent envoyés en réaction aux commentaires de la chaîne de télévision de droite Fox News, n’arrangent rien, surtout quand leur auteur se prononce de façon péremptoire sur des dossiers sensibles comme la Corée du Nord. Ses conversations improvisées avec les journalistes, qu’il adore détester, prennent de court des conseillers débordés et frustrés, lesquels font au mieux pour rattraper les « gaffes » de leur patron.

Donald Trump aura au moins réussi une chose : repolitiser le pays. Depuis son élection, 52 % des États-uniens déclarent faire « plus attention » à la politique qu’avant. Les femmes en particulier, à 58 %. Depuis le début de son mandat, les « anti-Trump » ne faiblissent pas. Bien au contraire. Pionnier de « la résistance », comme il se décrit, le groupe Indivisible, un mouvement lancé par un couple d’anciens salariés du Congrès, envisage de monter une association pour consolider son action militante. Il a publié un manuel afin de se mobiliser contre les mesures de l’administration, téléchargé des dizaines de milliers de fois dans les premiers mois de la présidence Trump.

Sur l’échiquier politique, le Président a donné involontairement du sang neuf aux mouvements de gauche. La principale organisation socialiste du pays, Democratic Socialists of America (DSA), a enregistré des milliers d’adhésions depuis janvier 2017. Mieux, elle a réussi à faire élire des candidats lors des élections locales de l’année dernière, en particulier dans des villes de banlieue contrôlées par les républicains. Les succès de DSA sont un petit miracle dans un pays où « socialisme » a longtemps été un gros mot.

Des individus et des groupes jusque-là peu mobilisés ont rejoint l’organisation, à commencer par les femmes. Dans le sillage de la Marche des femmes, un nombre record d’entre elles se sont présentées lors des élections locales de novembre 2017. Les scientifiques aussi s’interrogent. Inquiets de l’effet des déclarations de la présidence sur l’environnement, certains ont pris la décision, en août, de faire « fuiter » un rapport fédéral sur la responsabilité de l’homme dans le changement climatique, craignant que la Maison Blanche ne l’enterre. Ils ont été rejoints par des libraires, profession d’ordinaire peu politisée, qui ont décidé d’accélérer l’archivage et la numérisation de documents en lien avec l’environnement, afin de les préserver et de les partager avec le plus grand nombre.

Autre profession habituellement peu militante qui a décidé de s’impliquer : les psychologues. En octobre, un groupe de professionnels de la santé mentale, réunis sous la bannière « Duty to Warn » (« Devoir d’avertir »), a organisé une série de rencontres publiques à travers le pays pour alerter l’opinion sur le danger que représente l’instabilité potentielle de Donald Trump.

Mais l’opposition est également économique. Sous l’impulsion de leurs salariés et de leur clientèle, constitués de nombreux « millennials » (les 18-34 ans), un grand nombre d’entreprises de secteurs variés (technologies, transports, énergie, mode) ont dénoncé les prises de positions de Donald Trump sur l’Accord de Paris, ou encore sur les musulmans. Simple citoyenne, Shannon Coulter, de San Francisco, a créé Grab your Wallet (« Retiens ton portefeuille »), un site qui recense toutes les entreprises associées de près ou de loin à la famille Trump pour mieux les boycotter.

Début février 2017, Shannon Coulter a remporté une victoire importante en obtenant de Nordstrom Inc., un grand magasin de vêtements et d’accessoires, qu’il renonce à vendre les produits d’Ivanka Trump, la fille du Président. Comme nombre d’anti-Trump, c’est son premier engagement politique. « Pendant longtemps, j’étais concentrée sur ma carrière. Mon côté militant était endormi, raconte cette directrice d’une agence de publicité. Durant la campagne, j’ai ressenti le besoin de canaliser ma colère dans quelque chose de positif. Aujourd’hui, je veux m’impliquer durablement. »

C’est aussi l’avis de Michelle Finocchi, cofondatrice de Swing Left, un groupe qui cherche à envoyer des volontaires issus de circonscriptions démocrates dans les terres contrôlées par des républicains. C’est l’une des nombreuses initiatives de terrain qui ont vu le jour pour aider les candidats démocrates en vue des élections de mi-mandat de novembre prochain. À l’instar des autres fondateurs de Swing Left, elle précise : « Je n’avais aucune expérience politique ou militante. Je lisais les informations tous les jours, regardais les débats présidentiels, participais de temps à autre à une manifestation et parlais de politique avec mon entourage. Mais, avec le recul, c’est comme si j’étais sur le banc de touche. »

La force de cette opposition s’est mesurée lors de la vague de gauche qui s’est abattue lors des élections locales de novembre, qui ont vu la victoire d’une élue transgenre en Virginie – une première dans cet État – et celle d’un grand nombre de femmes et d’Afro-Américains dans les mairies et les conseils municipaux. En décembre, les démocrates ont remporté une élection sénatoriale partielle dans l’Alabama, notamment grâce à une forte mobilisation de la communauté afro-américaine. Inédit en vingt-cinq ans. Donald Trump avait soutenu mordicus le candidat républicain, malgré des accusations d’attouchements sexuels sur mineures.

Un récent sondage montre que l’opposition à Donald Trump est plus forte que ses soutiens : 15 % des États-uniens se considèrent comme des « supporters convaincus » du Président et déclarent qu’ils ne changeront pas d’avis quelles que soient ses actions, quand un tiers des sondés se décrit en « forte opposition ». Quoi qu’il en soit, le vrai test aura lieu lors des élections de mi-mandat, au terme desquelles les démocrates espèrent reprendre le contrôle du Sénat et de la Chambre des représentants. « Il y a une résistance considérable, juge Joseph Schwartz, professeur de sciences politiques à Temple University et membre de DSA. Cependant, jusqu’à présent, à part quelques propositions de Bernie Sanders, les opposants restent repliés en défense. On voit qu’il est difficile pour eux de mettre en avant de nouvelles idées et un programme positif.

Monde
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