MJS : si jeunes, si tristes…

L’organisation de jeunesse du PS est en crise. Les courants minoritaires accusent la majorité, proche de Benoît Hamon, de rouler en sous-main pour Génération.s.

Pauline Graulle  • 28 février 2018 abonné·es
MJS : si jeunes, si tristes…
© photo : MARTIN BUREAU/AFP

Elle a le regard bleu acier et un débit de mitraillette. Charlotte Martinon n’a pas 25 ans mais parle politique comme les vieux de la vieille. « Le Mouvement des jeunes socialistes, c’est Game of Thrones », dit-elle sans rire. Elle-même a passé bien des nuits blanches à échafauder des stratégies pour peser dans les guerres intestines du mouvement qu’elle a rejoint il y a cinq ans. Le quinquennat Hollande en a fait fuir beaucoup – 2 000 jeunes socialistes sur 8 000 auraient rendu leur carte en trois ans. Pour Charlotte Martinon, ça a eu l’effet inverse. Cette vallsiste qui se verrait bien un jour petite main dans un cabinet ministériel s’est piquée de vouloir défendre le bilan. Quitte à accepter de mettre un temps ses opinions sous le boisseau en rejoignant un mouvement depuis toujours acquis à la ligne Hamon.

Aujourd’hui, Charlotte Martinon parle du MJS comme de sa « famille ». Mettre sa belle détermination au service des coups politiques entre petits camarades plutôt que dans les grandes idées ne semble pas tant lui déplaire. Mais, depuis quelques semaines, la jeune femme a décidé de laver son linge sale en public. Déclencheur : le 13e congrès du mouvement de jeunesse du PS, organisé les 10 et 11 février à Bondy. Une fois n’est pas coutume, les courants minoritaires – les « minos », comme on dit dans le jargon – se sont rassemblés pour contester les résultats. Jeunes aubryistes, jeunes hollandais, jeunes vallsistes : désormais, tous revendiquent comme un seul homme la tenue d’un nouveau congrès. Ils ne reconnaissent pas l’élection de la présidente, la très hamoniste Roxane Lundy. Le scrutin, affirment-ils, a été truqué dans les grandes largeurs.

« Enfin, je devrais dire “plus truqué que d’habitude”, mais, vu qu’on est de moins en moins nombreux, ça commence à se voir », précise Charlotte Martinon le plus sérieusement du monde. Laquelle raconte comment, à chaque congrès, il est d’usage de faire adhérer frère, sœur ou amis, histoire de faire le plein de voix pour son courant. Quelqu’un aurait même fait adhérer sa tortue, dit la rumeur.

Tempête dans un verre d’eau, acte 2. Trois mois après l’affaire Thierry Marchal-Beck, l’ancien président (de 2011 à 2013) accusé d’agressions sexuelles par plusieurs militantes, le mouvement traverse la plus grave crise de son histoire. Derrière les accusations de fraude, c’est en réalité le sort de Benoît Hamon, récent transfuge du PS, qui agit comme une bombe à fragmentation. Depuis la création du MJS, il est en effet de notoriété commune que l’organisation est restée sous son influence. Son surnom de « président éternel » lui vient d’ailleurs autant de son statut de premier président du mouvement, en 1993, que du fait qu’il continue, depuis vingt-cinq ans, à peser sur ses orientations. Il lui arrive même de trancher en dernier ressort quand des problèmes insolubles surgissent en interne, témoigne un ancien membre des instances dirigeantes.

Mais voilà : depuis le départ fracassant de l’ex-candidat à la présidentielle, le MJS se retrouve en porte-à-faux avec la maison mère. Si le mouvement, financé par le PS, est autonome et a donc la possibilité de porter d’autres idées politiques que celles de la rue de Solférino, il aurait, depuis l’an dernier, un peu trop mordu la ligne jaune. Fait en douce le travail pour la concurrence : Benoît Hamon et son mouvement, Génération.s. Résultat, l’indéboulonnable majorité « hamoniste », en plein conflit de loyauté, s’est fissurée. « On a beau partager les idées de Hamon et l’avoir soutenu à fond à la présidentielle, nous sommes plusieurs à avoir refusé la pression exercée par l’équipe dirigeante, qui nous expliquait en “off” que le PS, c’était fini, et qu’il fallait désormais s’investir dans Génération.s », explique Lorenzo Salvatore, ancien permanent de l’organisation.

Comme d’autres camarades, Lorenzo Salvatore, qui grenouille pourtant depuis une dizaine d’années dans les eaux de la majorité, a rejoint les rangs des contestataires. Ces fameux « minos » qui rongent leur frein depuis tant d’années, et dont les rancœurs pourraient, cette fois, trouver leur aboutissement dans le dégagisme ambiant. « Le décrochement de certains hamonistes a commencé à inquiéter la “majo” : les partisans de Roxane Lundy n’étaient plus du tout sûrs d’emporter, comme d’habitude, largement la victoire. D’où la triche », théorise le jeune homme. « Pour une fois, on avait les troupes nécessaires pour reprendre l’orga, mais ils ont tout fait pour nous en empêcher », ajoute Pauline Blanc, porte-parole d’une sensibilité « réformiste ».

Depuis la création, le 1er juillet dernier, du mouvement de Benoît Hamon, les discussions se sont cristallisées sur la double appartenance partisane, jusqu’ici acceptée. Les comptes Twitter des membres du bureau national du MJS où n’apparaît plus la mention « MJS » mais seulement « Génération.s » ont fait grincer des dents. « On a aussi vu des hauts gradés du mouvement, comme le secrétaire général, tracter ostensiblement pour Génération.s. OK, ils font ce qu’ils veulent de leur temps libre, mais ça interroge », pointe Mahaut Bertu, étudiante à Nantes et leader d’un courant proche de Martine Aubry.

Jeudi dernier, l’annonce par l’ancien président, Benjamin Lucas, qu’il rejoignait Génération.s n’a fait que renforcer les soupçons : « Ce choix confirme une stratégie de détournement de notre mouvement qui opère depuis plusieurs mois », écrivent dans un communiqué ces « frondeurs » persuadés que Benoît Hamon est aux manettes pour récupérer le contingent des forces du MJS. En ces temps difficiles où l’ancien élu de Trappes et ses proches repartent de zéro, il serait en effet étonnant qu’ils se privent d’essayer d’attirer à eux des militants dopés à l’énergie de la jeunesse, et acquis à leur cause.

Le rôle des caciques du PS dans cette triste histoire ? Quand les « minos » voient la main de Benoît Hamon derrière Roxane Lundy, la présidente du MJS assure à son tour que « cette tentative de déstabilisation » est orchestrée d’en haut : « Le PS est si mal en point qu’il s’attaque à ses propres enfants », dit la diplômée de Sciences Po. Alors que le PS joue son va-tout lors de son congrès fin mars, l’idée que les « aînés » tentent, de leur Olympe, de présider aux destinées du mouvement des jeunes n’a, certes, rien d’inimaginable. « Il est possible que la crise au MJS fasse les affaires d’Olivier Faure [candidat à la direction du PS, NDLR]_, qui a toujours été en concurrence avec Benoît Hamon pour le mouvement des jeunes »_, glisse une des membres de la direction provisoire du PS. Possible aussi que le PS se saisisse de l’occasion pour se débarrasser de son encombrant mouvement de jeunesse, qui a participé à l’organisation de la mobilisation contre la loi travail et la déchéance de nationalité.

Signe, selon Roxane Lundy, que les aînés sont à la manœuvre : lors de sa participation, en tant que nouvelle présidente du MJS, au dernier bureau national du PS, elle s’est fait publiquement souffler dans les bronches par François Rebsamen – soutien de la candidature de Stéphane Le Foll au prochain congrès. « Il m’a demandé de publier les comptes de l’organisation, ce qui montre bien que notre autonomie dérange », fait observer la jeune femme. « Je n’ai pas envie que les 300 000 euros que le PS leur donne chaque année soient utilisés pour financer Génération.s », justifie, lapidaire, à Politis, l’ancien ministre du Travail de Jean-Marc Ayrault.

En attendant, la crise, que les « minos » entendent faire durer le plus longtemps possible, profite pour l’instant surtout à Emmanuel Macron. « Toute cette histoire me rend triste, souligne Lorenzo Salvatore. L’Unef est en grande difficulté depuis deux ans et, alors que nous étions l’organisation de jeunesse la plus solide, le MJS est au bord du précipice. Résultat, pour combattre Macron, il n’y a personne dans les rues. » Puisque le champ de bataille est ailleurs.

Politique
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