« Les fonctionnaires sont considérés comme une variable d’ajustement »
La CGT, premier syndicat dans la fonction publique, dénonce une vision dogmatique qui nie l’échec des mesures mises en place depuis Nicolas Sarkozy.
dans l’hebdo N° 1489 Acheter ce numéro
Les organisations syndicales dans leur ensemble ont exprimé leur consternation après les annonces du gouvernement sur la fonction publique. Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’UGFF (Union générale des fédérations de fonctionnaires)-CGT, entend intensifier le rapport de force, en marge de la concertation qui débute.
Comment recevez-vous les annonces gouvernementales à destination de la fonction publique ?
Jean-Marc Canon : Elles sont inacceptables. Nous n’avons pas été consultés au préalable, et elles nous paraissent empreintes d’une logique purement libérale qui a démontré son inefficacité. La fonction publique regorge déjà d’agents non titulaires (près de 20 %) et en voit passer chaque année 1,2 million avec des contrats courts, sur un total de 5,4 millions. Tous les syndicats sont déjà vent debout contre cette précarisation, car nous constatons que cela n’améliore en rien l’efficience du service public. La vision que défend le gouvernement est dogmatique et consiste à marteler que les fonctionnaires sont une variable d’ajustement macroéconomique, qui permet de faire des économies. Mais elle ne s’attaque qu’aux dépenses socialement utiles, au lieu de réduire les aides au patronat, par exemple. C’est un choix de société.
Selon les termes du gouvernement, ces mesures s’apparentent à une « loi travail » pour la fonction publique. Quelle est votre réaction ?
Le gouvernement considère qu’il y a trop d’instances représentatives du personnel et qu’elles sont un frein à la modernisation de l’action publique. Il faudrait donc les fusionner, comme dans le privé depuis les ordonnances sur le travail. Or, le dialogue social n’est pas un coût, c’est un investissement. Et nous devons lui donner les outils pour fonctionner. Le gouvernement considère les organisations syndicales comme des empêcheurs de tourner en rond. Mais celles-ci ont avancé des solutions, souvent de manière unanime, qui n’ont jamais été reprises. Le dialogue social suppose de faire un pas vers l’autre pour trouver un compromis honorable. Ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui.
Êtes-vous favorables à l’aménagement d’une porte de sortie sous forme de « plan de départs volontaires » ? Et quel est le résultat des mesures mises en place depuis 2008 ?
Les chiffres montrent que le « pécule pour partir » instauré par Nicolas Sarkozy a rencontré un écho très marginal. Il a concerné surtout une poignée de cadres dirigeants qui avaient la garantie de retrouver un travail ailleurs. C’est la preuve qu’il n’y a pas de volonté des agents de quitter la fonction publique.
Et le « plan de départs volontaires » imaginé par le gouvernement concernera des agents qui « souhaiteraient partir [en] conséquence de la réforme de l’État ». Nous ne sommes donc pas dans le cas où quelques individus quitteraient la fonction publique pour réaliser un projet personnel. Il s’agit de dire aux agents dont le service sera supprimé qu’ils ont le choix entre une mutation – souvent loin de chez eux – et ce plan. Autant dire qu’ils n’auront pas réellement le choix.
Quel bilan faites-vous des premières dispositions de salaire « au mérite », qui existent, elles aussi, depuis Nicolas Sarkozy ?
La « prime en fonction du résultat », mise en place il y a une dizaine d’années et remplacée récemment par un dispositif similaire nommé « Rifseep », n’a aucune retombée positive, ni pour les agents ni pour le service public. Nous pensons qu’il faut évaluer la manière dont l’agent rend le service public et en tenir compte pour l’accélération de sa carrière. Mais cela ne doit pas se faire par des primes, qui sont aléatoires, subjectives et sujettes au clientélisme. Elles créent de plus une injustice profonde entre les services qui ont les moyens de déployer des primes et ceux qui ne peuvent pas le faire parce qu’ils n’ont plus un centime dans leurs caisses. Au bout du compte, les agents qui travaillent dans les endroits où il y a plus de primes ne partiront jamais. C’est un frein absolu à la mobilité.
Comment abordez-vous l’année de concertation qui va s’ouvrir ?
Nous devons élever le rapport de force. Le gel des salaires, le rétablissement d’un jour de carence pour les arrêts-maladies, les suppressions d’emplois, le recours accru aux non-titulaires… Cela fait beaucoup trop. Nous n’allons pas entrer dans une concertation dont le seul but sera de ripoliner une façade de dialogue social pour accompagner des mesures que nous contestons.
C’est un sujet de crispation avec la CFDT, qui semble partager votre constat de fond, mais critique votre détermination à instaurer un rapport de force…
Nous avons des stratégies différentes. Avec Solidaires et FO, nous avons par exemple choisi de ne pas nous rendre aux discussions sur le plan « action publique 2022 », car les choses sont trop corsetées pour que nous puissions nous faire entendre. D’autres organisations syndicales, comme la CFDT et la FSU, ont fait le choix d’y aller pour faire entendre leur voix. Mais, sur le fond, l’écrasante majorité des organisations syndicales sont opposées à ce qui vient d’être annoncé.
Quelles sont vos contre-propositions ?
Sur la question des effectifs, nous demandons un vrai débat, sans tabou ni a priori, avec des représentants des citoyens, sur ce que doit être un service public. Est-ce que nos concitoyens considèrent qu’il y a trop d’agents dans les hôpitaux publics, dans les Ehpad, dans la justice, la police ou dans les missions de contrôle, au regard de l’affaire Lactalis, par exemple ?
D’autre part, nous considérons que le statut est avant tout une garantie pour les citoyens de disposer d’agents publics neutres et impartiaux. Un précaire ne peut pas refuser un ordre manifestement illégal ou dénoncer des malversations. Les moyens de pression sur lui sont tels qu’il ne le fera jamais.
Nous avons besoin de revoir les carrières, d’ouvrir une réflexion sur le pouvoir d’achat des fonctionnaires et de créer un « sas citoyen » à l’entrée de la fonction publique, afin d’ouvrir les catégories les plus basses aux jeunes sans diplômes. Nous avons remis toutes ces propositions au gouvernement, mais nous n’avons pu avancer sur aucune.
Jean-Marc Canon Secrétaire général de l’UGFF-CGT.