Comment le « cycle de gauche » latino a loupé le virage progressiste

Au FSM, des intellectuels ont critiqué l’aggravation du modèle productiviste et extractiviste, ainsi qu’un autoritarisme renforcé et une incompréhension des nouveaux mouvements sociaux.

Patrick Piro  • 21 mars 2018 abonné·es
Comment le « cycle de gauche » latino a loupé le virage progressiste
© Federico PARRA / AFP

Les intellectuels du FSM s’étaient penchés, lors de l’édition 2016 à Montréal, sur un gros point aveugle de la réflexion : l’analyse de la fin du « cycle de gauche » en Amérique latine, qui a vu, durant la décennie 2000, une bonne dizaine de pays de la région dirigés désormais par des gouvernements progressistes. À Salvador, plusieurs auteurs sont venus débattre de leurs analyses, rassemblées dans un ouvrage collectif sur « l’éclipse du progressisme [1] ». De fortes convergences se dessinent dans cet inventaire.

À lire aussi >> Forum social mondial : L’heure des femmes

L’une des plus marquantes, souligne le Bolivien Pablo Solón, c’est l’absence de rupture avec le modèle productiviste et extractiviste. « Mon pays, entre autres, reconnaît des droits constitutionnels à la Terre-Mère, explique-t-il, mais, dans les faits, il n’y a jamais eu autant d’OGM et d’agrocarburants, on construit des méga-barrages pour exporter de l’électricité chez les voisins, etc. » Le Brésilien José Correa soulève une incidence démocratique très marquée en Amazonie, notamment. « La classe dominante traite les populations défavorisées comme un peuple conquis, c’est une forme d’auto-impérialisme. » Des gouvernements de droite n’auraient jamais pu aller aussi loin en raison de la résistance de la société civile, estime Pablo Solón. Alors que les mouvements de gauche ont souvent accompagné cette aggravation du modèle productiviste et extractiviste, souligne l’Argentin Emilio Taddei.

Autre persistance largement partagée, décrit la Bolivienne Elizabeth Peredo, « la relation non résolue de ces gauches avec le pouvoir ». Venezuela, Bolivie… Le maintien aux commandes est devenu une fin en soi, assène le Nicaraguayen Alejandro Bendaña, « accompagné d’un accroissement du contrôle de l’État sur la société. Un autoritarisme qui va jusqu’à accaparer les universités, les moyens de communication, les autorités locales, etc. » Et n’oublions pas les pratiques de corruption, intervient le Brésilien Oded Grajew.

Enfin, il y a l’aveuglement devant l’émergence de nouveaux mouvements sociaux, dont les femmes sont les principales protagonistes. « Ni foreuses ni forées ! », scandent-elles dans le Chiapas mexicain. « Ces pouvoirs de gauche n’ont pas compris la portée de ce nouveau paradigme, qui associe les violences extractivistes et machistes », relève Elizabeth Peredo.

[1] O eclipse do progressismo (portugais), éd. Elefante.

Monde
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Aux États-Unis, « une esthétique de la peur au cœur de la médiatisation des expulsions »
Donald Trump 20 octobre 2025 abonné·es

Aux États-Unis, « une esthétique de la peur au cœur de la médiatisation des expulsions »

Chercheur spécialiste des expulsions forcées, WIlliam Walters décrypte la façon dont l’administration Trump organise sa politique migratoire. Il explique également comment la communication autour de ces pratiques violentes est présentée comme un « spectacle » pour le public américain.
Par Pauline Migevant
Comment Trump et les Gafam empêchent la résistance contre les expulsions forcées
Expulsion 20 octobre 2025 abonné·es

Comment Trump et les Gafam empêchent la résistance contre les expulsions forcées

L’application ICEBlock, qui permettait d’anticiper les raids des forces spéciales anti-immigration, a été fermée par Apple, en accord avec Donald Trump. Politis donne la parole à son développeur, en colère contre la trahison du géant américain.
Par Sarah Laurent
Budget record pour l’ICE : Trump déploie sa machine anti-immigration
Décryptage 20 octobre 2025

Budget record pour l’ICE : Trump déploie sa machine anti-immigration

Avec plus de 120 milliards de dollars prévus d’ici à 2029, l’agence de l’immigration américaine connaît une expansion sans précédent. Centres de détention, recrutements massifs et expulsions à la chaîne deviennent les piliers du programme Trump.
Par Maxime Sirvins
Gen Z : l’internationale contestataire
Monde 17 octobre 2025 abonné·es

Gen Z : l’internationale contestataire

Comme en 1968, une jeunesse mondiale se lève à nouveau, connectée, inventive et révoltée. De Rabat à Katmandou, de Lima à Manille, la « Gen Z » exprime sa colère contre la corruption, les inégalités et la destruction de l’environnement.
Par Olivier Doubre