Sortie de piste pour le Tarmac ?
La structure du théâtre francophone serait supprimée et sa mission transférée à une autre équipe. Une annonce brutale qui interroge le milieu artistique et la politique culturelle du gouvernement.
dans l’hebdo N° 1490 Acheter ce numéro
Parmi nos théâtres subventionnés, nous avions jusqu’alors deux petites entités distinctes, chargées d’une mission différente, qui suivaient normalement des chemins parallèles : le Tarmac et Théâtre ouvert. Le premier, installé avenue Gambetta, à Paris XXe, se consacre aux spectacles de l’aire francophone. Théâtre ouvert, à la cité Véron, près de la place Blanche, dans le IXe arrondissement, favorise l’écriture contemporaine en créant des textes inédits. Cette deuxième équipe arrive en fin de bail. Le propriétaire des lieux, le Moulin rouge, refuse de le renouveler. Alors, comment la reloger ? En plaçant le Théâtre ouvert là où travaille le Tarmac et en rayant ce dernier de la carte ! Et la mission d’œuvrer pour la francophonie ? On la transférerait à Théâtre ouvert, mais sans lui retirer sa fonction principale de découvreur. Voici le projet de la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, tel qu’il vient d’être exprimé aux intéressés. « N’est-ce pas du bricolage ? », interroge Valérie Baran, directrice du Tarmac.
Théâtre ouvert, créé en 1971 par Lucien et Micheline Attoun et actuellement dirigé par Caroline Marcilhac, est un lieu qui a une grande histoire et qui bénéficie de la puissance de son passé. Le Tarmac est moins connu : il a succédé en 2005 au Théâtre international de langue française (Tilf). D’abord ancré dans le parc de la Villette, il a ensuite pris la place du Théâtre de l’Est parisien (TEP). Déjà un jeu de chaises musicales qui supprimait une salle, mais, là, le personnel (sauf la directrice, Catherine Anne) avait été conservé.
Valérie Baran a donné à son établissement un souffle incroyable. Pièces, ballets, performances, stand-up venant d’Afrique, de la Caraïbe, du monde arabe, mais aussi – plus rarement – du Québec, de Belgique et de Suisse, ont composé un programme très riche. Une politique d’adresse au public et de tarifs très bas (15 euros la place sur abonnement) a fait venir nombre de spectateurs (75 % de taux de remplissage), bien souvent absents des habituelles salles de théâtre. « Nous sommes le bébé du TEP de Guy Rétoré et du Tilf de Gabriel Garran, donc un théâtre populaire qui accueille toutes les classes sociales, explique Valérie Baran. Ici, on trouve d’autres programmes qu’ailleurs, et du dialogue, du partage, du débat… » Selon une étude réalisée avec Sciences Po, le public du Tarmac couvre une tranche d’âge de 18 à 44 ans. Lorsqu’on s’y rend, la passion, la diversité et la fête populaire y sont plus sensibles que dans la plupart des autres salles de la capitale !
Devant l’éventualité d’une fermeture, les protestations se sont multipliées, avant et après la soirée de soutien qui s’est tenue le lundi 12 février. Pour le Syndeac, le syndicat des structures subventionnées, « si la méthode de la ministre est de résoudre les questions de bail d’un acteur culturel par le délogement et la négation du travail d’un autre, alors nous savons désormais à quoi se résume son projet de politique publique. L’exemple est donné par l’État à l’ensemble des collectivités territoriales partenaires du ministère des manières boutiquières et brutales avec lesquelles on peut abattre ou disposer des projets, des équipes, du travail et de l’histoire des lieux culturels ».
De fait, Valérie Baran a appris par texto la disparition programmée du Tarmac le 7 février, alors qu’elle se trouvait aux Antilles. Suivi par un communiqué de presse diffusé par le ministère. « C’est d’une violence inouïe, décrit-elle, jamais atteinte à ma connaissance dans ce type de situation. »
Le ministère mettra fin au Tarmac en décembre 2018, Théâtre ouvert, lui, emménagera dans ses nouveaux locaux le 1er janvier 2019 et sera chargé de proposer un projet francophone. Catherine Tasca, qui préside le conseil d’administration de Théâtre ouvert, assure que la structure va devenir francophone. « Mais ce travail se fait sur des années, objecte Valérie Baran. Dieudonné Niangouna est à présent familier du public français, mais nous le soutenons, avec Avignon, avec Limoges, depuis 2001. Tant d’autres, comme la Franco-Roumaine Alexandra Badea, ont émergé au terme d’un long soutien. »
L’association Décoloniser les arts, qui milite pour dépasser l’idée de francophonie, « signe l’appel à la défense du Tarmac, tout comme nous appellerions à la défense de Théâtre ouvert. Nous nous opposons à la destruction de tels espaces culturels, parce qu’ils sont les seuls, à ce jour, ouverts à tou(te) s les auteur(e) s, à tou(te)s les artistes, et particulièrement aux artistes venant des anciennes colonies ou des territoires d’outre-mer (dont la trop rare diffusion pose problème) ». Beaucoup de professionnels condamnent cette décision qui met à mort une entreprise populaire et rappellent que Théâtre ouvert est d’abord une cellule de recherche, et non une association tournée vers le public.
En une semaine, l’appel à la défense du Tarmac a recueilli 9 900 signatures. Les témoignages reçus par le théâtre révèlent que les artistes du monde francophone se sentent spoliés. « Ils savaient qu’il y avait le Festival des francophonies de Limoges et nous, explique la directrice. Ils voient qu’une porte se ferme. Ils ne sont pas dupes. Les journaux et les radios parlent de notre fermeture à Brazzaville, à Montréal. Partout. » Elle évoque par ailleurs le peu d’échanges avec le ministère de la Culture. La Direction générale de la création artistique (DGCA) ne s’est manifestée que deux fois en un an et demi, et des discussions sont en cours actuellement avec les conseillers de la ministre. « Ce qui est incompréhensible, c’est qu’une telle décision est en totale contradiction avec les propos d’Emmanuel Macron », souligne Valérie Baran, insistant sur l’absolue nécessité de défendre les lieux francophones et de préserver ce lieu populaire. Et de conclure : « Ce qui se passe est très méprisant pour les artistes et pour le public. »
Le Tarmac, 159, av. Gambetta, Paris XXe : 01 43 64 80 80 ou www.letarmac.fr
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