« L’Insoumis », de Gilles Perret : Mélenchon sans filtre
Gilles Perret livre un portait intimiste du chef de file de la France insoumise après l’avoir suivi durant trois mois de sa campagne.
dans l’hebdo N° 1491 Acheter ce numéro
Jusqu’ici, Gilles Perret n’avait abordé la vie politique que de loin. Ses documentaires, centrés sur des problématiques économiques et sociales, pouvaient soulever des questions politiques, interroger des politiques, mais sans jamais passer au-delà du miroir que ces derniers renvoient. Pendant les trois derniers mois de la campagne présidentielle, le réalisateur de La Sociale et des Jours heureux a obtenu l’autorisation de suivre de près Jean-Luc Mélenchon, rencontré à l’occasion de ses deux documentaires et avec lequel il avait noué une relation de confiance.
De cette « immersion totale et sans filtre », il a tiré un film qui présente le chef de file de la France insoumise sous un jour méconnu. On y suit Jean-Luc Mélenchon dans ses loges, dans les trains où les contrôleurs lui réclament des selfies, les bistrots, les couloirs de TF1, en réunion avec son équipe rapprochée, à l’écoute d’un entrepreneur maritime brestois ou, plus inattendu, en touriste à Rome à l’occasion d’une réunion du « Plan B ». Il en ressort un portrait intimiste d’un Mélenchon apaisé, serein, et affectif, assez éloigné de l’image qu’en véhiculent couramment les médias : excité, en perpétuelle recherche du buzz et agressif.
On y voit ainsi le candidat expliquer à sa conseillère en communication que « l’hologramme, c’est sympa, mais c’est une campagne présidentielle, ce n’est pas un jeu ». Confier au réalisateur ce que représente pour lui son engagement politique pour lequel il « crame toute [sa] vie ». On le découvre très prof quand, à Rome, au beau milieu d’une visite des vestiges antiques, il oppose à l’« histoire des personnages », que déroule une guide touristique, une lecture politique de l’assassinat de César par Brutus ; avant d’enchaîner sur le conflit entre la plèbe et les patriciens, et la montée sur l’Aventin du peuple en – 494, qu’il présente comme « la première grève politique de l’histoire ».
Par tous ces côtés, L’Insoumis offre une approche différente de la chronique de campagne sur 52 minutes que le réalisateur haut-savoyard avait livrée cet été à Public Sénat. Le documentaire qui sort cette semaine dans une quarantaine de salles n’est pas seulement plus long. Il ne reprend pas toutes les séquences de la version télé et, tout en continuant à coller à la chronologie de la campagne, la caméra s’attache plus aux coulisses qu’aux meetings, fugacement convoqués à l’écran pour évoquer le temps qui file et susciter un certain suspense, même si la fin est connue. Le réalisateur privilégie des scènes inédites où le candidat et son équipe réagissent à des moments clés de la campagne. Les très nombreux militants qui ont grandement contribué au succès de la France insoumise et à son caractère original en sont absents. Hors cadre également le programme défendu par le candidat.
Le documentaire de Gilles Perret ne prétend ni à l’exhaustivité ni à la perfection esthétique. Pour être au plus près du candidat et capter des moments de vérité, le réalisateur a travaillé seul, sans preneur de son ni cadreur. Le film, sans artifice d’aucune sorte – commentaire, musique, image d’archives –, n’en donne pas moins à voir un pan de l’envers du décor de la présidentielle 2017, livrant des contrechamps à une histoire archi-médiatisée.
Est-ce parce que le film revient sur cette séquence de notre histoire politique dont les cicatrices sont encore vives ? Ou cela tient-il à son personnage central ? Gilles Perret s’est heurté au refus de plusieurs directeurs de salle Arts et Essai de diffuser son documentaire. Avec souvent de curieux arguments : « Ce documentaire rejoue la campagne, et on n’a pas à rejouer la campagne en salle », a ainsi déclaré au Monde Nathanaël Karmitz, directeur général de MK2. Parfois même sans l’avoir vu. C’est le cas du gérant du cinéma Les Variétés, à Marseille, Jean Mizrahi. Ce dernier a décidé, à une semaine d’une avant-première en prélude à l’exploitation commerciale programmée à partir du 21 février, de tout annuler, dénonçant un film de « propagande ». Avant d’écrire, après visionnage, sur sa page Facebook : « Ce n’est pas l’équipe [du cinéma] qui décide, c’est moi. Comme Mélenchon, je rêve d’être dictateur. »
Pour contrer cette « censure », qu’il juge « injuste », et dont il avait eu vent dès l’automne, Gilles Perret a multiplié les avant-premières dans toute la France – une cinquantaine rassemblant 6 000 spectateurs. Autant pour parier sur le bouche-à-oreille que pour susciter des discussions, un objectif que le réalisateur assigne à son film. Car au-delà de la personnalité du personnage central, le documentaire interpelle sur le rôle des grands médias dans une campagne électorale, accusés de n’être pas intéressés – est-ce vraiment exagéré ? – à « faire vivre le débat ». Il suscite aussi bien des questions sur les jeux de la politique et la fabrication du pouvoir. Faut-il pour espérer l’emporter que le candidat de la 6e République décide seul entouré d’une toute petite équipe, l’œil rivé sur les sondages ? Des controverses essentielles.
L’Insoumis, Gilles Perret, 1 h 35