Procès de Tarnac – Jour 1
Les huit prévenus ont décliné leur identité dans une ambiance à l’ironie mais déjà dans le vif du sujet : quels sont les éléments solides de ce dossier ?
Sur les traces de Julien Coupat et Yildune Levy. Refaire le trajet qu’ils auraient emprunté cette fameuse nuit du 7 au 8 novembre 2008, pour se rendre coupables des faits qui leur sont reprochés. C’est ce que demandent les avocats de la défense Jérémie Assous et Jean-Christophe Tymoczko au procès qui vient de s’ouvrir, dix ans plus tard, ce 13 mars, au tribunal correctionnel de Paris. Le premier représente sept des huit inculpés, le deuxième Yildune Lévy, ex-compagne de Julien Coupat.
Le « transport sur place », à Dhuisy (Seine-et-Marne), est justifié pendant une intervention qui prend déjà des allures de plaidoirie. « Madame la présidente, vous allez devoir juger si les éléments du dossier vous permettent d’avoir la conviction que Julien Coupat et Yildune Lévy étaient bien proches cette nuit-là de cette voie de chemin de fer… », résume Jérémie Assous.
Les deux prévenus se voient en effet notamment reprocher d’avoir « dégradé ou détérioré un bien appartenant à autrui, en l’espèce du matériel roulant appartenant à la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), ainsi que des câbles d’alimentation électrique du réseau ferré et des caténaires appartenant à Réseau ferré de France (RFF), avec cette circonstance que les faits ont été commis en réunion. »
Sauf que : départementales qui ne correspondent pas, route qui tourne à droite plutôt qu’à gauche (ou l’inverse), prévenus qui auraient été « sur » le pont et non « sous » le pont (ou l’inverse) : la défense réclame la possibilité de mettre en évidence par une « confrontation avec la réalité » un certain nombre d’ « incohérences » dans le « PV 104 », le procès verbal sur lequel repose en grande partie l’affaire. Et qui vire à la farce.
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« Notre thèse c’est que ce PV est un faux : Bruno Mancheron et ses collègues n’étaient pas sur place, avance maître Assous en citant l’un des enquêteurs de police phare de ce dossier.
Problème : cinq des fonctionnaires de police cités comme témoins ont demandé à être entendus de manière anonymisée. « Mais leurs noms sont connus, pourquoi bénéficieraient-ils de telles garanties ? », interroge l’avocat avant que le tribunal ne se réunisse en chambre du conseil pour statuer sur ce point.
Ce premier jour du procès de Tarnac, l’audience doit en grande partie régler des questions d’organisation. Mais celles-ci glissent très vite sur le fond du dossier. Le simple énoncé par la présidente des témoins cités met en évidence un nombre important d’« absence de réponse » : chez les policiers, mais aussi chez des responsables comme Guillaume Pepy, PDG de la SNCF, Thierry Fragnoli, juge d’instruction, Bernard Squarcini, ancien patron de la Direction centrale du renseignement intérieur ou Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur de l’époque… « Pas de réponse ! » répétent les avocats de la défense en alignant des défections accueillies par des ricanements.
« Il faut envoyer les citations dix jours avant le procès », grince le procureur, Olivier Christen. « Merci pour le rappel de cette règle élémentaire, riposte Jérémie Assous. Mais pour citer un témoin, il faut le toucher, et nombreux semblent avoir fait en sorte d’esquiver… » Et d’ironiser à son tour sur les performances des huissiers du ministère public, qui auraient, pour sa part, réussi à « toucher » tous ses témoins. Et d’en profiter pour demander la citation du fameux « témoin 42 », Jean-Hugues Bourgeois, témoin anonyme qui ne l’est plus et qui a reconnu depuis avoir été « contraint » pas les policiers de signer la déclaration ayant permis de maintenir Julien Coupat en détention.
Le PV 104 et le témoin 42, deux piliers de l’affaire déjà mis à mal. Et mettant sérieusement en cause le travail de la police. « Reste la dégradation… », souffle maître Assous, chambre des Criées, dans une salle réservée à ce procès jusqu’au 30 mars. « Mais trop petite ! », se plaint quelqu’un dans le public alors que la porte ouverte laisse entrer des clameurs de protestation venues du dehors. « Je termine de lire les qualifications et on va voir ce qu’on peut faire », s’interrompt la présidente, Corinne Goetzmann. Quelques personnes supplémentaires sont introduites. À chaque fois que la porte s’ouvre les clameurs grimpent de volume. « Les journalistes peuvent peut-être laisser des places ? », lance Mathieu Burnel, un des prévenus. Il avait déjà photographié le parterre presse et twitté la scène avant que l’audience ne démarre.
L’ambiance est plutôt à l’ironie côté Tarnac. Limite sans-gêne. Julien Coupat se faisant rappeler les usages par la présidente : se lever pour parler, s’approcher du micro pour que tout le monde entende et même sortir quelques minutes pour prendre son goûter, propose-t-elle en rappelant gentiment que la salle n’est pas propice aux pique-niques. « Même une barre de céréales ? », tente, un peu provoc’, le chef présumé du dit « groupe de Tarnac ».
Mais l’apparent laisser-aller mettant en scène les limites du respect du groupe pour les institutions n’empêche pas les prévenus de sortir des « pièces » : une enquête de plus de 200 pages datant de 2008 sur une cellule anarcho-autonome en région Limousin pour Mathieu Burnel. Et un document déclassifié et biffé de noir sur des écoutes illégales menées au Magasin général, l’épicerie de Tarnac, pour Julien Coupat.
Le procureur sourit parfois, répond peu, et ne prend la parole que pour mettre en garde contre la tentation de faire « le procès du procès » et assurer de sa volonté – « point commun avec la défense » – de vouloir « chercher la vérité ».
Ils ont beau tous parler organisation, ils sont déjà dans le vif du sujet.