Centre d’appel Free à Colombes : « Vendus comme du bétail »
Les salariés de Mobipel, et leurs collègues, protestaient contre la vente de leur centre devant le siège social d’Iliad. Suite à l‘annonce de Free que le centre allait être cédé au groupe Comdata, les employés se sentent humiliés et trahis.
Une manifestation pour résumer six ans de lutte. Pour demander d’être traités dignement. C’est là tout l’enjeu de la mobilisation des salariés de Mobipel, ce centre d’appel filiale du groupe Iliad (Free). Ils étaient une centaine devant le Free Center de Paris (VIIIe) ,mais n’étaient pas seuls : à l’appel des syndicats Sud et CFDT, des salariés d’autres centres sont venus en soutien. « Et aussi parce que l’on est tous concernés, signale Sophie*. Aujourd’hui c’est eux, et si demain nous étions les prochains ? » Le 6 mars, l’opérateur télécoms a annoncé céder son centre d’appel de Colombes à Comdata, spécialiste italien des call-centers. Pourtant, Free garde ses quatre autres centres en France. Difficile de ne pas voir le lien avec le nombre anormalement élevé de licenciements pour faute qui a fait chuter les effectifs de ce centre sur lequel Politis a écrit à plusieurs reprises.
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Indignation
« On est vendus comme du bétail », s’indignent Clarisse et Farah. Comme les autres grévistes, les deux femmes portent un tee-shirt noir sur lequel on peut lire « Je suis Mobipel ». « Cela fait des mois que l’on se doutait qu’il se passait quelque chose. On pensait à une fusion mais pas à cette cession, relate, écoeurée, Clarisse. On l’a appris au début du mois. Ils nous ont affirmé que c’était fait. » Alors aujourd’hui, le mot d’ordre est de montrer à Comdata ce qu’il a acheté. « S’il pouvait se rétracter, ça nous arrangerait », sourient les deux femmes. « Depuis l’annonce de la cession, on assure le travail minimum : on prend entre quinze et vingt appels par jour, on multiplie les pauses administratives… », témoigne Hafida. La jeune femme affirme, mail à l’appui, avoir reçu des rappels au code de la part des managers et des menaces de sanctions.
Aujourd’hui, elle réclame aussi le droit de s’exprimer sur le réseau social interne de l’entreprise. « Déjà que l’on n’avait pas le droit de dire grand-chose. Maintenant c’est pire. » La lettre du prévis de grève, déposée par les syndicats, revendique d’ailleurs que « la direction mette un terme aux techniques d’intimidation des salariés et de leurs représentants du personnel. (notamment la liberté d’expression sur les outils internes de communication). »
Un chiffre d’affaire de 5 milliards d’euros
Les visages, même s’ils crient ou sourient aux blagues, sont fatigués. Les employés ont les traits tendus : pour eux, cette cession est une ultime trahison. « En assemblée générale, nous avons voté. Il en est ressorti que la totalité des salariés ne voulaient pas être vendus, raconte Anousome Um, délégué syndical Sud-Télécom. Ils préfèrent démissionner plutôt qu’être rachetés par Comdata, même si les syndicats parvenaient à négocier le maintien de leurs acquis. » Et pourtant, rien n’est moins sûr pour le syndicaliste qui soupçonne le groupe italien de les faire changer de convention : de celle du Syndec, ils passeraient à celle relative au personnel de service, moins avantageuse.
Mais, ce qui lui reste en travers de la gorge, c’est le chiffre d’affaires d’Iliad qui, en 2017, s’élève à presque 5 milliards d’euros. Une croissance de 6 % à laquelle les salariés ont contribué pour finalement se faire vendre « comme du bétail ». Clémentine Autain, députée France insoumise, est venue en soutien. « C’est vous qui travaillez. Ce qu’il y a marqué sur vos tee-shirt, c’est la vérité : vous êtes Mobipel. Mais ce sont eux qui empochent les profits. Ils ne vous respectent pas », s’indigne-t-elle sous les acclamations de la foule. Tout le monde tient son portable d’une main pour filmer la scène, et lève le poing de l’autre.
Souffrance au travail : une image vaut mille mots
Tout à coup, durant les prises de paroles, une salariée s’écroule. Diabétique, elle fait une crise importante. Policiers et grévistes s’affairent autour d’elle, finalement les pompiers arrivent et l’emmènent. Les larmes s’ajoutent à la colère. En pleurs, une de ses collègues crie en direction des bureaux de Free, sur le trottoir d’en face : « Voilà ce à quoi on est réduits ! Voilà ce que vous avez fait de nous ! » Hafida explique que cette femme a des problèmes de santé importants : « Cela fait deux semaines qu’elle ne dort plus. Elle était de repos aujourd’hui, mais elle est quand même venue. » L’exaspération et la souffrance sont palpables, « les salariés sont à bout, rapporte Anousone Um. Certains ont honte d’être vendus : ils ne rentrent pas chez eux avant 22h alors qu’ils finissent à 17h. Ils ne dorment plus. On a le sentiment d’être humiliés. » À ses côtés, une gréviste essuie ses larmes, « Il y a du mal-être, on a besoin de soutien. Et eux, ils font quoi ? Ils nous vendent. »
« Pour que vous sachiez comment on est traités »
Les délégués syndicaux obtiennent finalement un rendez-vous avec la direction. « On revient, si on ne s’est pas fait liquider avant », plaisantent-ils. Les grévistes partent alors dans le centre Free, pour « faire du bruit ». Et surtout pour prévenir les consommateurs.
Lorsque vous appelez un centre d’appel, une fois sur cinq, vous tombez sur Mobipel. C’est nous. On fait bien notre travail. Pourtant, allez savoir pourquoi, ils nous ont licenciés en masse et maintenant, ils nous vendent. C’est juste pour que vous sachiez comment nous sommes traités.
Ils s’excusent même du dérangement, et mettent en garde les employés : « Aujourd’hui c’est nous. Demain, c’est peut-être vous. » Finalement, la réunion avec la direction se termine. Les délégués syndicaux sortent, ils ont exprimé leurs revendications : la fin de la cession, un plan de départ volontaire entre autre. « Free a tout compris, plaisante Adama*. Mais quant à savoir s’ils vont agir, c’est autre chose. »
(*) Les prénoms ont été modifiés