« Trump crée du chaos »
Spécialiste des États-Unis, Marie-Cécile Naves tire le bilan d’un an d’une politique internationale souvent erratique et dangereuse.
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Auteure de Trump, la revanche de l’homme blanc, paru le 17 janvier chez Textuel, Marie-Cécile Naves analyse ici les principales décisions prises par Donald Trump depuis son accession à la Maison Blanche, en janvier 2017, et souligne la fragilité du soutien républicain au fantasque président.
On a le sentiment que Donald Trump n’a pas de politique étrangère et qu’il n’est déterminé dans les dossiers internationaux que par le souci de flatter le noyau dur de son électorat. Est-ce votre avis ?
Marie-Cécile Naves : Le déplacement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem était en effet clairement un message destiné à satisfaire son électorat évangéliste blanc, qui a voté pour lui à 80 % et dont il va avoir besoin pour une éventuelle nouvelle candidature, et avant cela pour les élections de mi-mandat de novembre. Mais il ne s’agit pas seulement de flatter son électorat. Plus globalement, Trump est obsédé par sa volonté de faire le contraire de Barack Obama. Celui-ci était décrit comme un homme de compromis, un « président qui s’excuse », « faible » par rapport à l’islamisme et à l’islam, toujours amalgamés à dessein. Trump, au contraire, veut apparaître comme quelqu’un qui n’a pas peur de l’adversité. Il est dans une posture « viriliste ». On a l’impression qu’il veut avoir sa guerre. C’est un jeu dangereux, même s’il ne va pas jusqu’au bout. On voit ça particulièrement dans sa confrontation avec Kim Jong-un. N’oublions pas qu’il est en train d’augmenter le budget militaire de plus de 10 %, ce qui correspond à la totalité du budget russe et flatte le lobby militaro-industriel.
Il y a aussi une stratégie de court terme – et là je me réfère à ce que dit Naomi Klein [^1] –, qui vise à faire prospérer la « marque » Trump à l’étranger ainsi que les entreprises d’Ivanka, sa fille, et de Jared Kushner, son gendre. Il y a un très gros soupçon de conflit d’intérêts, par exemple dans le rapport à l’Arabie saoudite. C’était peut-être aussi le cas avec la Russie, mais ça ne se passe pas très bien…
Justement, que s’est-il passé avec la Russie ?
L’ombre de l’enquête sur l’intrusion de la Russie dans la campagne est de plus en plus problématique. Là aussi, à l’origine, il y avait la volonté de prendre le contre-pied d’Obama, qui entretenait des relations très fraîches avec Poutine. Mais Poutine a probablement compris que Trump n’était pas un interlocuteur à sa hauteur.
Existe-t-il au sein de l’exécutif ou du camp républicain des contre-pouvoirs susceptibles de tempérer le Président ?
Si les contre-pouvoirs ne se manifestent pas, c’est principalement pour deux raisons. D’abord, parce que le Parti républicain est fondamentalement divisé – et ça ne date pas de Trump, mais du Tea Party et d’anciens désaccords sur la politique étrangère entre les néoconservateurs, très interventionnistes, et les isolationnistes. Ensuite, le camp des républicains avait besoin de Trump pour imposer la grande réforme fiscale. Ils auraient bien voulu aussi remplacer l’Obama-care, mais ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord. La question est de savoir si, maintenant que la réforme fiscale a été votée, les Républicains vont continuer à soutenir Trump. Est-ce que les divergences de politique étrangère ne vont pas réapparaître au grand jour ?
Quoi qu’il en soit, de toute façon, ce n’est pas « Trump versus les Républicains », parce que ceux-ci seraient divisés même sans Trump. C’est le cas notamment sur l’Iran. Ils étaient opposés à l’accord lorsqu’Obama l’a signé, mais ils sont plus partagés aujourd’hui. En refusant de certifier l’accord sur le nucléaire iranien, mais sans imposer de nouvelles sanctions, Trump fait montre d’une stratégie dilatoire et prouve qu’il n’a pas de plan B, isolant un peu plus son pays.
Mais les républicains ne vont-ils pas se retourner contre lui du fait qu’il affaiblit la position des États-Unis dans leur capacité de médiation ? Je pense au conflit israélo-palestinien, mais aussi au tollé suscité par ses propos sur les pays africains.
L’absence réelle de stratégie inquiète dans son propre camp. En qualifiant de « pays de merde » plusieurs États d’Afrique, Haïti et le Salvador, dans le cadre de discussions sur l’immigration, Trump a contrarié les républicains et provoqué la colère des pays en question. La dégradation de l’image des États-Unis dans le monde chagrine vraiment le parti.
Certains prétendent que Trump pratique la « stratégie du fou », qui consiste à faire accroire qu’il est capable de tout…
Il est vrai que c’est un personnage ultra–narcissique, égocentrique, qui ne supporte pas la critique. Il pense qu’on peut gérer les affaires internationales comme on gère une entreprise – et encore, selon une méthode radicale, peu embarrassée par les lois et encore moins par l’éthique. Il est sans doute impulsif, mais il rencontre un storytelling qui plaît à une Amérique identitaire et racialiste, qui pourrait, comme au début des années 1950, imposer ses vues à une partie de la planète et être le super-gendarme du monde. Il veut en tout cas donner cette impression.
Dans l’affaire de Jérusalem « capitale d’Israël », il avait donné l’impression de renoncer, avant finalement de mettre sa menace à exécution. Pourquoi cette apparente hésitation ?
Il est possible que son impopularité croissante l’ait convaincu qu’il fallait réagir en faveur du cœur de son électorat, en l’occurrence les évangélistes millénaristes. Mais il y a tout de même une cohérence entre le transfert de l’ambassade à Jérusalem, le rapprochement avec l’Arabie saoudite et la critique de l’accord sur le nucléaire iranien.
Michael Wolff, auteur de Fire and Fury [^1], affirme que Trump ne voulait pas être élu, mais juste donner un coup de pied dans la fourmilière. Est-ce votre avis ?
Je pense qu’il voulait tout de même gagner, parce que c’est pour lui une règle de vie. Mais il ne voulait pas gouverner. Gouverner, c’est l’ennui et c’est compliqué. Il faut se plonger dans les dossiers. Et ce n’est pas son truc.
Pensez-vous que Trump soit vraiment dangereux pour la paix du monde ?
Oui. Il crée du chaos. Il échauffe les esprits en attisant les rivalités. Il entretient des sentiments racistes et islamophobes. Et il dédouane des dirigeants qui se sentent autorisés à défier les règles. Ce qui peut entraîner l’accélération des migrations de réfugiés. On se demande d’ailleurs si apparaître comme dangereux pour la paix du monde n’est pas son but. C’est un homme d’affrontement. Il vit une aventure personnelle. L’intérêt général n’est jamais son problème.
[^1] Dire non ne suffit plus (Actes Sud, 2017).
[^2] La version française de Fire and Fury sera disponible le 22 février chez Robert Laffont.