« BettieBook », de Frédéric Ciriez : Critiques et toc
Dans BettieBook, Frédéric Ciriez parodie le monde de la critique littéraire.
dans l’hebdo N° 1491 Acheter ce numéro
D’un côté, Stéphane Sorge, critique de bonne notoriété, contributeur au Monde des livres, mais aussi au magazine Books, détenteur d’une chronique dans une émission de Paris Première, et pigiste multicartes, parfois sous pseudonymes pour les publications alimentaires. De l’autre, Bettie Leroy dite BettieBook, jeune booktubeuse, spécialisée dans les dystopies littéraires adaptées à l’écran, dont elle fait le pitch avec enthousiasme dans des chroniques vidéo qu’elle poste sur Internet.
Autrement dit, l’ancien monde, prestigieux mais en perte de vitesse, face au nouveau, décomplexé, arriviste, en quête de reconnaissance. On pourrait croire que Frédéric Ciriez, dans son quatrième roman, s’empare du sujet de la critique littéraire et le traite sous la forme d’une fiction. Il a choisi le mode de la parodie pour mettre au jour ce qui pèche. Encore faut-il, pour que la moulinette soit pertinente, éviter d’amplifier les idées reçues. Deux exemples, à propos de Stéphane Sorge. D’une part, les extraits cités de ses articles du Monde des livres relèvent de la pédanterie universitaire : comme si, dans la réalité, la critique littéraire dans les journaux souffrait d’être absconse. D’autre part, en raison d’un concours de circonstances, Sorge écrit un article sur le dernier roman d’un écrivain américain formaliste sans l’avoir lu : on ne peut avoir recours à un plus gros poncif. Sur la critique littéraire – objet qui le concerne directement –, Frédéric Ciriez ne prend finalement pas tellement de risque. Il reste dans les limites admises de ce qui peut se dire sur ce sujet.
S’il rate donc en partie sa cible sur le fond, BettieBook n’en reste pas moins d’une lecture plaisante. D’abord parce que la confrontation entre l’ancien et le nouveau monde amène Frédéric Ciriez à jouer de l’opposition de vocables et de registres lexicaux. « Il y a la P.A.L. : la pile à lire, il y a le swap : on se fait des cadeaux entre booktubeuses, il y a la wish list, mais ça tu connais, c’est classique, la liste des envies de lecture, il y a aussi le book haul, le butin de livres – les trouvailles à droite à gauche, quoi… » Surtout, le roman est composé de telle sorte que le point de vue ne cesse de changer, pour devenir de plus en plus impersonnel, à travers des documents juridiques, journalistiques ou administratifs. Dès lors, ce n’est plus la critique littéraire qui est radiographiée, mais notre époque et un certain nombre de ses travers. Louons l’auteur d’avoir trouvé cette forme pour donner au comique de son récit toute sa dimension.
BettieBook, Frédéric Ciriez, Verticales, 191 p., 18,50 euros.