Un cocktail explosif
Le gouvernement multiplie les réformes systémiques, au risque d’agréger un mécontentement global contre sa politique.
dans l’hebdo N° 1492 Acheter ce numéro
La « stratégie du choc » déployée par le gouvernement s’accélère. Convaincu qu’une « demande bonapartiste […] transcende tous les électorats », selon « un ténor de la majorité », cité le 23 février par Les Échos, le gouvernement déroule donc son programme de dérégulation, touchant aux fondements du modèle social français.
Il compte sur l’atonie des syndicats, bombardés de séances de négociation et épuisés par un procès permanent en légitimité, et le spectre du syndicaliste arc-bouté sur des privilèges corporatistes, largement agité par l’entourage d’Emmanuel Macron. À l’heure où, dans les entreprises, la fusion des instances représentatives du personnel imposée par les ordonnances Macron devrait faire perdre leur mandat – et leur protection – à de nombreux délégués syndicaux – 150 000 à 200 000 personnes pour FO, selon son secrétaire général, Jean-Claude Mailly.
La suffisance du gouvernement a semé, ces derniers jours, un sentiment d’humiliation, qui l’a forcé à quelques rétropédalages.
Assurance-chômage
La réforme était censée élargir l’accès des droits au chômage aux démissionnaires et aux indépendants, et accroître le contrôle sur les demandeurs d’emploi. Les syndicats ont âprement négocié, notamment pour dépasser le refus du Medef de taxer les contrats courts. Ils ont conclu un accord le 23 février, mais les déclarations du gouvernement laissant entendre qu’il pourrait ignorer cet accord interprofessionnel ont provoqué l’indignation jusque dans les rangs de la CFDT. « Si on nous piétine, il ne faudra pas ensuite venir nous chercher pour éteindre l’incendie », a explosé, le 26 février, Laurent Berger, son secrétaire général, annonçant la suspension de sa signature.
Formation professionnelle
Sur le dossier, plus technique, mais néanmoins colossal, de la formation professionnelle et de l’apprentissage, une négociation et une concertation viennent également de se conclure. Jugeant l’accord interprofessionnel trop timoré, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, avait promis d’annoncer son propre « big bang ». Indignées par cette attitude, la CFDT, FO et la CFTC ont menacé de ne pas signer l’accord qu’elles avaient elles-mêmes conclu. Ubuesque ! Dans ce contexte électrique, les annonces prévues le 27 février sur cette triple réforme ont été reportées en dernière minute.
Fonction publique
Avec son vaste chantier « Cap 2022 », le gouvernement espère supprimer 120 000 postes de fonctionnaires d’État et des collectivités locales, en supprimant des missions et en prenant le virage numérique. Au prix d’un vaste « plan de départs volontaires » et d’un recours massif aux contractuels. Au nom du nouveau management, les fonctionnaires seront davantage payés au mérite et les instances représentatives devraient être fusionnées. Déjà engagés en octobre dans un mouvement unanime sur la question salariale, les syndicats seront dans la rue le 22 mars. Seule la CFDT, qui reste très remontée, attend encore des « clarifications » avant d’appeler à manifester.
Une concertation débutera au printemps et devrait déboucher sur cinq lois distinctes, pour mieux saucissonner la réforme. On attend également les premières pistes du « Cap 2022 » fin mars ou début avril, pour connaître les missions de l’État qui seront fermées ou fusionnées.
Ordonnances, réformes…
Les ordonnances sur le code du travail n’ont pas fini de faire parler d’elles. Après leur publication, en septembre, une « ordonnance balai » censée regrouper des mesures techniques charriait en réalité beaucoup de mesures nouvelles. Des amendements à la loi de ratification, que le Parlement vient seulement d’adopter, ajoutaient aussi des réformes, dont certaines proprement inintelligibles, même pour des juristes avertis. L’imbroglio est tel que le Conseil constitutionnel, saisi par une large alliance de partis d’opposition, devra arbitrer sur des points majeurs de la réforme. Sa décision est attendue sous un mois.
L’agenda est par ailleurs saturé. Nous attendons les détails d’un plan de privatisation qui pourrait solder la Française des jeux et Aéroports de Paris (ADP), notamment. Tandis que Bruno Le Maire prépare un projet de loi sur le statut des entreprises, qui suscite notamment des inquiétudes au sein de l’économie sociale et solidaire. La question du financement des hôpitaux et du logement social resurgira également dans l’actualité. Tandis que la réforme du bac et la loi asile et immigration devraient également mobiliser l’opposition. Un cocktail explosif.