Venezuela : Un fragile espoir

Dans un pays en plein marasme économique, social et politique, Nicolás Maduro négocie avec l’opposition un compromis pour la tenue d’une présidentielle apaisée en 2018.

Patrick Piro  • 17 janvier 2018 abonné·es
Venezuela : Un fragile espoir
© photo : La crise du pétrole a durement affecté la population, qui manque de tout.Alvaro Fuente /AFP

Toujours pas de fumée blanche à Saint-Domingue. La capitale de la République dominicaine accueillait en fin de semaine dernière une troisième session de négociations entre le gouvernement vénézuélien de Nicolás Maduro et son opposition. Et, comme lors des deux premières rencontres, en septembre et en décembre, toujours pas d’accord signé. Cependant, les deux parties se sont entendues pour reprendre rapidement leurs échanges, dès le 18 janvier, laissant penser, par des déclarations convenues mais modérément optimistes, qu’un compromis reste possible. L’objectif principal, et non directement affiché, reste la date et l’organisation de la prochaine élection présidentielle, qui doit se tenir cette année.

L’opposition entend recevoir des garanties crédibles sur la transparence du scrutin ainsi que la libre capacité d’y présenter ses candidats. À Saint-Domingue, la délégation gouvernementale attend d’elle qu’elle reconnaisse la légitimité de cette assemblée et qu’elle facilite la levée des sanctions financières imposées par les États-Unis. L’opposition, pour sa part, demande la création d’un « canal humanitaire » qui permettrait l’acheminement d’aliments et de médicaments qui font gravement défaut à une population exténuée par la plus grave crise économique de son histoire récente, mais dont le gouvernement redouterait qu’il facilite l’infiltration de forces hostiles. L’opposition réclame aussi le rétablissement des pouvoirs du Parlement – où elle est largement majoritaire –, qui ont été confisqués par la Cour suprême, ainsi qu’une réforme du Conseil national électoral et la libération de 200 à 300 prisonniers qu’elle considère incarcérés pour des raisons politiques.

Saint-Domingue, une « farce » ? Antonio Ledezma, ancien maire de la capitale, Caracas, récemment enfui en Espagne, le clame haut et fort, tout comme la frange la plus radicalisée de l’opposition, qui ne voit dans ces sessions « de dialogue » qu’une manière pour Maduro de gagner du temps.

Néanmoins, les observateurs conviennent que les deux parties ont des motivations crédibles pour rechercher un accord. « L’opposition n’a plus tellement d’autre choix, constate Christophe Ventura, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Elle ne donne plus le la _; la stratégie de tensions tous azimuts et de violence politique qu’elle a menée jusqu’à l’été dernier a échoué. »_

Escalade politique

La crise a démarré dès le lendemain de l’accession au pouvoir du socialiste « chaviste » Maduro, qui a succédé à son mentor, Hugo Chávez, en 2013. Une élection de justesse, contestée par son adversaire, Henrique Capriles (Primero Justicia, droite). Sur fond de crise économique consécutive à la chute des prix du pétrole, principale ressource du pays, la Mesa de la unidad democrática (MUD), coalition hétéroclite de plusieurs mouvements d’opposition, remporte près des deux tiers des sièges de l’Assemblée nationale en décembre 2015, une cuisante défaite pour les chavistes. S’est ensuivie une escalade politique dramatique, alimentée par le projet de l’opposition de démettre Maduro, et la volonté farouche de ce dernier de se maintenir, par des moyens de plus en plus autoritaires et contestables. Un « coup d’État judiciaire », dénonce l’opposition, tant la Cour suprême (TSJ), acquise aux chavistes, a servi les intérêts du gouvernement. Elle a invalidé, entre autres, la demande de référendum révocatoire entreprise par l’opposition, ainsi que les actions du Parlement. Au printemps dernier, elle tente de s’arroger les prérogatives législatives, déclenchant pendant de longues semaines des manifestations violentes dans tout le pays, qui se solderont par la mort de quelque 130 personnes en quatre mois.

« On a vu à l’occasion s’opérer dans la rue une jonction entre l’opposition politique et une population excédée par la politique d’austérité menée par le gouvernement », relève Fabrice Andréani, doctorant en science politique à l’université Lyon-II et analyste de la situation vénézuélienne depuis dix ans. Plusieurs chavistes historiques se sont également désolidarisés ouvertement des dérives d’un gouvernement de plus en plus assiégé.

Pleins pouvoirs

Alors que le pays semblait prêt à tomber dans un chaos incontrôlable d’un jour à l’autre, emportant Maduro dans la tourmente, le Président a sorti l’une de ses dernières cartes politiques de sa manche en déclenchant, en mai 2017, un processus de réforme constitutionnel passant par l’élection d’une Assemblée nationale constituante (ANC). L’opposition, qui réclamait un référendum pour valider le processus, organise alors de son propre chef une consultation qui aurait réuni 7,5 millions de votes « contre » [1]. En vain. Elle se résout finalement à boycotter l’élection des 545 représentants, le 30 juillet 2017. Résultat : tous sont membres du Gran Polo patriótico Simon Bolivar (GPP), qui réunit les forces politiques acquises aux chavistes (Maduro en est le président). Une assemblée monochrome qui dispose des pleins pouvoirs, au-dessus de toutes les institutions du pays. L’une de ses premières décisions, début août : la destitution de la procureure générale de la République, Luisa Ortega, nommée en son temps par Hugo Chávez. Elle dénonçait, avec plusieurs anciens ministres chavistes, une dérive dangereuse pour la démocratie, ainsi que le recours à des tribunaux militaires pour juger des manifestants civils.

« L’histoire semble cependant avoir donné raison à Maduro, constate Fabrice Andréani. Par la “magie” de l’ANC, la contestation politique disparaît ! » Cette reprise de contrôle équilibriste a été confortée les 15 octobre et 10 décembre derniers, à l’occasion des élections régionales puis municipales. Une partie de l’opposition les a boudées, dénonçant par ailleurs des fraudes. Le GPP a enregistré pour l’occasion une triple victoire : il obtient 18 gouverneurs sur 23 (en léger recul), et contrôle 306 des 335 municipalités du pays. Il assiste également à l’éclatement d’une opposition déjà bien peu homogène, « et dont une partie des appuis est désillusionnée, constate Christophe Ventura. L’Action démocratique, entre autres, parti moins boutefeu que Voluntad popular et Primero Justicia notamment, s’est désolidarisée de la MUD pour participer aux élections, considérant que la stratégie insurrectionnelle et de désobéissance civile avait desservi l’opposition. » Julio Borges, membre de Primero Justicia, et qui a assuré la présidence (tournante) de l’Assemblée nationale en 2017, appelait début janvier l’armée à « sortir de son silence » (voir encadré) : une invitation au putsch qui n’a pas contribué à détendre l’atmosphère à Saint-Domingue. Mais pas plus que la décision de l’Assemblée nationale constituante de disqualifier de la compétition présidentielle les partis qui ont appelé en décembre dernier au boycott des élections municipales.

Le poids du pétrole

Le gouvernement a cependant intérêt, lui aussi, à trouver un terrain d’entente minimal avec ses opposants. « Toute ébauche de solution politique est bonne à prendre, alors qu’il n’existait aucun espace de régulation du conflit », estime Christophe Ventura. Et puis la population a besoin d’un minimum d’espoir tant les pénuries et le chaos économique risquent de provoquer une explosion sociale imminente. Car l’équipe Maduro, si elle a retrouvé des marges de manœuvre et un climat politique un peu apaisé, est bien loin d’être tirée d’affaire pour autant.

La mécanique qui pèse sur le pays est simple et radicale : en 2014, 94 % des recettes d’exportation du pays étaient constituées par les ventes de pétrole, dont le pays est considéré aujourd’hui comme le plus important détenteur de réserves au monde. Or, le cours de l’or noir chute de moitié cette année-là. Les conséquences : baisse de la production pétrolière, chute du PIB et des importations de biens (y compris l’essentiel, que le pays a pris l’habitude de faire venir de l’étranger), fonte des réserves de change, menaces de défaillance dans le remboursement des dettes de l’État et de la compagnie pétrolière nationale PDVSA. Le pays vit en régime d’hyper-inflation, avec des taux oscillant entre 1 000 % et 2 600 % selon les sources, record mondial pour l’année 2017. « À la crise sociale s’ajoute une crise sanitaire, souligne une source proche du dossier qui souhaite conserver l’anonymat. L’an dernier, plus de 3 000 médecins ont fui le pays… On est au bord du précipice. »

Victoire à la pyrrhus ?

Par ailleurs, la MUD garde un dernier atout politique en main : il faudra au gouvernement l’aval de l’Assemblée nationale, où elle conserve la majorité, pour renégocier la dette nationale. Les États-Unis, notamment, bloquent toute opération de refinancement de la dette du Venezuela, tout nouveau prêt et tout nouveau contrat avec PDVSA. Actuellement, le pays ne peut guère compter que sur quelques facilités financières accordées par la Russie et, avec plus de réticences, par la Chine.

L’Union européenne, si elle n’est pas en première ligne, a engagé en novembre dernier des sanctions contre le gouvernement Maduro, ce qui n’avait jamais été le cas auparavant envers un pays d’Amérique latine. Il s’agit pour le moment d’interdire l’exportation d’armes vers le Venezuela, afin d’éviter qu’elles ne se soient utilisées contre le peuple, selon l’explication officielle. Des gels d’avoirs et des interdictions de visas pourront être appliqués à des personnes « impliquées dans le non-respect des principes démocratiques ou de l’État de droit et les violations des droits de l’homme ».

La voie est donc étroite. « Et rien ne garantit que la négociation de Saint-Domingue, si elle est fructueuse, permettra de desserrer l’étau financier sur le pays », souligne Fabrice Andréani. Ainsi, Donald Trump pourrait ne pas se satisfaire d’un compromis entre l’opposition modérée et le gouvernement. « Sanctionner Maduro lui sert à satisfaire une partie de son électorat, estime Christophe Ventura. Or, des réponses que le gouvernement sera en mesure d’apporter à la crise économique dépendra largement la solution politique qui émergera demain. Et il n’a pas d’autre levier à court terme que les revenus du pétrole pour espérer une embellie… »

Ne resterait à Maduro qu’une victoire à la Pyrrhus. Candidat à sa succession, il a la possibilité d’avancer au prochain printemps la date de la présidentielle, théoriquement prévue à l’automne, afin d’exploiter sa reprise en main politique. « Il est convaincu de pouvoir remporter la présidentielle tant l’opposition est divisée », analyse la source anonyme citée plus haut. Un sondage commandé par l’opposition place Maduro en tête, aux environs de 30 %, quand aucun de ses adversaires ne dépasse 15 %. « Il existe sociologiquement un noyau dur chaviste qui ne veut pas voir revenir au pouvoir une droite revancharde qui a entraîné une partie de la population dans l’aventure violente de ces derniers mois », analyse Christophe Ventura.

[1] Le corps électoral vénézuélien compte près de 20 millions de personnes.

Monde
Temps de lecture : 10 minutes

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