Divide et impera
Macron a jugé qu’il convenait de précipiter les cheminots vers les mêmes anxiétés que celles dont souffrent des agriculteurs.
dans l’hebdo N° 1492 Acheter ce numéro
Aujourd’hui, je vais te parler de la France insoum… Naaaaan, je rigole, détends-toi : je vais te parler d’Emmanuel Macron, chef de l’État français (CDL’ÉF). Et plus précisément de cette sienne déclaration, faite il y a quelques jours (et juste avant que son Premier ministre n’annonce qu’il avait « choisi de s’attaquer de front au statut des cheminots ») au Salon de l’agriculture [1] : « Je ne peux pas d’un côté avoir des agriculteurs qui n’ont pas de retraite et de l’autre avoir un statut cheminot et ne pas le changer. »
Il y aurait, sur ces quelques mots, des tas de choses à dire – mais je crains, comme toi, que l’espace congru de ces deux feuillets (dont je quémande lamentablement le doublement depuis l’aube des temps) n’y suffise pas.
Par conséquent, nous allons directement aller au plus évident, qui est que, petit un : Emmanuel Macron aurait bien évidemment pu dire exactement le contraire de ce qu’il a déclaré là, et considérer plutôt qu’il ne pouvait – en conscience – plus tolérer que des agriculteurs n’aient pas de retraite quand les cheminots bénéficient, eux – parce qu’ils l’ont toujours défendu de haute lutte –, d’un statut qui leur garantit des conditions de travail et de vie à peu près décentes. En d’autres termes : Emmanuel Macron aurait pu faire le choix d’œuvrer au mieux-être des agriculteurs dont il a entendu la détresse [2], en leur octroyant des sécurités sociales inspirées de celles dont bénéficient les agents de la SNCF, et qui devraient bien sûr être la norme.
Mais c’eût été coûteux : il aurait fallu investir là (une fraction) des mannes budgétaires que l’exécutif macroniste préfère, comme on sait – et comme avant lui les « socialistes » –, distribuer aux nanti(e)s.
Par conséquent, le CDL’ÉF a jugé qu’il convenait plutôt – puisque c’est bien évidemment de cela qu’il s’agit au bout du compte – de précipiter ces agents vers les mêmes anxiétés que celles dont souffrent des agriculteurs [3]. En d’autres termes : il a préféré niveler par le bas ce qu’il aurait pu niveler par le haut.
Petit deux : en suggérant que c’est aussi parce que des agriculteurs n’ont pas de retraite qu’il choisit de défaire les protections qui jusqu’à présent garantissaient les pensions des cheminots – et non parce qu’un tel choix lui permet de complaire à ses riches clientèles –, et en prenant donc l’initiative, éminemment dégueulasse, de susciter des rancœurs chez les uns et les autres, Emmanuel Macron use d’un procédé éprouvé : pour mieux régner, il divise (et dresse les unes contre les autres des victimes de sa présidence). À cela, et puisque nous en sommes à ces formules, il est une réponse, qui est que l’union fait la force : on espère donc que, quand les cheminots bloqueront le pays, les agriculteurs les rejoindront sur les piquets de grève.
[1] D’où, soit dit en passant, des militant(e)s véganes ont été viré(e)s avec une ahurissante brutalité.
[2] Et sur qui il y aurait aussi, et par ailleurs, beaucoup à dire – et à redire, le cas échéant.
[3] D’autres, comme ceux qui exploitent – c’est le mot – la flippantissime ferme des mille vaches, vont, pour ce qu’on en sait, plutôt bien, merci pour eux.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.