C’est quoi, un « vrai viol » ?

Les stéréotypes ont la vie dure, et la notion même de consentement est variable d’une culture à l’autre. L’une des réponses réside dans l’éducation des adolescents à la sexualité.

Ingrid Merckx  • 7 mars 2018 abonnés
C’est quoi, un « vrai viol » ?
Manifestation devant le palais de justice de Nantes, en novembre 2017.
© DAMIEN MEYER / AFP

Au Canada, une femme qui ne dit rien est considérée comme non consentante. En France, une femme qui ne dit rien consent. C’est bien qu’il existe des différences culturelles dans la perception du « consentement » sexuel. Un terme qui n’est pas utilisé par la justice mais par l’opinion pour désigner l’acte de ne pas s’opposer. Sauf qu’une femme violée peut ne pas réagir, être frappée de sidération et même trahie par son corps, qui se « met en condition » pour ne pas souffrir. À une petite fille qui a été victime d’inceste, il est demandé si elle a eu du plaisir lors des rapports sexuels avec son père ou son oncle. À une femme qui porte plainte pour viol, il est demandé si elle a assez « résisté ». La procédure qui entoure les plaintes expose les victimes, les place dans des situations blessantes et culpabilisantes.

Dans la foulée du mouvement #metoo et de l’affaire de Pontoise, où un homme de 28 ans ayant eu deux rapports sexuels avec une fillette de 11 ans a d’abord été poursuivi pour « atteinte sexuelle » avant que la plainte soit requalifiée en viol, un projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes doit être présenté en Conseil des ministres avant la fin mars. « Nous voulons que les chiffres des violences diminuent, qu’il n’y ait plus 84 000 viols et 220 000 agressions sexuelles par an, et plus une femme qui meurt sous les coups de son conjoint tous les trois jours », a déclaré la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa [1].

Ce projet de loi devrait allonger les délais de prescription des violences sexuelles sur mineurs, verbaliser le harcèlement de rue et fixer à 15 ans l’âge en dessous duquel il y aurait une présomption de non-consentement. Ce seuil fait débat. Pour les juristes, ce serait un outil indispensable. Mais le Planning familial s’inquiète : « Cela induirait une notion de “majorité sexuelle” qui pourrait être utilisée pour autoriser ou interdire toute activité sexuelle selon l’âge retenu », écrit-il dans un communiqué du 30 janvier. Il préférerait voir se développer le « consentement positif », qui « contraint l’agresseur ou l’agresseuse à prouver que la victime a dit oui par son attitude ou par des mots ». Soit une inversion de la charge de la preuve, comme dans les pays anglo-saxons. Le Planning prône également une éducation à la vie sexuelle et affective renforcée à l’école et dans tous les lieux d’éducation. Parce qu’une loi ne suffira pas à changer la culture du viol.

« L’expression “culture du viol” est née dans les années 1970 aux États-Unis au sein du mouvement féministe radical, explique l’historienne Noémie Renard [2]. Il désigne une culture […] dans laquelle le viol et les autres violences sexuelles sont à la fois prégnants et tolérés, avec un décalage entre l’ampleur du phénomène et l’impunité quasi totale des agresseurs. » Environ 16 % des Françaises subiraient un viol ou une tentative de viol au cours de leur vie, chiffre auquel s’ajoutent les violences sexuelles subies dans la rue, au travail et à la maison. Si le viol est sévèrement sanctionné en France – 15 ans de prison –, il demeure souvent impuni.

« Pour quatre Français sur dix, la responsabilité du violeur est moindre si la victime se montre aguichante, et, pour deux sur dix, un “non” veut souvent dire “oui” », souligne Noémie Renard, qui s’attache à déconstruire un certain nombre d’idées reçues. Oui, les agresseurs sont majoritairement des hommes (94 %) et les victimes des femmes (80 %) et des enfants. Les viols commis par des inconnus sont largement minoritaires. Seules 19 % des victimes de viol résistent physiquement tout du long, et seules 10 % présentent des blessures physiques. Enfin, seules 2 à 10 % des plaintes seraient mensongères. L’historienne rappelle aussi qu’un viol concerne toutes les formes de pénétration et, surtout, que l’absence de consentement de la victime est déduite du comportement de l’agresseur. « Ainsi, une pénétration sexuelle est considérée comme un viol si elle est commise avec “violence, contrainte, menace ou surprise”. Comme ces termes ne sont pas définis par la loi, ce sont les magistrats qui apprécient si les faits qui leur sont soumis peuvent être qualifiés ainsi. » Cette zone grise appelait-elle une nouvelle loi ?

« La majorité sexuelle est déjà fixée à 15 ans, mais pourquoi ne pas la réactiver ? », commente Chantal Picod, éducatrice sexologue, qui a été consultante à l’Éducation nationale pendant vingt ans. Pour elle, aucun doute sur l’intérêt de ce seuil, d’ailleurs déjà bien intégré par les collégiens. « Du moins dans les discours, nuance-t-elle_. Mais comme chez les adultes : combien parmi les “porcs balancés” auraient tenu un discours impeccable sur le consentement ? »_ Elle se montre plutôt rassurante sur l’état des connaissances des ados en matière de sexualité : ceux qui ont pu suivre les trois séquences annuelles prévues par la loi, de la 6e à la 3e [3], se montrent plutôt « bien construits ». Elle confirme néanmoins la prégnance des films pornos : « Les 15-16 ans commencent à s’en détacher, notamment quand ils entrent dans une vie sexuelle. Ceux qui en regardent le plus sont les 11-12 ans. Ils deviennent parfois accros et se projettent dans des représentations irréelles – sexes gigantesques, toujours épilés et turgescents – et des actes sexuels irréalisables… »

Chantal Picod est favorable à la limitation de l’accès à la pornographie sur Internet. « Reste que ce sont les adultes qui en consomment le plus… » Or, dans ces films, le consentement n’existe pas plus que la « relation ». « Si les ados vont chercher de l’excitation sur Internet, ils y ressentent aussi un certain malaise. Or, en éducation à la sexualité, l’idée est de se sentir bien dans sa peau. » Pourtant, un collège sur trois ne propose toujours pas les trois séquences annuelles. Et les enseignants qui se forment à l’éducation à la sexualité le font sur la base du volontariat.

« Le problème, c’est Don Juan », tranche le philosophe Raphaël Liogier [4] en observant l’évolution de l’affaire Weinstein et du mouvement #metoo. « Don Juan nie l’existence de la volonté des femmes qu’il abuse. C’est très exactement cette négation […] qui est enfin dénoncée. » Selon lui, la question n’est pas « d’éliminer la séduction », comme cela a pu être dit dans une tribune défendant « la liberté d’importuner [5] », mais de « sortir de l’idée diffuse que les femmes ne savent pas vraiment ce qu’elles veulent. »

« Nombre hommes sont désarçonnés face à la femme sexuellement et financièrement autonome », déplore Raphaël Liogier, qui appelle à « se libérer des rôles préconçus » et à ne plus voir l’autre comme « une cible à atteindre » mais comme « un sujet volontaire et désirable parce que volontaire ».

[1] La Croix, 16 octobre 2017.

[2] En finir avec la culture du viol, Noémie Renard, Les Petits Matins.

[3] Programmes consultables sur Eduscol.

[4] Descente au cœur du mâle, Raphaël Liogier, Les liens qui libèrent.

[5] Le Monde, 8 janvier 2018.

À lire aussi dans ce dossier :

Juger le viol

« Un âge du consentement est indispensable »

Toutes les nuances de oui… et de non

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