Migrants : « Le sentiment qu’il faut faire quelque chose »

Arrivé à Calais en 2009, Philippe Wannesson y est resté plus de huit ans auprès des migrants. Auteur d’un blog qui documente les violences policières, il est un acteur précieux et un témoin inlassable.

Jean-Claude Renard  • 7 février 2018 abonnés
Migrants : « Le sentiment qu’il faut faire quelque chose »
© photo : Olivier Favier

Un regard lumineux, une voix douce et la toise d’un colosse. Philippe Wannesson n’est pas quelqu’un de tout à fait ordinaire. Guère prolixe sur lui-même, préférant parler des autres, du fruit de ses observations. Né à Metz en 1964, il a d’abord longtemps œuvré dans le secteur du travail social et de l’éducation populaire. « Taraudé par ce qui se passe dans la France de Nicolas Sarkozy, qu’il s’agisse des Roms ou des migrants », interpellé par « ce qu’on peut appeler une violence d’État sur la question des migrations », il vient une première fois à Calais juste avant Noël, en 2008, sous la houlette d’une association tournée vers la solidarité et le soutien aux exilés, avec une idée peu précise alors : « Que peut-on faire à Calais pour aider ? » Il reste quelques semaines puis revient au printemps suivant. Il ne le sait pas encore, mais Philippe Wannesson va vivre huit années sur place.

Au tout début, il se met au service de l’association calaisienne Salam, qui aide les migrants au quotidien. C’est la distribution de repas chauds et d’eau, l’accueil dans les campements et l’apprentissage du français. « Il y avait là des gens qui n’entendaient pas rester en France, mais qui voulaient posséder quelques rudiments de la langue pour communiquer avec leur entourage, ne serait-ce que pour connaître leurs droits en matière d’asile. » L’été qui suit, Philippe Wannesson crée l’association La Marmite aux idées. Il sort de l’aide alimentaire d’urgence pour s’installer dans le temps, durablement, informer les migrants, saisir les pouvoirs publics, sensibiliser la population locale. Un travail bénévole. Comment fait-on alors pour vivre ? « C’est bien simple, plaisante-t-il, on attaque les ­policiers et on les mange ! Plus sérieusement, on vit avec peu, et avec les gens. »

En restant obstiné aussi. « On est happé par les réalités, par le sentiment qu’il faut faire quelque chose. C’était bien présent dans ma tête auparavant, mais là, j’étais confronté directement à la situation. Après, ce qui renforce les positions, ce sont les contacts, les échanges particulièrement riches avec les exilés, qui tiennent à des choses banales, comme passer du temps à bavarder autour d’un thé ou d’un feu. Du coup, c’est l’hospitalité qui se renverse. C’est nous qui sommes chez eux ! Et l’on se rend compte que ce sont des gens très hospitaliers. »

Quand on vit sur place, on observe, « on alterne les moments brefs, marqués pas des coups médiatiques, comme lorsque les Syriens, en 2013, ont bloqué le port de Calais, et les moments longs, faits d’attente, d’auto-organisation, entre les expulsions de campements et les occupations de lieux ».

En 2013, La Marmite aux idées cesse ses activités. Philippe Wannesson n’en reste pas moins à Calais, persiste et signe un blog, « Passeurs d’hospitalités », qui entend rendre compte de l’actualité des réfugiés, prenant le temps de démonter les annonces et les discours officiels. « Ça me semblait important de poursuivre le travail sur cet aspect, d’autant qu’il n’y avait pas d’autre média associatif à ce moment-là à Calais. »

Philippe Wannesson tient au pluriel dans le titre de son blog. « Parce qu’il y a plusieurs formes d’hospitalité. Comme pour le terme “passeurs” : c’est un pied de nez, un clin d’œil puisqu’il s’agit de faire passer l’information mais aussi de jouer avec le double sens du mot par rapport aux migrants. » « Passeurs d’hospitalités » connaît un large succès, consulté notamment par nombre de journalistes.

« À travers son blog, pointe Olivier Favier [1], traducteur et interprète (italien), journaliste (Bastamag, RFI), auteur du blog « Dormira jamais », il a fait et fait encore un travail utile, précieux, extraordinaire, engagé, avec un souci d’objectivité, croisant les sources, les informations, en étant sur le terrain. Il écoute beaucoup, travaille beaucoup. C’est un fixeur de rêves ! Qui vous ouvre des portes. C’est un vrai chroniqueur, façon XVIIIe siècle, capable de témoigner chaque jour et sur le long terme, ce qui l’autorise à un regard large, ouvert. Peu de gens ont cette capacité. Dans une certaine mesure, et dans le bon sens du terme, c’est un marginal, avec un mode de vie exigeant. »

Retiré depuis quelques mois dans la campagne lorraine, opérant un retour aux sources, Philippe Wannesson écrit aujourd’hui la somme de ses expériences, ses mémoires, puisant dans la masse des textes qu’il a publiés sur son blog. Avec un certain recul qui lui permet de « voir jusqu’où notre société est capable d’aller, au quotidien. Tous les jours on voit des gens gazés par les flics, des maltraitances, des expulsions… Calais, c’est un contexte où l’ambiance est plus lourde qu’ailleurs ». Mais loin de lui l’idée d’en retenir seulement l’aspect dramatique.

Si le militant garde à l’esprit un milieu associatif « sous pression, qui a du mal à gérer les actions collectives », où « beaucoup de gens se tirent la bourre parce qu’on est face à une situation difficile, toujours dans l’urgence, où l’on se rejette les fautes les uns sur les autres parce qu’on n’en fait jamais assez », il décrit aussi « un milieu qui se renouvelle, s’implique. Ce ne sont jamais les mêmes personnes, qui pour donner à manger, qui pour donner des vêtements ou des couvertures, qui pour documenter les violences policières ». Après la destruction du bidonville, à l’automne 2016, il n’y a jamais eu autant de personnes à Calais pour héberger les migrants. « Humainement, c’est encourageant. Une forme de solidarité est apparue naturellement, poursuit-il. Il n’est pas rare de croiser des Calaisiens qui, de façon tout anonyme, aident les migrants par de petits gestes, comme ces commerçants qui donnent leurs invendus, discrètement, ou des auto­mobilistes qui s’arrêtent à un coin, donnent des affaires sans même un échange verbal. Ils ne sont pas les plus visibles, mais c’est tout un tissu qui agit. De l’autre côté, on rencontre un tas de personnes d’horizons différents. C’est en soi un voyage ! »

Huit années de rencontres, et autant d’aides et d’entraides. Pour autant, Philippe Wannesson ne veut pas du titre de « nouveau Juste ». Ce n’est pas « le même contexte historique. Tout le monde ne le fait pas, certes, mais ça reste banal ». Sitôt terminé ses mémoires, il compte repartir sur les routes migratoires.

[1] Auteur de Chroniques d’exil et d’hospitalité. Vies de migrants, ici et ailleurs, Le Passager clandestin, 2016.

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