« Tesnota » de Kantemir Balagov : Étouffoir existentiel
_Tesnota_ offre un âpre regard sur le Nord-Caucase.
dans l’hebdo N° 1493 Acheter ce numéro
Très remarqué l’an dernier à Cannes dans la section Un certain regard, Tesnota est le premier long métrage de Kantemir Balagov. Le cinéaste a situé son action à Naltchik, dans sa région d’origine, le Nord-Caucase, en Russie, à la fin des années 1990, où l’enlèvement dont il est question n’était pas un cas isolé. Le fils d’une famille juive se retrouve aux mains de ravisseurs, qui exigent une rançon.
Le film s’intéresse d’abord à la manière dont la communauté, sollicitée par la famille, réagit. Celle-ci se dérobe totalement. Qu’est-ce qu’une communauté sans solidarité ? Mais il y a plus cruel : ce que le père (Artem Tsypine) et la mère (Olga Dragounova) vont demander à leur fille, Ilana (Daria Jovner, très convaincante), pour sauver leur fils.
De son côté, Ilana entretient une liaison clandestine avec un jeune Kabarde, Zalim (Nazir Zhukov) – les Kabardes étant un peuple du Caucase sous domination russe depuis longtemps. Les deux amoureux se retrouvent le plus souvent dans l’habitacle d’une voiture ou dans l’étroite arrière-salle de la station-service où Zalim travaille. Ces lieux confinés, comme le petit appartement de la famille d’Ilana, traduisent l’enfermement dans lequel étouffent la jeune femme et, plus généralement, l’ensemble des personnages.
Les deux communautés, juive et kabarde, s’ignorent quand elles ne se détestent pas. Mais c’est plus encore l’absence de perspectives et le climat mortifère qui clouent l’existence des personnages. Les copains de Zalim restent littéralement sidérés devant des images d’égorgements de Tchétchènes accomplis par des soldats russes ; les parents d’Ilana n’imaginent plus d’autre recours que le sacrifice de la liberté de leur fille. Sans pécher par un naturalisme pesant, Tesnota témoigne d’un implacable dénuement existentiel.
Tesnota, Kantemir Balagov, 1 h 58.