PCF : à la recherche de la boussole perdue
Divisé sur sa stratégie et confus sur sa doctrine à l’approche de son congrès, le parti communiste est mal en point. L’étau se resserre autour de Pierre Laurent, qui brigue un troisième mandat.
dans l’hebdo N° 1491 Acheter ce numéro
À chaque congrès, sa grande question politique. En 2016, un an avant la présidentielle, il s’agissait, grosso modo, pour le Parti communiste de trancher : « Pour ou contre Mélenchon ? » L’affaire s’était soldée par la réélection de Pierre Laurent, l’homme du compromis, et par les tergiversations stratégiques que l’on sait.
Une fois passée la douloureuse séquence présidentielle-législatives, le ciel allait-il enfin s’éclaircir pour le PCF ? Las ! Le prochain congrès du parti, qui se tiendra du 23 au 25 novembre, s’annonce plus ardu que jamais. Alors que la France insoumise, devenue seul maître à bord à gauche, occupe désormais l’espace politique de la radicalité, il s’agit pour le PCF de (re)trouver une raison d’être. Un destin. Rien que ça.
Malaise
« Se réveiller », « prendre le taureau par les cornes », « redevenir utile »… Quels que soient les mots employés, les communistes sont, au moins, d’accord sur une chose : 2018 devra être l’année du tournant si elle ne veut pas être celle de l’enterrement.
Car, dans les rangs des 60 000 cotisants (officiellement recensés), le malaise est grand. Absence de cap stratégique, errements idéologiques, manque de visibilité dans l’action, sans parler des problèmes financiers qui guettent… Attablé devant un petit-déjeuner au restaurant de l’Assemblée nationale, André Chassaigne, l’influent patron des députés communistes, fait le décompte de tout ce qui ne va pas. « Nous sommes devenus un bateau ivre, la seule chose qui nous sauve, c’est la loyauté des militants,commente-t-il. Mais jusqu’à quand ? »
Difficile, il est vrai, de comprendre ce qui relie aujourd’hui tout ce petit monde. De défaites électorales en divisions stratégiques, les liens se sont distendus. Étiolés. Même si la question des relations avec la France insoumise n’est plus le débat central, les deux camps sont toujours là : d’un côté, les partisans d’un PCF autonome, que la rudesse de Jean-Luc Mélenchon à leur égard a renforcés dans leurs convictions. De l’autre, ceux qui prônent un dépassement du parti dans une force politique commune avec la France insoumise, et qui jugent eux aussi que les récentes victoires électorales des insoumis leur ont donné raison.
Côté idéologie aussi, la boussole semble cassée. Révélatrice, la célébrationnite aiguë qui semble s’être emparée des tenants de l’appareil. Après, l’an dernier, l’anniversaire de la révolution russe, puis l’exposition sur Georges Marchais au siège Niemeyer, samedi 17 février, c’est Karl Marx que les communistes célébraient lors d’une journée parisienne consacrée à l’actualité de sa pensée.
Coup de semonce
Se tourner vers les fondamentaux : réflexe rassurant quand le reste divise. La ligne économique actuelle portée par le parti, par exemple. Depuis des mois, elle est au centre d’inlassables débats : entre les militants qui la trouvent trop keynésienne, pas assez révolutionnaire, et ceux qui la jugent incompréhensible, elle ne semble pas satisfaire grand monde. Scène inédite : début février, lors d’une réunion des « États généraux du progrès social » consacrée au « Travail et à l’emploi », une partie de la salle a bruyamment rabroué Frédéric Rauch, l’un des économistes « maison », incapable d’expliquer clairement le fonctionnement de la proposition de loi « sécurité-emploi-formation » pourtant… la mesure phare du groupe des députés à l’Assemblée nationale !
Mais il n’y a pas que le fond qui dérange. Le fonctionnement de l’équipe dirigeante aussi, perçue comme coupée de la base. Rétractée sur elle-même. Pour la première fois dans l’histoire récente du parti, les communistes, réunis en conseil national le 10 février, ont refusé de voter la composition de la commission d’organisation du congrès proposée par la direction. Pas assez représentative. Pas assez en prise avec la diversité des points de vue… Si quelques ajustements suffiront sans doute à calmer les esprits au prochain rendez-vous, « l’incident » a été interprété comme un soufflet à l’adresse de Pierre Laurent, lequel brigue un troisième mandat à la tête du parti.
Tout le monde se refuse néanmoins à réduire le congrès à une question de personne. « La responsabilité de l’échec est collective », entend-on en boucle partout. « Au PCF, il n’est pas d’usage de dire qu’on veut la tête du secrétaire national », décrypte un habitué des congrès. Qui juge néanmoins qu’aujourd’hui l’attaque est encore plus frontale que du temps du très controversé Robert Hue.
Et il est vrai que les escarmouches vis-à-vis de Pierre Laurent et, surtout, de son entourage, se multiplient. Frédéric Boccara, membre de l’exécutif du parti, ne se gêne plus pour tacler « l’inertie » et « l’attentisme » régnant sur une place du Colonel-Fabien « qui ne mène jamais rien au bout tellement elle est tétanisée par la peur de casser cet outil [le parti, NDLR] qu’elle croit si fragile ». Le député Stéphane Peu regrette que « la direction ne soit pas plus vite passée à autre chose » après la séquence présidentielle et législatives. Anne Sabourin, chargée des questions européennes, évoque avec pudeur des « problèmes de méthodes ». Quant à la députée Elsa Faucillon, qui estime que « le parti n’arrive pas à faire comprendre que le communisme est une idée neuve », elle a beau jurer que sa critique n’est pas un « désaveu » pour Pierre Laurent, cela y ressemble un peu quand même.
À neuf mois du congrès, les tribunes critiques se sont d’ailleurs multipliées dans la presse. Une contribution collective, publiée le 7 février, intitulée « C’est le moment ! », et signée par une trentaine « de jeunes dirigeant(e)s du parti » – en tête, Igor Zamichiei, premier secrétaire de la puissante fédération de Paris –, a créé pas mal de remous. Certains signataires, dont Ian Brossat, adjoint au Logement à la Mairie de Paris, ou Anne Sabourin, se sont défendus d’avoir écrit une déclaration de guerre – plutôt une invitation amicale à secouer le cocotier communiste. Mais les mots sont impitoyables : « Soyons francs : malgré toute l’énergie des militant(e)s et des élu(e)s communistes, malgré toutes les initiatives prises pour répondre aux intérêts populaires, notre parti perd pied dans la vie politique nationale. »
Anciens versus Modernes ?
Reste à savoir comment s’y prendre pour faire virer de bord le grand paquebot communiste. Le fonctionnement même du congrès n’aide pas : s’articulant autour de la constitution d’un texte porté par la direction appelé « base commune », il pousse ainsi davantage au consensus qu’aux volte-face.
N’empêche, certains se prennent déjà à imaginer une autre « incarnation » à la tête du PCF. Pourquoi pas le jeune Igor Zamichiei ?, glisse, matois, André Chassaigne. L’intéressé affirme pour l’instant qu’il se satisferait de voir émerger de nouveaux porte-parole, plus jeunes, mieux à même d’incarner ce communisme du XXIe siècle que tout le monde réclame, en vain semble-t-il, depuis… dix-huit ans.
Mais il n’y a pas que la jeune garde du parti qui trépigne de voir arriver un vrai vent de renouveau. Un autre arc contestataire se dessine autour de l’économiste Bernard Friot, devenu, ces derniers temps, la coqueluche d’une partie des militants. Ce pourfendeur de la fameuse proposition de loi sur la « sécurité-emploi-formation » propose sa théorie, plus révolutionnaire, du « salaire à vie ». Le 17 janvier, il signait, au côté de Frédéric Durand, conseiller territorial en Seine-Saint-Denis, une tribune pour engager le parti sur la voie d’une refondation idéologique. « Nous ne voulons pas d’un congrès qui se résume à une querelle entre “anciens” et “modernes” », avance Frédéric Durand, qui « lance un appel à Pierre Laurent pour mettre les questions économiques au cœur des débats ».
Une proposition qui ne déplaît pas non plus aux proches d’Elsa Faucillon. Davantage que le renouvellement « cosmétique » des générations, ces communistes attendent du congrès un renouveau en profondeur de la ligne idéologique. « Tant sur la question économique que sur l’écologie et l’antiracisme », précise Frédérick Genevée, membre du comité exécutif national.
En attendant, le chemin vers le congrès est encore long. Première étape, le dépôt des textes (« base commune » et des « bases communes alternatives ») et des candidatures, avant le 6 juillet. Puis le vote en octobre. D’ici là, on saura si la « Rêvolution » (sic), le mot d’ordre du congrès choisi par la direction actuelle, se présente avec ou sans accent circonflexe.