Police de sécurité du quotidien : Un dispositif ambigu

L’annonce très médiatisée de la création d’une police de sécurité du quotidien, derrière une appellation relativement consensuelle, pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

Ingrid Merckx  et  Michel Soudais  et  Pauline Graulle  et  Vanina Delmas  • 14 février 2018 abonnés
Police de sécurité du quotidien : Un dispositif ambigu
© photo : Julien Mattia/NurPhoto/AFP

Le plan de com’ aura été bien orchestré. Gérard Collomb a dévoilé sa « police de sécurité du quotidien » le 8 février, lors d’une grand-messe de plus de deux heures à l’École militaire, ponctuée de questions-réponses et de vidéos, avec pléthore d’intervenants. Une réforme, cela a été rappelé avec insistance, promise par Emmanuel Macron. Après la retentissante « affaire Théo » et la grogne inédite dans la police, le candidat s’était engagé à créer « une nouvelle police de sécurité quotidienne qui aura le droit d’éloigner les délinquants des zones où ils commettent des délits ».

Les mesures annoncées ne vont pas aussi loin. Le ministre de l’Intérieur, c’est heureux, n’a pas soufflé mot de ce « nouveau pouvoir » d’éloignement que le candidat prétendait donner aux policiers et aux gendarmes « sous le contrôle du juge ». Elles sont aussi moins ambitieuses. La police de sécurité du quotidien (PSQ), appellation finalement retenue, ne sera pas « une nouvelle police » ; elle ne sera pas formée de nouvelles brigades spécialisées. Gérard Collomb la définit comme un « nouvel état d’esprit ». Additionnant annonces et promesses, il recycle pas mal de chantiers déjà ouverts. Des brigades de contact en gendarmerie à la création d’amendes forfaitaires pour certains délits (usage de cannabis notamment), en passant par la prévention des suicides chez les forces de l’ordre ou les « caméras-piétons » pour les contrôles d’identité.

Nouveauté la plus médiatisée, trente quartiers difficiles bénéficieront, d’ici à janvier 2019, de « moyens supplémentaires » : un renfort de 15 à 30 policiers à chaque fois. Trente autres quartiers suivront d’ici à 2020. Au total, 1 300 effectifs supplémentaires y seront affectés. Ces quartiers dits « de reconquête républicaine » sont ciblés en zone police. On y trouve, entre autres, Trappes (Yvelines), Gros-Saule à Aulnay-sous-Bois et Les Beaudottes à Sevran (Seine-Saint-Denis), le Mirail à Toulouse, le Neuhoff et la Meinau à Strasbourg, les quartiers nord de Marseille ou Lille-Fives. Une centaine de communes s’étaient portées candidates, souvent dans l’espoir de glaner des effectifs supplémentaires via les 10 000 créations de postes annoncées au total sur le quinquennat.

Pourquoi ces quartiers-là, pas forcément les plus exposés à la délinquance ? Si plusieurs maires des communes concernées – Martine Aubry (Lille), Jean-Claude Gaudin (Marseille), Christian Estrosi (Nice), Jean-Luc Moudenc (Toulouse)… – ont fait part de leur satisfaction, d’autres, à l’instar de Stéphane Peu, député PCF de Saint-Denis, critiquent une « opacité totale sur les critères d’éligibilité » et un « copinage politique » (voir entretien ci-contre). Député de Lille, Ugo Bernalicis, spécialiste des questions de sécurité à la France insoumise (FI), fait _« l’hypothèse que le ministre de l’Intérieur veut que la PSQ fonctionne, qu’il y ait des résultats. C’est pourquoi il n’a pas ciblé les quartiers les plus problématiques, mais ceux où un gros travail est déjà en cours depuis longtemps. Dans ma circonscription, par exemple, cela fait sept mois que beaucoup de moyens sont déjà mis pour améliorer la situation ».

La fin de la politique du chiffre, un vœu pieux ?

« Je propose que ce soient les Français qui évaluent leur police, pas uniquement des séries statistiques », affirmait avec aplomb Gérard Collomb dans Le Monde. Un beau projet qui devrait séduire tous les syndicats. Une belle ambition pour mettre fin à cette frénésie du chiffre lancée par Nicolas Sarkozy en 2006 qui voyait cette gestion de la police nationale comme « un acte de management au service de la performance ».

Selon Alexandre Langlois, du syndicat Vigi, cette annonce ne serait que de la poudre aux yeux : « Lors d’une réunion, le Directeur départemental de la sécurité publique de l’Essonne et le Directeur général de la police nationale nous ont dit qu’on serait désormais évalués avec des “indicateurs”.

Or, ces “indicateurs” seront semblables à ceux utilisés pour cette fameuse politique du chiffre ! » À savoir : les quotas de contrôles d’identité, les taux d’élucidation des affaires, et par conséquent la pression sur les agents et les statistiques tronqués pour respecter les attentes et faire baisser l’insécurité sur le territoire. Le management par objectifs a encore de beaux jours devant lui.

Vanina Delmas

Les maires concernés n’étaient d’ailleurs pas tous demandeurs. Dans le nord des Hauts-de-Seine, les Hauts-d’Asnières, le Luth à Gennevilliers et les Fossés-Jean à Colombes figurent comme parmi les quinze territoires retenus pour bénéficier de renforts policiers dédiés en janvier 2019. Si le maire d’Asnières, Manuel Aeschlimann (LR), s’en félicite en rappelant avoir demandé, dès octobre, à « expérimenter ce dispositif », sa voisine de Colombes, Nicole Goueta (LR), s’offusque dans un communiqué de l’absence de « concertation préalable » et estime que ces « moyens supplémentaires devraient en priorité être affectés » à un autre quartier de sa ville. « Je l’ai appris par la presse », nous raconte également Patrice Leclerc, maire (PCF) de Gennevilliers, qui s’interroge. S’agit-il de transformer la zone de sécurité prioritaire (ZSP) qui recouvrait déjà les trois quartiers désignés pour expérimenter la PSQ ou est-ce que les moyens de la PSQ vont s’ajouter à ceux de la ZSP ? « La formule est à double sens. Soit c’est un appareil sécuritaire renforcé, soit c’est un appareil du quotidien. » De source policière, le gain d’effectifs serait de 19 agents, mais « si c’est pour les trois quartiers, c’est peu », grince le maire. « Le profil de ces renforts, lui indique Gérard Collomb dans un courrier réceptionné lundi en mairie, sera déterminé en lien étroit avec le chef de service local, selon que la priorité est à l’action judiciaire contre l’économie souterraine ou au renfort de la présence des policiers opérant sur la voie publique. »

Si rien n’est donc vraiment arrêté, la PSQ serait-elle un retour à la police de proximité ? Cette dernière, initiée sous le gouvernement de Lionel Jospin, « a laissé un souvenir très négatif dans la profession » et « fait office de repoussoir », rappelle le sociologue Jérémie Gauthier [1]. En l’absence d’information sur le contenu du dispositif, il veut néanmoins croire que la PSQ « est un acronyme de plus pour dire plus ou moins la même chose ». « Au-delà des éléments de langage, calqués sur notre programme L’Avenir en commun, note, sceptique, Ugo Bernalicis, il me semble que Gérard Collomb n’envisage pas la PSQ dans le cadre d’une modification en profondeur de la doctrine sur l’emploi des forces de l’ordre. » « Il faudrait déployer la PSQ partout », abonde Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat de police Vigi (CGT Police), en déplorant un recrutement insuffisant et une formation déficiente : « Aujourd’hui, un seul module parle de ce retour du dialogue mais il se nomme “Gestion des violences urbaines”. Une vision très particulière du dialogue ! »

Qui transpire dans la communication gouvernementale autour de l’idée de « reconquête républicaine ». Députée de Paris, Danièle Obono (FI) la juge « dégradante » : « C’est une forme de stigmatisation alors qu’il faudrait plutôt parler de quartiers abandonnés par la République. C’est dans ces quartiers que les services publics ont petit à petit été fermés, que l’offre de santé, de prévention, de culture et de loisirs est trop souvent réduite à la portion congrue. » Si reconquête il doit y avoir, l’égalité paraît bien le premier enjeu. « Il manque des annonces sur l’aspect socio-économique et ethnique », souligne Sebastian Roché, chercheur au CNRS [2], en pointant plusieurs interrogations : « Est-ce que tous les territoires vont être traités de la même façon ? Les territoires dits défavorisés auront-ils le même nombre d’agents que les autres, avec la même expérience professionnelle ? » Alexandre Langlois n’a guère de doute. « Ce seront les jeunes tout juste sortis de l’école qui seront envoyés dans ces zones. C’est choquant, car l’un des reproches principaux sur les cas de bavures policières porte sur la jeunesse des policiers mis en cause. »

Sebastian Roché pointe également « la question de l’égalité devant les contrôles ». « Les universitaires, rappelle-t-il, ont montré que les discriminations ethniques existent. Elles n’ont jamais été reconnues par le ministère. C’est un autre défi de taille, car l’égalité est l’un des premiers principes de la Constitution, une valeur qui devrait être partagée par tous. »

Tous jugent néanmoins positivement la fin de la politique du chiffre, ou du moins son annonce (voir encadré). Et manifestent leur intérêt face à la proposition de Gérard Collomb « que ce soient les Français qui évaluent leur police » via le recours à des enquêtes de satisfaction. Ce n’est « qu’une déclaration d’intention », note Jérémie Gauthier, qui y voit au moins une « rupture de ton » susceptible de nous rapprocher de ce qui se pratique notamment en Angleterre, où la police est pilotée en fonction des attentes de la population. « En France, personne ne sait ce qu’attend la population de sa police, c’est le grand point aveugle. » Attentif à ces petits signaux, Sebastian Roché veut aussi retenir que « le gouvernement essaie de faire quelque chose » alors que, « depuis Sarkozy et Valls, il n’y a plus eu de véritable tentative de réfléchir » sur la police.

[1] Sociologue à l’Iris-EHESS et au Centre Marc-Bloch de Berlin, il vient de publier en codirection avec Fabien Jobard l’ouvrage collectif Police : questions sensibles (PUF, « La Vie des idées »).

[2] Auteur de De la police en démocratie (Grasset, 2016).

Société Police / Justice
Temps de lecture : 7 minutes

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