Syrie : La double responsabilité de Moscou et Washington
L’attaque par la Turquie des Kurdes d’Afrine pointe le cynisme des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni, mais aussi de la Russie. Et montre la complexité du conflit.
Le drame des Kurdes d’Afrine résume assez bien la complexité d’un conflit syrien dominé par le cynisme de toutes les forces en présence. Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont abandonné à leur sort les Unités de protection du peuple kurde (YPG), lesquelles leur avaient permis de chasser Daech de Raqqa et de Mossoul, en Irak. Mais la responsabilité de la Russie n’est pas moindre. Elle est même plus directe. Moscou, qui intervient depuis 2015 en soutien au régime syrien, a en effet retiré ses troupes de la région d’Afrine au moment du déclenchement de l’offensive turque, le 20 janvier. Les YPG ont d’ailleurs immédiatement indiqué qu’elles considéraient ce retrait comme une approbation tacite de l’opération d’Ankara. Les Kurdes sont victimes du rapprochement entre la Russie et la Turquie, Vladimir Poutine ayant désormais besoin du soutien d’Erdogan pour stabiliser la Syrie.
Quant aux États-Unis, ils risquent d’être mis au pied du mur si Erdogan, qui n’a de cesse de profiter du conflit syrien pour liquider les forces kurdes, met sa menace à exécution de porter son offensive à l’est, vers la ville de Minbej. Or, Minbej est aussi occupée par des troupes américaines. On imagine mal la Turquie s’attaquant aux forces états-uniennes. Si Washington retirait son personnel de cette ville pour permettre à la Turquie de liquider les forces kurdes, le lâche abandon deviendrait complicité active.
Cette affaire montre combien les jugements à l’emporte-pièce sont peu valides dans ce conflit. La Turquie, membre de l’Otan, a des intérêts opposés à ceux des États-Unis. Quant à la qualification de « terrorisme », elle est plus que relativisée. Les YPG, « terroristes » pour Ankara, ont été les héros de la lutte anti-Daech. Pendant ce temps, l’armée de Bachar Al-Assad poursuit impunément ses massacres contre la population civile de la Ghouta orientale, dans la banlieue de Damas. Rappelons qu’il ne s’agit pas là de vaincre Daech, qui n’est pas présent dans cette zone, mais d’écraser des positions rebelles. Le groupe armé le plus important à la Ghouta orientale, Jaych Al-Islam, qui comprend environ 6 000 combattants, se réclame, selon le chercheur Romain Caillet, d’un État civil et non religieux. Ce qui n’en fait pas un parangon de démocratie, mais ne permet pas de le confondre avec Daech.