Droit d’asile : La faute morale de Macron
Les politiques d’asile et d’immigration mises en œuvre par le gouvernement rompent avec la tradition de l’asile et font grincer des dents jusque dans la majorité.
dans l’hebdo N° 1491 Acheter ce numéro
Le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » a fuité dans la presse avant d’arriver en conseil des ministres le 21 février. L’orientation était connue : des procédures plus expéditives, une répression accrue. Depuis plusieurs mois déjà, Gérard Collomb maintient cette ligne avec l’aval d’Emmanuel Macron, au risque d’une double conséquence : une rupture avec la tradition de l’asile en France et une fracturation de la majorité. En effet, tous les membres de La République en marche (LREM) ne se reconnaissent pas dans les politiques de dissuasion et de répression que le gouvernement met en œuvre. S’ils hésitent encore à parler de trahison des principes pour lesquels ils se sont engagés, certains « marcheurs » tiennent à se démarquer de la ligne Collomb, comme la députée Sonia Krimi (voir entretien). Mais, même s’ils parviennent à faire passer des amendements adoucissant certaines mesures, l’esprit de cette loi restera le marqueur de la première grande faute morale de ce gouvernement et de cette présidence dans le domaine sociétal. Le « Président des riches » pouvait prétendre conserver un certain crédit sur les sujets de société, ce qui lui était utile pour amadouer ceux qui, dans son mouvement, se réclament encore de la gauche. C’est tout cela qui est en train de se déchirer.
Mais que dit ce projet de loi qui doit réformer le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) ? Il prévoit notamment un allongement de la période maximale de rétention de 45 à 90 jours, et renouvelable jusqu’à 135 jours. Pour le dépôt de la demande d’asile, le texte instaure une véritable course contre la montre : les demandeurs avaient jusqu’à 120 jours pour constituer leur dossier, cette période est réduite à 90 jours. Alors qu’il faut au moins 30 jours ouvrés pour obtenir un rendez-vous en préfecture. En cas de refus par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), le demandeur n’aura plus que 15 jours, contre un mois auparavant, pour déposer un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Pour les demandes d’asile, c’est mission impossible ; pour les déboutés, mission répression. Le 13 février, les trois syndicats de la CNDA ont voté une grève reconductible jusqu’au 21 février inclus. Les personnels de cette cour, 434 agents, fustigent la diminution du délai pour déposer une demande d’asile, la réduction du délai pour un recours, l’absence de caractère suspensif de la plupart des recours, la multiplication des décisions rendues par ordonnance et le recours à la visio-conférence pour certaines audiences. Hormis l’accès à des titres pluriannuels et une extension de la réunification familiale pour les frères et sœurs des réfugiés mineurs, la nouvelle loi vise surtout à restreindre l’asile et à décourager l’immigration.
« Gérard Collomb est sur une ligne plus dure que Nicolas Sarkozy », tranche Serge Slama, professeur de droit public à l’université de Grenoble-Alpes. Le ministre de l’Intérieur se dit « obligé » de « trier » migrants et réfugiés. Il souhaite que l’ensemble de la procédure d’asile tienne dans un délai de six mois. Il entend aussi pouvoir renvoyer les déboutés avant qu’ils ne fassent leur vie en France. Le 15 février, c’est à l’Ofpra qu’un préavis de grève a été déposé. Les agents de l’office réclament « l’abandon pur et simple de toutes les mesures de la réforme », qui, selon eux, « marque une rupture sans équivoque avec la tradition française de l’asile ».
Deux autres textes, sur le même ton, gravitent dans le périmètre de la prochaine loi : tout d’abord, une loi quasi annexe sur le placement en rétention des « dublinés » (ceux qui tombent sous le coup du règlement de Dublin, selon lequel ils doivent déposer leur demande d’asile dans le pays de leur entrée dans l’Union) et qui a été votée en accéléré le 15 février. Plusieurs députées LREM ont grincé des dents en découvrant la mouture du Sénat. Sonia Krimi s’est abstenue. Marie Guévenoux a jugé le texte « imparfait » et certaines mesures « discutables ». Émilie Chalas a confié avoir « des doutes » et même « un cas de conscience ». Mais le texte est passé. Puis une circulaire datée du 12 décembre autorisant les forces de l’ordre à pénétrer dans les lieux d’hébergement d’urgence pour procéder à des contrôles d’identité. Le Défenseur des droits a demandé au gouvernement de la retirer et 28 associations ont saisi le Conseil d’État. L’audience qui a eu lieu le 16 février a mis en évidence une remise en cause par l’État du principe d’accueil inconditionnel défini par le Code de l’action sociale et des familles. Transmission de données personnelles et violation de domicile, c’est bien la légalité de la circulaire qui est attaquée.
En pratique, les plateformes d’accueil sont débordées. Un demandeur d’asile peut mettre quatre mois à Paris pour voir sa demande enregistrée. Pendant ce temps, il ne peut ni bénéficier d’un hébergement en centre d’accueil pour demandeurs d’asile ni de l’allocation pour demandeurs, dont le montant reste très inférieur au RSA. Plutôt que d’améliorer l’accueil en préfecture et de multiplier les places en centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada), le gouvernement a opté pour un durcissement de toutes les procédures. Quant au sort des mineurs non accompagnés, pointé comme une urgence par les associations de défense des migrants, le projet de loi n’en fait pas mention.