Jean-Luc Verna : L’art à fleur de peau

Au confluent du dessin, de la musique et de la danse, Jean-Luc Verna façonne une œuvre polymorphe d’une singularité viscérale.

Jérôme Provençal  • 7 mars 2018 abonnés
Jean-Luc Verna : L’art à fleur de peau
© photo : Jean-Luc Verna avec Lauren Palmer et Benjamin Bertrand dans Uccello, Uccellacci & The Birds.Charly Gosp

Ayant commencé son cheminement artistique durant les années 1980 à Nice, où il est né en 1966 et où il a étudié à la Villa Arson, Jean-Luc Verna a pour principe d’obéir à son seul désir – dans la création comme dans la vie, les deux étant intimement liées. Adolescent, sous le choc du (post-)punk, il part en claquant la porte de chez ses parents, en rupture avec leurs modes de vie et de pensée. Livré – et révélé – à lui-même, il va trouver son salut dans l’art après avoir traversé une période erratique, marquée par des excès en tout genre.

« L’art m’a permis de me (re) construire après des années de jeunesse difficiles et tumultueuses, déclare Jean-Luc Verna. Grâce à l’art, j’ai réussi à m’extraire de mon milieu et à trouver ma place dans la société. Aujourd’hui, je n’ai aucune famille et je ne vois mes amis que lorsque je travaille avec eux. Je vis dans une sorte d’ermitage. L’art est mon seul moyen de fonctionner, il est absolument tout pour moi. »

Épris d’absolu, Jean-Luc Verna se reconnaît pour seuls maîtres les artistes qui se sont entièrement dédiés à leur art et ont su se distinguer de leurs contemporains. Il cite souvent en exemple Félicien Rops et Alfred Kubin, dont les œuvres graphiques témoignent d’une rare puissance expressive, teintée de fantastique. Dans le sillage de ces deux grands originaux, et d’autres de même stature, il développe un univers graphique foisonnant et atypique depuis le début des années 1990, s’étant d’abord exclusivement – et intensivement – adonné au dessin. À présent très en vogue, ce moyen d’expression était alors peu considéré.

Élaborés avec une extrême minutie, ses dessins à la fois charbonneux et évanescents sont réalisés en plusieurs étapes, suivant un protocole bien précis : décalqués ou photocopiés, les dessins originels sont transférés – et pour ainsi dire réanimés – sur un nouveau support (papier ou autre) avec du trichloréthylène et retravaillés ensuite une dernière fois. Ils puisent souvent avec une distance ironique dans l’art classique (et l’art religieux en particulier) autant que dans l’imagerie populaire – voir, par exemple, la série de détournements du logo de la Paramount.

Ce même geste foncièrement iconoclaste se retrouve dans toute la démarche artistique de Jean-Luc Verna. Pratiquant désormais le dessin de manière plus sporadique, il s’est tourné au fil des ans vers d’autres arts plastiques, de la photographie à la sculpture en passant par la vidéo. Par ailleurs passionné de musique, doté de goûts très éclectiques, il est le chanteur d’I Apologize, groupe de rock tendance new wave, et se produit régulièrement dans des cabarets, par exemple chez Madame Arthur, à Pigalle, où il réinterprète des classiques de la chanson française. Accordant beaucoup d’importance à l’élégance, il crée aussi des costumes et des bijoux. « Chaque activité apporte de l’oxygène aux autres et me redynamise, explique Jean-Luc Verna. Si j’étais resté confiné dans le dessin, je crois que je serais exsangue aujourd’hui. »

Parallèlement, il trouve une respiration (et une stimulation) supplémentaire en s’offrant au regard d’autres artistes. Il a ainsi collaboré à plusieurs épisodes – notamment « L’important c’est d’aimer » – de Body Double, la série conceptuelle de l’artiste français Brice Dellsperger, qui consiste en des remakes vidéo de séquences tirées de films cultes, jouant avec jubilation sur le trouble du double. Également apparu devant la caméra du cinéaste autrichien Patric Chiha (dans le film Boys Like Us), il est en outre interprète pour la metteure en scène, chorégraphe et plasticienne française Gisèle Vienne.

Dans les créations des autres comme dans les siennes, Jean-Luc Verna met souvent son corps en jeu et en scène. Recouvert de tatouages jusqu’au visage, auxquels s’ajoutent piercings et maquillage, ce corps lui est à la fois un instrument et un support, dont il use sans se conformer à aucune norme. Il s’inscrit même en opposition aux diktats de l’industrie porno ou de la mode. En outre, s’il ne cache pas son homosexualité, il ne la brandit pas non plus comme un étendard et ne se voit pas du tout comme un « artiste gay ».

Jean-Luc Verna enseigne depuis plus de vingt ans, mais il n’en éprouve pas moins le besoin de continuer, lui aussi, à apprendre – « jusqu’à la fin », dit-il. À un peu plus de 50 ans, il manifeste également un désir intact d’expériences inédites, comme en témoigne Uccello, Uccellacci & The Birds, sa première pièce pour la scène. À la fois minimaliste et sophistiquée, érudite et vivante, elle revisite l’histoire de l’art et du rock à travers une série de poses emblématiques rejouées par deux interprètes. Aux corps nus et muets en mouvement sur le plateau fait écho un monologue en voix off (dit par Béatrice Dalle), qui évoque notamment une histoire d’amour – l’ensemble, étrange et envoûtant, étant scandé par les pulsations électroniques hypnotiques du musicien autrichien Peter Rehberg.

Créée l’an dernier, la pièce est visible les 15 et 16 mars au Centre Pompidou, puis le 17 mars au Théâtre de Vanves, dans le cadre de la 20e édition du festival de danse/performance Artdanthé. Ouvert à d’autres disciplines, le festival propose également un concert de I Apologize à l’issue de la représentation du 17 mars, et une exposition d’œuvres plastiques de Jean-Luc Verna du 10 au 24 mars. L’occasion idéale de découvrir son univers.

Uccello, Uccellacci & The Birds, 15 et 16 mars au Centre Pompidou, Paris IVe ; 17 mars au Théâtre de Vanves (92).

Festival Artdanthé, Théâtre de Vanves (92), du 10 mars au 7 avril.

Théâtre
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