Front national : Retour vers le passé
Sous des changements cosmétiques, la refondation promise par Marine Le Pen marque en fait un retour à une ligne dure.
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Tout ça pour ça. À l’issue du XVIe congrès que le Front national a organisé le week-end dernier à Lille, on peine à voir ce que le parti lepéniste a de « nouveau ». C’était pourtant le mot d’ordre de la « grande refondation » engagée par Marine Le Pen depuis l’été : « En avant pour un nouveau Front. » Certes, le mouvement créé en 1972 par le groupuscule néo-fasciste Ordre nouveau, qui en avait confié les clés à Jean-Marie Le Pen, s’apprête à changer de nom. Le principe d’un tel changement a été approuvé, à 52 %, par les quelque 30 000 adhérents qui ont répondu à l’automne à une consultation postale en 80 questions portant sur leurs attentes, le programme et l’organisation du parti. Une « courte majorité » mise en doute par quelques cadres frontistes, qui pointent l’absence d’huissier lors du dépouillement, mais dont s’est prévalue Marine Le Pen pour proposer de rebaptiser son parti « Rassemblement national ». Une appellation, déjà utilisée par Jean-Marie Le Pen aux législatives et régionales de 1986 pour marquer l’ouverture de ses listes à des déçus de la droite, qui doit encore être confirmée par un vote des adhérents du FN dans au moins six semaines. Pour s’assurer un résultat positif, la présidente du FN a toutefois pris soin d’annoncer que son parti, même sous un nouveau nom, garderait son emblème historique, la flamme, calque du logo du parti néo-fasciste italien Mouvement social italien (MSI), aujourd’hui disparu.
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Ces modifications sémantiques d’ordre symbolique s’accompagnent de quelques aménagements programmatiques. 68 % des adhérents consultés se sont dit « favorables à ce que la France abandonne la monnaie unique afin de retrouver sa souveraineté monétaire » et, en même temps, 74 % « sont favorables à ce que la question monétaire ne soit plus présentée comme prioritaire ». Cette inflexion avait été arrêtée cet été à l’issue d’un séminaire de direction où plusieurs dirigeants frontistes avaient estimé que la sortie de l’euro avait coûté la victoire à leur candidate, blâmant Florian Philippot, désigné comme responsable de cette position. Plus surprenant, 51,5 % des adhérents ne souhaitent pas que leur parti continue de défendre l’interdiction de l’euthanasie, à laquelle leurs députés se sont encore opposés le 8 février à l’Assemblée nationale en étant à l’initiative d’une motion de rejet d’une proposition de loi de la France insoumise. Ils sont aussi à près de 70 % favorables au remplacement de la peine de mort par une peine de prison à perpétuité réelle incompressible.
Les grands marqueurs identitaires du FN restent toutefois plébiscités par les militants, qui ont manifesté par leurs applaudissements ce week-end, à Lille, leur attachement à une ligne dure. Ils sont d’accord à 98 % pour « limiter drastiquement l’immigration en la ramenant à un niveau incompressible », approuvent à 96 % le programme de leur parti sur l’immigration et réclament à 95 % qu’il continue d’en faire un de ses thèmes principaux, convaincus d’être sur ce sujet en adéquation avec la majorité du pays : « Il n’y a guère que les antifas punks à chien, les gauchistes bobos et les grands patrons ultralibéraux pour s’extasier de cette immigration massive ! » a lancé David Rachline, le maire de Fréjus, sous les rires du public. Ils sont aussi nombreux à vouloir que le FN continue de défendre l’interdiction des signes religieux ostentatoires dans l’espace public, « sauf pour le personnel religieux », précise Marine Le Pen, et opposés aux repas de substitution dans les cantines scolaires (84 %). La priorité nationale pour les allocations familiales frôle l’unanimité (98 %). Le port de l’uniforme à l’école élémentaire est approuvé à 81 % et plus de 75 % des adhérents sont pour des concours d’entrée à l’université. Cinq ans après l’entrée en vigueur du mariage pour tous, ils sont encore plus de 85 % à vouloir « réserver le mariage aux couples formés d’un homme et d’une femme » et ne sont qu’à 60 % favorables au contrat d’union civile que Marine Le Pen prône pour les couples de même sexe.
Les vieux réflexes ont la vie dure. Et pas seulement parmi les militants de base. Quand Louis Aliot, député des Pyrénées-Orientales, vice-président et compagnon de Marine Le Pen, alerte à la tribune sur la situation en Nouvelle-Calédonie à quelques mois du référendum d’autodétermination, c’est pour affirmer que « l’idéologie de la gauche marxiste s’est imposée » et que « les discours des autonomistes ou des indépendantistes calédoniens aujourd’hui sont exactement les mêmes que les discours du FLN algérien au moment de l’indépendance ». Une comparaison approuvée par moult huées et sifflets.
Même l’accord de Paris sur le climat, sur lequel les militants sont partagés (36 % ont un avis favorable, 33,5 % un avis défavorable), est appréhendé sous le prisme obsessionnel du mondialisme et de l’immigration : « Si nous sommes tous concernés par le réchauffement climatique, a ainsi expliqué Julien Odoul, président du groupe FN au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, il n’en demeure pas moins que le climat est une affaire nationale [sic] qui ne doit pas être traitée à l’échelon international car, sous un vernis de bonnes intentions, les chantres du réchauffement climatique visent à la création d’un gouvernement mondial [re-sic] et donc au contrôle des nations et des peuples avec une série de normes, de règles, de contraintes comme l’accueil de réfugiés climatiques, nouvelle filière d’immigration massive [re-re-sic] après les réfugiés de guerre et les migrants économiques. »
Pour caricaturale qu’elle soit, cette « écologie nationale » est en phase avec la vision politique longuement développée par Marine Le Pen dans son discours de clôture dimanche : « Le nouveau clivage nationaux/mondialistes se substitue au clivage droite/gauche. » « Aujourd’hui deux visions du monde se font face […], version moderne de la lutte éternelle des nomades contre les sédentaires. » Et de ranger parmi les « nomades » en « errance », Emmanuel Macron et son mouvement, les migrants et les expatriés fiscaux.
Cette vision du monde, loin d’être moderne ou novatrice, ce que le discours de Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump et figure de la droite américaine la plus dure, qui a tenu des propos voisins, avait pour fonction d’accréditer, est au contraire une figure classique de l’extrême droite. « Le XXIe siècle se prépare sous nos yeux. Deux grandes forces s’opposent : le sentiment national qui se traduit par le réveil des peuples, le mondialisme qui vise à la normalisation des esprits et des identités », expliquait en 1992, une brochure éditée par le conseil scientifique du FN [1] sous l’impulsion de Bruno Mégret. Les auteurs n’y cachaient pas que le mondialisme décrié n’était que la figure renouvelée du cosmopolitisme, honni par l’extrême droite de toujours. Dès lors, il n’est pas surprenant que les 1 500 militants présents aient chaudement applaudi Steve Bannon quand celui-ci leur a conseillé de se laisser « traiter de racistes, xénophobes, islamophobes, homophobes » et de porter ces qualificatifs « comme un badge d’honneur ». Signe supplémentaire que la « grande refondation » du FN est d’abord le retour à une ligne dure.
[1] Le Mondialisme, mythe et réalité, Éditions nationales.