Olivier Besancenot : « Cet appel à l’unité, c’est le service minimum »
Pour Olivier Besancenot, la mobilisation du 22 mars peut être un point d’appui pour ouvrir un large front politique face aux attaques libérales d’Emmanuel Macron.
dans l’hebdo N° 1495 Acheter ce numéro
Son passage à « On n’est pas couché », le 3 mars, où il expliquait qu’« on est tous le cheminot de quelqu’un », est devenu viral sur les réseaux sociaux. La semaine dernière, c’est lui qui était choisi par France 2 pour faire face au ministre Gérald Darmanin. Olivier Besancenot revient en force dans l’espace médiatique et politique. Défenseur de l’unité politique et syndicale pour défendre les cheminots et les services publics le 22 mars, le leader du NPA, postier (au guichet) à Paris, est devenu l’incarnation d’une gauche qui veut se retrouver, ensemble, à battre le pavé.
Pourquoi est-il, selon vous, important de se mobiliser ce 22 mars ?
Olivier Besancenot : Cette date doit constituer un sursaut social et politique par rapport à la politique du gouvernement Macron, mais aussi à celles qui se sont succédé ces dernières années. Les politiques d’ouverture à la concurrence, de libéralisation, de privatisation ont créé une saturation dont on n’a pas encore pris la mesure, faute de mobilisation réussie. Or aujourd’hui, il y a une sorte de convergence qui se dessine. Ceux qui travaillent dans les hôpitaux, à la SCNF, à La Poste, à l’inspection du travail, aux finances publiques, à l’Éducation nationale, à l’Université se convainquent de plus en plus qu’il faut désormais se défendre ensemble.
Contre quoi ?
C’est cette éthique professionnelle qui est atteinte par les politiques libérales ?
Oui, c’est l’essence même de nos activités qui est attaquée à partir du moment où vous introduisez des critères de rentabilité dans un service public. Je l’ai expérimenté à La Poste, qui, d’entreprise publique, est devenue société anonyme en 2010, aux capitaux 100 % publics. Dès lors, le loup entre dans la bergerie car la logique actionnariale se substitue à celle de propriété publique. Combien de dirigeants politiques ont juré, la main sur le cœur, que les actions resteraient 100 % publiques ? On se souvient de France Télécom, EDF, GDF. Si nous ne réagissons pas, ce sera pareil pour la SNCF. Vous voyez, s’il y a bien un statut à débattre, c’est celui de l’entreprise, pas celui des cheminots ! Les premières victimes de la marchandisation de la SNCF seront les 9 000 km de « petites » lignes dont parle le rapport Spinetta. Même si le gouvernement prétend qu’il ne les supprimera pas, il est dit que l’entretien de ces 9 000 km sera confié aux régions, or tout le monde sait qu’elles n’en ont pas les moyens.
La privatisation du rail est le fait de directives européennes antérieures à l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. Que pensez-vous de l’argument selon lequel, pour être compétitive, la SNCF doit supprimer le statut des cheminots ?
Une directive européenne datant de 1991 exigeait en effet l’ouverture à la concurrence et la séparation comptable des différents secteurs d’un groupe ferroviaire. Mais la France a fait du zèle et le gouvernement Jospin a créé une séparation juridique du groupe, divisé entre la SNCF et Réseau ferré de France. D’où la mise en place d’un système de péages entre le transporteur et le réseau, aux tarifs exorbitants, qui a eu pour effet de faire exploser la dette de la SNCF. Ce coût représente, selon les cheminots, 37 % du prix du billet ! Cette dette doit être reprise par les pouvoirs publics et faire l’objet d’un audit. Il faut supprimer les péages et réunifier le groupe dans un seul et même service public. Quant à l’argument de la suppression du statut, qui permettrait d’être concurrentiel, chacun sait que le « coût » de ce statut est en réalité dérisoire. Un peu plus de 400 millions d’euros contre 200 millions pour le seul budget communication de la SNCF ! Ce qui intéresse les capitalistes, ce ne sont pas les cheminots, ni même les rails, c’est le transport, et encore, uniquement sur les quelques lignes rentables ! En réalité, ce qui se déroule sous nos yeux, c’est une bataille politique.
Qu’entendez-vous par là ?
Pour Macron, mettre à genoux les cheminots est un symbole. Il sait qu’il n’a été « que » le deuxième choix des classes possédantes qui auraient spontanément voté Fillon s’il ne s’était pas crashé en pleine campagne. Macron veut donc donner des gages, montrer qu’il peut être un choix durable pour ce camp social, autour du thème : « Moi je fais ce que les autres n’ont pas réussi à faire. »
Ne profite-t-il pas d’une forme de résignation en face ?
Je suis plus optimiste que cela. Je ressens un frémissement dans la société. Nul ne peut dire si la mobilisation du 22 mars prendra, mais ce qui est sûr, c’est que les ressorts de la résistance sociale ne sont pas cassés. Il n’y a qu’à voir la multitude des luttes locales pour sauver des bureaux de poste, les hôpitaux, les classes dans les écoles. Dans certains quartiers populaires, des campagnes rassemblent contre les discriminations, la répression policière ou pour le logement. On voit aussi apparaître des réseaux de solidarité avec les migrants entièrement nouveaux… Il y a également des grèves à Air France, chez Carrefour, Pimkie, ou chez Ford, à Blanquefort, où 3 000 emplois sont touchés – si l’on compte les emplois induits. Penser qu’il y a un désert en termes de résistance, ça ne correspond pas à la réalité ! Le vrai problème, et c’est le signe d’une crise politique majeure, c’est que ces mobilisations restent éparses, éclatées. Résultat, le pouvoir est plus fort.
D’où votre appel unitaire…
De Benoît Hamon au PCF, en passant par la France insoumise, jusqu’à Alternative libertaire, ainsi qu’une dizaine d’organisations politiques… Oui, il semblerait qu’il y ait cette fois-ci une volonté commune de frapper ensemble. Le NPA n’a pas entamé, seul, cette démarche : le mouvement de Benoît Hamon a été également réactif. Pour moi, cet appel à l’unité, c’est le service minimum. Soutenir ceux qui luttent, c’est la responsabilité historique du mouvement ouvrier. Ces deux dernières années, se sont succédé une série de rendez-vous ratés, le pire ayant été la loi travail, où nous n’avons pas été fichus d’agir à l’unisson. Moi, je suis pragmatique, je sais qu’on est au pied du mur et que personne ne peut la jouer perso.
Le 22 mars peut-il être le début de quelque chose ?
Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. D’abord, il faudrait cesser de se rendre prisonnier du calendrier électoral qui nous tétanise. Là, il n’y a pas d’élections avant l’année prochaine, d’où cette fenêtre de tir, mais l’enjeu reste de créer nos propres espaces, notre propre calendrier et notre propre temporalité. La séquence sociale et politique qui se trame autour des cheminots, des services publics et du rejet de la politique pour les riches de Macron peut être féconde. Potentiellement, plusieurs milliers de personnes vont, peut-être, reprendre confiance dans leurs propres forces et croire à nouveau à la possibilité de résister et de réfléchir ensemble. Cela implique de gagner, en unifiant nos luttes et en généralisant la grève.
Appelez-vous Jean-Luc Mélenchon à changer de stratégie ?
Je n’ai pas cette prétention ! Loin de moi cet objectif. Mais ce n’est pas parce que je ne me sens pas représenté par la France insoumise que je pense, pour autant, qu’on n’a rien à faire ensemble. Il faut se remettre à lutter en commun, avec eux comme avec d’autres, dans le respect de nos désaccords.
Quels sont vos points d’accord et de désaccord avec la France insoumise et Benoît Hamon ?
Nous retrouvons les militants de la FI dans une multitude de combats au quotidien. Ensemble, nous partageons la volonté d’en découdre. D’un point de vue politique, certaines questions stratégiques nous séparent, le rapport à l’appareil d’État, ou l’internationalisme notamment. Avec Génération.s, il existe une approche commune sur la démarche pragmatique à adopter face aux attaques en cours. Nous savons ce que nous pouvons faire et ne pas faire ensemble, sans que nos divergences, qui tiennent principalement au degré de rupture nécessaire avec le capitalisme, fassent obstacle à cela. Aujourd’hui, l’évolution du rapport de force doit nous alerter. La dernière victoire en date, c’était le contrat première embauche, en 2006, un an après celle du traité constitutionnel européen. Néanmoins, malgré les débats nauséabonds ou les dérives sécuritaires, la question sociale n’a pas disparu. Elle est tenace et renvoie à une réalité profonde de la société française. Et c’est une raison d’espérer.
Olivier Besancenot Candidat de la LCR aux élections présidentielles de 2002 et 2007, porte-parole du NPA de 2009 à 2011.