Manifestation contre la loi sur l’asile : « Personne n’est illégal »
Le 21 février, jour de la présentation du projet de loi migrations au Conseil des ministres, associations, militants et citoyens ont marché unis pour réclamer une autre politique d’accueil.
Ce mercredi soir, les rues du Quartier latin sont noires de monde. « Ça change de Bastille-Nation ! », rigole Julien. Âgé de 24 ans, le jeune homme brandit une pancarte « Personne n’est illégal ». À côté de lui, son amie porte un message un peu différent : « Personne naît illégal ». Ils font partie des nombreux manifestants qui ont répondu à l’appel du Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (Baam). Ils sont entre 1 000 et 2 000 et fustigent la loi dite « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ».
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Tous unis contre le texte
Les drapeaux sont aussi nombreux et multiples que la foule est hétéroclite. À côté des élus en écharpe, les travailleurs sans papiers chantent en musique. Il y a de nombreuses associations, d’Attac au collectif de soutien des migrants qui occupe l’université Paris 8, d’Acceptess-T (qui défend les droits des personnes transsexuelles) à Aides.
« Il est fort Macron, il a réussi à tous nous mettre d’accord sur un texte, grince Héloïse Mary, présidente du Baam. Mais, du coup, cela signifie que l’on a atteint à un stade de presque non-retour dans les politiques migratoires. » La jeune femme fustige le texte « liberticide » qui a été présenté ce matin par le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, en Conseil des ministres. « C’est la pire loi que l’on ait eue depuis Pasqua. Pasqua avait ses charters, Macron a ses déportations. »
Diminution des délais : travail bâclé
À 18h30, heure du rendez-vous, la place Saint-Michel est déjà pleine de monde. Avant de se mettre en route vers l’Assemblée nationale, des militants montent sur la fontaine et s’époumonent : « Solidarité avec les migrants du monde entier ! ».
Carole, assistante sociale, est venue après son travail. Elle déplore un texte qui va accentuer le « parcours tortueux qu’est la demande d’asile ». « Ils veulent diminuer le temps dont on a besoin pour bien préparer une demande d’asile. En si peu de temps, comment trouver un traducteur pour aider la personne à écrire son récit ? » Le texte prévoit de diminuer les délais de traitement pour les demandes d’asile : alors que l’instruction prend onze mois actuellement, le gouvernement vise une limite de six mois.
Flora et Marie, rapporteures à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) sont venues elles aussi. Elles avaient déjà manifesté plus tôt dans la journée devant le Conseil d’État (voir tweet ci-dessous). « Après tout, on est concernées. Ce sont nos conditions de travail que la loi va impacter. » Les deux jeunes femmes et leur collègues sont en grève depuis 9 jours.
Le texte entre dans une logique comptable mais du coup, cela touche la qualité des dossiers et des décisions rendues. Il y a de plus en plus de décisions rendues par ordonnances, c’est-à-dire sans audiences, ou de décisions prises par un juge unique. Et tout ça pour aller plus vite !
Manifestation des avocats et du personnel de la Cour Nationale du Droit d'Asile ce midi | 21.02.2018 | Paris |https://t.co/tvOin7H9t7
@CNDAengreve #paris #LoiAsileImmigration #CNDAengreve pic.twitter.com/oDcFUOqcWb
— Sebastien Pons (@znowx) February 21, 2018
« La rétention, c’est la prison »
Alors que le cortège se met en marche, Ali* et Maria commencent à danser au son des djembés. Celle-ci est venue d’Espagne à 10 ans, ses parents ont fui la dictature de Franco. « La France, pays des droits de l’homme, j’y ai cru, moi ! Et je voudrais y croire encore. Pour cela, je me battrai contre cet horrible texte. La France peut accueillir, mon histoire le prouve ! » Ali, lui, est arrivé il y a quelques mois, un an après avoir quitté la Côte d’Ivoire. Ému devant l’importance de la foule, il cherche ses mots : « J’avais fini par croire que les Français n’aimaient pas les étrangers. Mais je me suis trompé. »
De nombreux citoyens sans drapeau ni pancartes sont dans la rue. Une première pour Élise. En master droits de l’homme à l’université de Paris X-Nanterre, l’étudiante ne pouvait pas rester chez elle. « C’est scandaleux. Le texte criminalise un peu plus les migrants : il crée une garde à vue spécifique appelée « retenue administrative » et augmente la durée de rétention dans les CRA à 135 jours maximum. Cette rétention, on l’assimile à autre chose mais c’est de la prison ! »_
Manif contre la #LoiAsileImmigration ✊- Article 13 : relatif à la rétention administrative, a pour projet d'augmenter la durée maximale d'enfermement en centre de rétention de 45 jours à 135 jours.
— BAAM (@BAAMasso) February 21, 2018
« Quand tu passes par la Libye, tu t’en fiches de galérer en France »
La foule arrive finalement place du Président-Édouard-Herriot, à deux pas de l’Assemblée nationale. Les cris redoublent d’intensité. « Cette loi est inutile ! », crie Babacar*. Le jeune Saoudien vient d’obtenir le droit d’asile après dix mois « d’ennuis » : « Le gouvernement est persuadé qu’il faut dissuader les migrants de venir. Quand tu passes par la Libye, tu t’en fiches de galérer en France ! » Conscients de ces réalités, les associations et militants réclament une véritable politique d’accueil. « Il y a une anecdote qui m’a marquée, raconte Héloïse Mary du Baam. Un jeune homme qui se tenait devant les policiers en leur disant: « Vous savez, moi, je n’ai pas parcouru 6 000 kilomètres pour avoir des toilettes. » Tout est dit. »
[*] Le prénom a été modifié.