Les silences de madame Nyssen

Le Recueil des commémorations constituait un ahurissant exercice d’atténuation de l’abjection de Charles Maurras.

Sébastien Fontenelle  • 7 février 2018 abonnés
Les silences de madame Nyssen
© photo : Eric FEFERBERG / AFP

Françoise Nyssen, ministre de la Culture d’Emmanuel Macron, peut certaines fois se montrer prolixe. Tout récemment, par exemple, elle a fait un tweet pour narrer qu’« en offrant une place à des artistes en exil dans les vitrines » de son ministère elle ne faisait « rien de plus que tirer le fil d’une longue tradition ». Puis d’ajouter : « La #Culture en France ne connaît pas de frontières. »

Mais quand, par exemple, Human Rights Watch constate – très pudiquement – dans un communiqué que « certains aspects de l’approche » d’Emmanuel Macron « en matière de migration posent question » et que « le président français devrait prendre des mesures pour garantir que les politiques migratoires de son administration respectent les principes des droits humains dont il s’est maintes fois revendiqué », Françoise Nyssen se tient coite.

Un peu comme si elle ne voulait pas se confronter au fait qu’en même temps qu’elle lui confectionne si gentiment des « vitrines » où les « frontières » n’existent pas, le gouvernement qui l’emploie, et dans lequel elle semble être tout à fait à son aise, perpétue, en fait de « longue tradition », celle, spécialement dégueulasse, qui consiste à traquer les migrant.e.s.

De même, Françoise Nyssen est volubile lorsqu’elle explique, dans le cours d’un entretien accordé au Journal du dimanche, qu’elle a « demandé que la notice Maurras soit retirée du “Recueil des commémorations nationales” publié par les Archives de France ». Car, « en introduction de ce livre, il était question de “célébrer au nom de la nation” certaines dates anniversaires. » Or, « connaître Maurras, ce n’est pas le célébrer. »

Mais elle ne dit rien des raisons qui lui ont d’abord fait rédiger pour ledit recueil une préface à tout le moins dithyrambique, qui se terminait par ces mots : « À vous qui aimez l’histoire de France, à vous qui aimez la voir reprendre vie, je conseille chaleureusement la lecture du Livre des commémorations nationales de 2018. II vous apportera, j’en suis sûre, un grand plaisir et de belles émotions ! »

Et cette ellipse est embêtante, car, outre qu’elle planifiait donc, selon les propres mots de la ministre, de les « célébrer au nom de la nation», la somme, rédigée selon elle par des « spécialistes enthousiastes », que Françoise Nyssen a ainsi préfacée avec tant de fougue constituait de fait un – pernicieux mais – ahurissant exercice d’atténuation de l’abjection de Charles Maurras, théoricien de l’antisémitisme d’État, et de celle de Jacques Chardonne [1], dont les notices avaient été soigneusement expurgées de toute référence explicite à leurs élans racistes.

De sorte qu’en fait d’« émotions » sa lecture aurait surtout dû soulever le cœur de la préfacière.

[1] Qui écrivait en 1943 que « le national-socialisme » avait « créé un monde neuf autour de la personne humaine »

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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