Notre-Dame-de-la-fête

Près de 30 000 personnes ont fêté samedi l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Dans une ambiance de carnaval débridée, de gigantesques effigies représentant des « grand projets inutiles et imposés » ont été brûlées.

Patrick Piro  • 11 février 2018
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Notre-Dame-de-la-fête
© photos : Vanina Delmas et Patrick Piro

Allaient-ils venir en nombre, alors que l’aéroport est passé à la trappe ? Et la crainte des intempéries n’allait-elle pas en décourager autant ? Une fois de plus, le peuple de Notre-Dame-des-Landes a répondu présent, samedi 10 février, et au-delà des espérances des organisateurs. Plus de 50 cars affrétés de tous les coins de France, des milliers de voitures sagement garées sur le côté droit des départementales alentour, conformément aux indications expresses, et quelque 30 000 piétons et cyclistes selon des organisateurs étonnés par l’affluence (8 500 pour la préfecture), et qui ont consenti à parcourir une poignée de kilomètres pour rejoindre les déambulations et les lieux de festivité. « Viens, j’te dis, je suis aux Ardillières, y’a pas d’embouteillage ! », hurle dans son téléphone une gueule burinée en tenue de paysan sans âge.

C’était une convocation à double face : côté noir, une levée de boucliers massive au cas où l’aéroport aurait été confirmé, et côté barriolé s’il s’agissait de la victoire. Aimable coïncidence de calendrier : c’était carnaval, cette fin de semaine, et les associations organisatrices de cette célébration, qui n’ont jamais été à court d’idées frappantes et flashy tout au long des années de lutte, s’en sont donné à cœur joie. Deux cortèges décollaient du « Gourbi » et de « Saint-Jean-du-Tertre », avec fanfares et chorales. Des chars allégoriques brocardent les « grand projets inutiles et imposés ». La foule se coule dans le sillage de gigantesques effigies carnavalesques, dragon, crocodile et surtout un débonnaire triton de splendide facture, l’animal totem de la zone humide de Notre-Dame-des-Landes. Une « ZAD » – zone à défendre – officieusement débaptisée, en tout cas par une majorité d’habitants de ce territoire de quelque 1 650 hectares de terres agricoles dont l’avenir sera discuté avec les autorités dans les semaines à venir : le nouveau mot d’ordre, c’est Notre-rêve-des-landes, arboré en des milliers d’exemplaires par les fêtards, dans un esprit soudain léger après des années et des années de résilience. Un gars demande une clope à son voisin, qui lui fredonne, avec un brin d’autodérision. « Non aux avions et à la nicotine, oui aux bonbons et aux tartines ! »

Foule mêlée de sympathisants historiques, de nouveaux curieux et d’épatés

Les organisateurs redoutaient la désaffection de militants qui se sont satisfaits du renoncement à l’aéroport, ils n’avaient pas prévu qu’acourrerait une foule mêlée de sympathisants historiques requinqués par le fumet de la victoire, de nouveaux curieux et d’épatés. « Mais comment ont-il fait ? Je ne l’aurais jamais cru, franchement ! », rayonne Céline, infirmière angevine ravie, qui n’était pas revenue sur la ZAD depuis deux ans. Ferme de Bellevue, où ont convergé les déambulations, deux cadres d’un important cabinet d’architecture nantais venus pour la première fois mettre leurs souliers dans la boue locale, demandent « où on peut voir ces habitats originaux de la ZAD ». Une « Camille » (qui préfère ne pas donner son prénom : « Vous êtes journaliste… »), jeune technicienne dans le domaine du développement durable au Mené, dans les Côtes-d’Armor, soutenait la lutte à distance : elle se sent pleinement invitée à la fête.

La moyenne d’âge est tombée, en comparaison de la fréquentation constatée lors des années de résistance. Elle chute encore à la tombée de la nuit quand démarre une nuit musicale débridée. Auparavant, à la lumière déclinant, une cérémonie libératoire à la mesure des tonnes d’angoisse, d’incertitude et de découragement accumulées depuis le début des années 2000. Dans la plus pure tradition du carnaval, un bûcher renvoie à la cendre un grand avion de bois flanqué des dizaines d’allégories inflammables évoquant les autres luttes, parfois pour mémoire (le grand stade de Lyon), où à gagner : l’extraction des sables à Lannion, la ligne à très haute tension de Haute-Durance, les « bassines » agricoles du Marais poitevin, le tunnel ferroviaire Lyon-Turin, la « ferme des 1 000 vaches » de Drucat (Somme), le projet de parc commercial et de loisirs EuropaCity de Gonesse, et bien sûr la lutte contre la « poubelle » de déchets nucléaires de Bure (Meuse), appelée à devenir un prochain haut lieu de la résistance écolo-citoyenne en France.

À Notre-Dame-des-Landes, c’est pourtant loin d’être terminé. Début juillet prochain, le (dernier ?) rassemblement estival appellera à « enraciner l’avenir » sur la ZAD. Car rien n’indique à ce jour que les autorités soient enclines à adopter le modèle « Larzac », qui avait laissé toute sa place aux mouvements qui avaient obtenu l’abandon du projet d’extension du camp militaire, en 1981, pour décider de l’usage des terres.

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