6 idées fausses sur la SNCF

Le procès intenté par le gouvernement contre le statut des cheminots s’appuie sur une méconnaissance de la réalité des conditions de travail, voire un mensonge entretenu.

Erwan Manac'h  • 21 mars 2018 abonné·es
6 idées fausses sur la SNCF
© ERIC PIERMONT/AFP

« Prime charbon », « retraite à 52 ans », avantages indus… S’il y a une caricature qui a la peau dure, c’est bien celle qui entoure le statut des cheminots. Le gouvernement n’y est pas étranger, avec sa stratégie de faire de la suppression de ce modèle social la solution simple aux profonds dysfonctionnements de la SNCF. Pourtant, le statut a été imaginé au début du XXe siècle par le patronat des compagnies ferroviaires privées pour fidéliser un personnel nombreux, dont la formation très spécifique est coûteuse, sans avoir à augmenter les salaires. Il n’a eu de cesse d’être renégocié ces dernières années et reste loin des idées reçues.

« La retraite à 52 ans »

Les cheminots ont un régime de retraite spécial qui alimente tous les fantasmes. Les conducteurs peuvent théoriquement partir en retraite à 52 ans, et les agents sédentaires, qui représentent 75 % des effectifs, sont autorisés à partir à 57 ans. Mais ils cotisent davantage que les salariés du privé, et ces âges de départ sont de plus en plus théoriques, car un agent doit avoir cotisé 43 ans pour partir à taux plein (pour ceux nés après 1972). Par ailleurs, les agents embauchés après l’âge de 31 ans relèvent du régime général.

En outre, contrairement à une autre idée largement véhiculée, les cheminots travaillent bien 35 heures par semaine. Avec des accords de RTT comparables à ceux des entreprises privées, même pour le personnel roulant, qui travaille souvent plus de 8 h 30 par jour et qui, dans le fret, « découche » fréquemment.

« Prime charbon » et autres « avantages »

La « prime de charbon », encore récemment dénoncée par certains, n’existe plus depuis la disparition des locomotives à charbon, dans les années 1970. Par ailleurs, la SNCF a son propre système de primes, qui correspond peu ou prou à ce qui se pratique dans le privé : pas de 13e mois, mais une prime annuelle de 8 %, par exemple.

Autre objet de fantasme : les salaires. Selon le dernier rapport sur la responsabilité sociale de la SNCF, la moyenne des rémunérations dans le groupe est de 3 013 euros brut en 2015 (2 320 net), soit à peine 3 % de plus que la moyenne nationale. Et les augmentations sont gelées depuis trois ans.

La mutuelle des cheminots alimente aussi la littérature fantasmagorique. Elle est certes avantageuse, mais correspond à ce qui se fait dans les entreprises, y compris du secteur privé, où un bon niveau de protection a été négocié au fil du temps. Pour les syndicats, il s’agit d’une contrepartie naturelle à un fort esprit de dévouement qui caractérise la grande famille SNCF.

Les cheminots étaient souvent logés dans des logements appartenant à l’entreprise, près de la gare où ils doivent prendre leur service, afin de réduire les risques de retard, mais cela est de moins en moins vrai. Enfin, les agents bénéficient de la gratuité des trajets, ou quasiment, ainsi que leur famille. Cet avantage, dont bénéficient également les contractuels de la SNCF et qui n’est donc pas concerné par la réforme en cours de négociation, est une contrepartie essentielle à la mobilité des cheminots. Pour assurer la continuité du service public, les agents doivent pouvoir être mutés loin de leur ville d’origine. Ces avantages ont donc été négociés pour faciliter les visites de leur famille.

Un statut rigide

Le statut de cheminot, à ne pas confondre avec celui de fonctionnaire, prévoit une -sécurité de l’emploi (pas de licenciement, hormis en cas de faute grave). Elle doit pourtant, elle aussi, être relativisée, car la SNCF a supprimé 2 490 postes en 2016, soit presque 1 % du total des salariés, selon son bilan de « responsabilité sociale ». Fabien Villedieu, délégué SUD-rail, comptabilise également, en 2015, 135 ruptures conventionnelles, 614 démissions et 640 départs volontaires [1]. Signe que les conditions de travail ne sont pas si glorieuses que certains l’imaginent.

Pourtant, le gouvernement veut aligner les conditions d’embauche de la SNCF sur celles du privé, avec une fusion des instances représentatives du personnel, une classification des salariés selon leur « performance » et l’instauration de primes au mérite, à en croire la feuille de route du plan stratégique que la SNCF a dévoilé le 15 mars. Une méthode qui pourrait se révéler contre-productive, à l’instar de l’exemple anglais. La mise en concurrence a en effet entraîné une hausse du coût du travail, car les cheminots ont tendance à vendre leurs compétences au plus offrant. Un cadre de la SNCF estime ainsi anonymement dans Capital [1] que la suppression du statut – qui entraînera une renégociation de tous les droits sociaux – fera grimper le coût du travail dans le rail. Il rappelle au passage que « le statut est plus avantageux pour l’entreprise publique que le droit du travail commun [dans certains cas], notamment s’agissant des travaux de nuit ».

Une main-d’œuvre 30 % plus chère qu’à l’étranger

C’est Jean-Cyril Spinetta qui l’écrit dans son rapport, téléguidé par le gouvernement pour lancer la réforme qu’il doit boucler avant la fin de l’année : le statut de cheminot provoque « un écart potentiel de compétitivité d’au moins 30 % par rapport aux règles du marché ». Pour obtenir ce chiffre, qu’il estime lui-même très difficile à évaluer, l’ancien patron d’Air France compare la situation actuelle à un marché « libéralisé » encore inexistant, en mélangeant des coûts qui ne sont pas liés au régime salarial. Or, un document interne de la SNCF montre que seulement 8 % de la différence de « compétitivité » théorique est due au régime social des cheminots.

L’ouverture à la concurrence fera baisser les tarifs

La réforme à venir est entièrement tendue vers l’ouverture à la concurrence, imposée par Bruxelles. Plusieurs compagnies privées concurrentes se partageront en effet les lignes à grande vitesse à partir de 2021. Et le réseau TER sera découpé région par région et livré à la concurrence sous forme d’appels d’offres à partir de 2019. Or, pour qu’une activité aussi coûteuse que le train, et par nature déficitaire, devienne rentable, quelqu’un devra passer à la caisse. On l’a compris, le gouvernement compte sur les salariés du ferroviaire, avec la suppression du statut, qui devra permettre des embauches à bas coût. Mais cela ne saurait suffire à résoudre l’équation.

La hausse des tarifs, préconisée à demi-mot par le rapport Spinetta (hausse des offres low cost et « toilettage » des tarifs sociaux prévus par la loi mais plus compensés par l’État), devrait donc se concrétiser. Un verrou important devrait sauter, car la loi d’habilitation à réformer par ordonnances supprime le pouvoir de contrainte du gendarme du réseau, l’Arafer. C’est lui qui régule les péages que SNCF Réseau, le gestionnaire des rails, demande à chaque passage de train. Sans ce verrou, il pourrait donc augmenter ses péages pour rééquilibrer ses finances, comme l’y obligeront ses futurs nouveaux statuts. Et cela ne sera pas indolore pour les voyageurs. De fait, les veto de l’Arafer sont fréquents. Les tarifs 2018 ont ainsi été révoqués par le gendarme du secteur.

Dans le domaine de l’électricité, depuis l’ouverture à la concurrence dans le secteur de l’énergie en 2007, l’Insee enregistre une hausse des tarifs de 30 %. Les fausses promesses de la mise en concurrence sont aussi mises au jour par le cas du fret, ouvert en France aux entreprises privées dans les années 2000. Non seulement le secteur ne s’est pas redressé, mais le concurrent privé de la SNCF, Euro Cargo Rail (groupe Deutsche Bahn), qui assure un cinquième du trafic, fait face à d’énormes difficultés financières. Le secteur reste donc massivement subventionné et se montre incapable de rivaliser avec le transport routier, en l’absence de toute prise en compte de ses avantages écologiques.

« La mauvaise gestion a creusé une dette abyssale »

C’est l’argument massue : la SNCF Réseau a accumulé 46,6 milliards d’euros de dette et creuse son trou de 2,1 milliards en 2017. Mais c’est le désengagement de l’État qui a laissé se former ce gouffre, alors que les élus soutenaient des projets pharaoniques de lignes à grande vitesse, sans que l’État ne suive pour en assurer le financement. Une spirale infernale : plus les investissements sont retardés, plus les travaux de maintenance deviennent coûteux sur un réseau vieillissant. La reprise de la dette par l’État, qui constitue la véritable question sur ce dossier, est pour l’heure laissée de côté par la réforme en préparation.

Personne ne pointe, par ailleurs, l’énorme scandale que constituent les partenariats public-privé, qui ont fait leur apparition avec l’inauguration de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux. Le montage est simple : la filiale de Vinci (Lisea) a investi 32 % de la somme nécessaire à la construction de la ligne – en levant un emprunt garanti par l’État, donc sans risque – et récupérera 100 % des gains d’exploitation pendant 44 ans. Et, pour que ces gains soient au niveau escompté, la SNCF est forcée de maintenir 19 allers-retours par jour, soit autant de « péages » prélevés dans les caisses du consortium, alors que 13 auraient suffi pour répondre à la demande. Une gabegie qu’Attac chiffre à plus de 100 millions d’euros par an pour SNCF Réseau, alors que l’activité TGV était jusqu’à récemment bénéficiaire et permettait de financer les lignes moins rentables.

[1] Le Parisien, 26 février.

[2] Capital, 15 mars.

Économie Société
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