« Mamma Teresa », perpétuelle indignée
Nice, ville berceau de la droite dure, recèle aussi des trésors de solidarité. Teresa Maffeis tisse l’entraide de part et d’autre de la frontière italienne.
dans l’hebdo N° 1489 Acheter ce numéro
Derrière ses paillettes et ses cortèges d’étoiles, Nice est aussi une ville-barrière. De celles où les caméras de vidéosurveillance et les arrêtés « anti-bivouac » traquent les voyageurs aux poches vides. Mais un petit réseau de militants farouches fait vivre un trésor de solidarité. Au milieu duquel brille Teresa Maffeis.
La lumière agace cette militante infatigable. Comme si elle craignait de faire de l’ombre aux migrants, à leur souffrance et aux dizaines de personnes « totalement anonymes » qui les accueillent au quotidien. Mais son énergie sans limites en a fait un personnage clé du réseau. Teresa Maffeis centralise jour et nuit les appels à l’aide, répond aux demandes de conseil, oriente les journalistes et collecte des dons qu’elle distribue deux fois par semaine aux migrants coincés du côté italien. Où elle a hérité du surnom de « mamma Teresa »… « Parce que je suis vieille », balaye-t-elle d’un éclat de rire.
Cette fille d’immigrés italiens de Ponte San Pietro (Lombardie) a grandi à Orléans. Un peu française, un peu « ritale ». « Le racisme ne m’a pas traumatisée, même si on en a un peu souffert », raconte-t-elle de sa voix rauque. Ses parents n’étaient pas des « rouges ». Ils ont pourtant élevé une combattante d’un acabit rare. Infatigable, joyeuse et sans aigreur. Malgré l’immensité de la tâche au pays d’Éric Ciotti et de Christian Estrosi.
Tout commence à la fac de Nanterre en mai 1968. Teresa a 17 ans. Elle participe à toutes les manifestations, même si elle ne « comprend pas tout » : « On s’est battues pour que les mecs entrent dans nos piaules ! » Elle s’installe à Nice à la suite d’une mutation, quelques mois après son embauche dans un grand groupe de prévoyance, en 1975. Aujourd’hui retraitée, elle démultiplie ses forces. En lien étroit avec l’important réseau militant italien, qui fait face depuis 2015 à une explosion des besoins.
« Je me retrouve à faire de l’humanitaire alors que je n’en avais jamais fait auparavant », observe Teresa, qui a néanmoins voué sa vie au militantisme, « d’égal à égal », en accompagnant les familles roms, en scolarisant leurs enfants, ou avec RESF et auprès des mineurs isolés. Hyperactive et ingérable, elle préfère le collage « fou » aux réseaux sociaux, les films en super 8 aux conférences entre convaincus. Elle carbure au bonheur simple de tendre une main. Et à l’empathie maladive. « Il y a tellement de gamins qu’on a aidés qui nous envoient des messages aujourd’hui pour nous remercier… C’est ce qui compte pour moi », glisse-t-elle.
Pour le vert, qui l’habille des pieds à la tête, de même que son appartement jusque dans les moindres recoins, elle ne fait pas non plus de longs discours. « On ne demande pas à une personne qui s’habille entièrement en noir pourquoi elle le fait », tranche-t-elle. Depuis que les gens qui viennent en aide aux migrants à la frontière sont inquiétés par la justice, elle tente en revanche de ne pas attirer l’attention. Jusqu’à aujourd’hui, cette habituée des tribunaux reste épargnée par les poursuites pour délit de solidarité. Sauf du côté italien, où une double procédure judiciaire vient d’être lancée contre elle pour participation à deux manifestations non autorisées. Elle pourrait déboucher sur une interdiction de territoire. « Une catastrophe », dit-elle, qui ne l’empêcherait pas cependant de poursuivre son combat.
Cette perpétuelle indignée puise un peu d’espoir dans l’afflux de dons, qui ne s’est jamais tari depuis que les quêtes ont commencé, en 2015 : « Une entreprise nous a donné 200 smartphones à distribuer aux migrants ; nous avons reçu 400 paires de chaussures et 1 500 kits d’hygiène ; des médecins, des dentistes et des gynécologues acceptent de consulter gratuitement », s’émerveille Teresa. C’est cet élan qu’elle aimerait mettre en avant, plus qu’elle-même, « car il faut que les gens puissent s’identifier si nous voulons qu’ils agissent. Or, avec moi, ils se diront que je suis différente, que je suis une “militante” ».
Teresa dresse pourtant un constat implacable. « Les gens ignorent ce qui se passe en Italie depuis 2015. Les camps, la répression, etc. » Et la France perpétue une cruauté d’État en fermant la frontière et en renvoyant tous les migrants interpellés vers l’Italie. Comme avec cette famille d’Érythréens à qui Teresa et ses amis avaient réussi à éviter l’expulsion en faisant scolariser leur enfant. « Le préfet a fait appel, soupire Teresa. Parce que l’école n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans et que le petit n’a que 5 ans ! »