Police de sécurité du quotidien : « Une suspicion sur la démarche »
Si Stéphane Peu salue l’initiative, il regrette l’opacité dans le choix des communes retenues pour l’expérimentation.
dans l’hebdo N° 1490 Acheter ce numéro
Stéphane Peu est député de Seine-Saint-Denis (93), membre de la Commission des lois, et ancien adjoint au maire de Saint-Denis chargé du logement. S’il se félicite des intentions du gouvernement de sortir de la politique du chiffre et du retour à une police de proximité, il s’insurge contre l’opacité sur les critères du choix des quartiers concernés.
Estimez-vous utile la mise en place de la police de sécurité du quotidien (PSQ) ?
Stéphane Peu : Les annonces de Gérard Collomb m’inspirent, d’abord, une réaction positive. Elles sont un début de reconnaissance de l’impasse dans laquelle Nicolas Sarkozy a mis la police dans notre pays, d’abord quand il était ministre de l’Intérieur en 2002, puis quand il est devenu président. Cette politique a été prolongée sans barguigner par François Hollande et Manuel Valls, à partir d’une espèce de consensus de la droite et de la gauche autour de l’efficacité supposée de la politique du chiffre. Force est de constater qu’aujourd’hui le gouvernement juge qu’une police uniquement d’intervention est inefficace et qu’elle entraîne une distension des liens avec la population. Il y a cette idée que la police doit redevenir gardienne de la paix, qu’elle doit aussi prévenir les violences. Gérard Collomb et le directeur de la police nationale ont annoncé qu’ils veulent aujourd’hui mettre un terme à la politique du chiffre, tant mieux.
Peut-on les croire ?
Le simple fait que cela soit dit est déjà une bonne chose. Néanmoins, deux choses m’ont particulièrement mécontenté jeudi dernier. D’une part, la question des moyens : même si le gouvernement annonce des recrutements, rien n’est dit précisément sur la manière dont les moyens vont être renforcés. D’autre part, il y a une opacité totale sur les critères d’éligibilité des 30 quartiers choisis pour déployer la PSQ…
En Seine-Saint-Denis, qui compte parmi les départements où il y a le plus de délinquance, la PSQ sera en effet expérimentée dans seulement deux communes : à Sevran et à Aulnay-sous-Bois. Plus étonnant encore, la ville de Saint-Denis, où la violence est endémique, et qui avait pourtant « postulé » à l’expérimentation, n’a pas été retenue…
Sur les 827 000 Français qui seront concernés par la PSQ, seulement 20 000 vivent en Seine-Saint-Denis. Si l’installation de la PSQ à Aulnay est très liée à la mémoire de l’affaire Théo, on se demande vraiment comment ont été choisis les quartiers retenus. On ne peut pas ne pas penser que cela relève d’un copinage politique de très mauvais goût. Par exemple, des quartiers de Pau [où est élu François Bayrou, NLDR], de Nice [ville de Christian Estrosi, proche d’Emmanuel Macron, NDLR] et de Paris sont concernés. Or à Paris, par exemple, le taux de crimes et délits est trois fois moins important qu’à Saint-Denis, et il y a déjà une fois et demie plus d’effectifs de police ! La Seine-Saint-Denis est le parent pauvre de cette PSQ alors que le département connaît beaucoup de difficultés en termes de violence et de mauvaises relations entre la police et la population. C’est incompréhensible ! Azzedine Taïbi, le maire (PCF) de Stains, Gilles Poux, le maire (PCF) de La Courneuve, Marie-George Buffet [députée communiste de Seine-Saint-Denis] et moi-même avons demandé un rendez-vous en urgence au ministre de l’Intérieur.
Pour quelles raisons, selon vous, le 93 a-t-il été « oublié » ?
Je ne sais pas. Même les services de l’État, la direction départementale de la police et le préfet ne comprennent pas… Mais je suis d’autant plus en colère que je conduis dans ce département une mission parlementaire sur les politiques régaliennes dans trois domaines : la sécurité, la justice et l’éducation. On n’est pas sur un territoire « perdu » de la République, mais sur un territoire qu’on abandonne ! Et le sentiment d’être discriminé ne fait que se confirmer avec la PSQ. Autrement dit, si la démarche de Collomb est intéressante par l’intention, le choix des quartiers invalide d’emblée la démarche. Quand on n’inclut pas dans le dispositif un département qui en avait si besoin, cela jette la suspicion sur l’authenticité du projet.
Sur le fond, cette idée de police de proximité qui rétablit la confiance, mais qui est également dans une posture de sanction, vous semble une bonne option ?
La police a trois missions : protéger et prévenir, investiguer et confondre, incriminer et réprimer. Toute démarche qui vise à rétablir ce triptyque, et qui veut sortir de la seule répression, me semble intéressante. Mais il faut aller au bout : donner plus de moyens à la police mais aussi à la justice, et couvrir davantage de quartiers, choisis en fonction du taux de délinquance et de l’indice de dégradation des relations entre citoyens et police.
Stéphane Peu Député communiste de Seine-Saint-Denis