Israël s’invite dans le chaos syrien
Dans le conflit syrien, Israël ne perd donc pas de vue l’essentiel : la liquidation de la question palestinienne. On ne connaît pas encore les moyens, mais on n’en exclut aucun.
dans l’hebdo N° 1490 Acheter ce numéro
Voilà qu’un nouveau front menace de s’ouvrir en Syrie. Et pas le moindre. Ce n’est certes pas la première fois qu’Israël profite du chaos syrien pour attaquer des cibles iraniennes ou celles du Hezbollah, mais il s’est produit samedi 10 février un événement considérable aux effets d’ailleurs plus psychologiques que militaires. Un appareil abattu par la défense anti-aérienne de Damas, ça ne s’était pas vu depuis 1982. Cela ne change évidemment pas les rapports de force dans la région. Mais pour un pays qui se pique d’invulnérabilité autant que d’impunité, c’est aussitôt un traumatisme national.
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Au-delà, le gouvernement de droite israélien ne perd pas une occasion d’aggraver les tensions avec l’Iran. Une guerre n’est pas pour demain, mais ça n’interdit pas d’y penser très fort, et d’en créer dès aujourd’hui les conditions psychologiques. À terme, rien n’est à exclure. D’autant que cette perspective compte un adepte furieux à la Maison Blanche… Et d’autres du côté de Riyad. Seul un conflit d’envergure pourrait permettre à Israël de « solder » la question palestinienne, qui est la seule obsession des dirigeants de l’État hébreu. En attendant, Benyamin Netanyahou parle ouvertement d’annexer les colonies juives en Cisjordanie, et sa ministre de la Justice, Ayelet Shaked, annonce sans fard que son pays ferait « tout pour garder la majorité juive » en cas d’annexion de la Cisjordanie, « même aux dépens des droits de l’homme »… Dans le conflit syrien, Israël ne perd donc pas de vue l’essentiel : la liquidation de la question palestinienne. On ne connaît pas encore les moyens, mais on n’en exclut aucun.
Ce nouveau front, pour l’instant virtuel, ne doit pas faire oublier les autres. Depuis deux semaines, la Turquie, avec la complicité passive de la Russie, tente de liquider les milices kurdes, au nord-ouest de la Syrie. Quant au régime de Damas, il attaque ce qui reste d’opposition. Il s’est heurté, dans la vallée de l’Euphrate, à une riposte américaine, qui lui a coûté une centaine d’hommes. Les États-Unis protégeant les milices arabes et kurdes qui ont combattu Daech, et qui, accessoirement, leur permettent de s’implanter durablement dans cette région. Mais, ailleurs, dans la banlieue de Damas, comme dans la zone d’Idlib, à l’ouest du pays, l’aviation de Bachar peut agir à sa guise. Et on sait ce que cela signifie de férocité et de barbarie contre des populations assiégées et dépourvues de toute défense. On sait, mais on fait comme si on ne savait pas… Cinq ans après le massacre au gaz sarin qui avait fait mille neuf cent morts, en août 2013, la France en est toujours à entretenir le doute. « Nous avons des indications possibles, mais pas de confirmations absolues », a déclaré la ministre de la Défense, Florence Parly, au comble de l’embarras, au lendemain d’un nouveau bombardement au chlore sur la population de La Ghouta. Dominique de Villepin, hélas, mêle sa voix à cette désinformation. Il faut, dit-il, attendre les résultats de l’enquête. Une enquête d’autant plus improbable que la Russie a obtenu en novembre dernier la dissolution de la mission d’experts de l’ONU qui en avait la charge. On en vient à regretter l’excellent Claude Cheysson [^1] qui, en d’autres circonstances, préférait avouer l’impuissance de notre pays plutôt que de nier la réalité du problème.
Ainsi va la Syrie, où les conflits se croisent et s’entrecroisent. Chacun règle les comptes qui lui importent en ne se souciant pas trop de ce qui se passe à côté. La France, c’est Daech. Et tout ce qui nous « divertit » (le mot, terrible, est encore de notre ministre de la Défense) est nuisible. Ne nous laissons divertir ni par les gazés de La Ghouta, ni par le sort des Kurdes ou celui des Palestiniens.
[^1] Claude Cheysson, ministre des Relations extérieures de François Mitterrand, avait eu le courage de lancer un « évidemment nous ne ferons rien » au lendemain d’un coup d’État militaire en Pologne, en 1981. À l’époque, la presse s’était déchaînée contre lui.
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