« Un âge du consentement est indispensable »
Selon l’avocate Carine Durrieu-Diebolt, cette mesure corrigerait le déséquilibre entre agresseurs et victimes.
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Me Durrieu-Diebolt a défendu une fillette de 11 ans victime d’un homme de 28 ans qui a eu deux rapports sexuels avec l’enfant. La jeune fille et ses parents ont porté plainte pour « viol ». L’affaire a d’abord débouché sur un renvoi pour « atteinte sexuelle ». Mais, le 13 février, le tribunal correctionnel de Pontoise a enjoint au Parquet de mieux se pourvoir et, implicitement, de saisir un juge d’instruction. L’avocate de l’enfant a invoqué l’existence d’une présomption de non-consentement entre un enfant et un adulte dans la plupart des législations européennes. Ce qui a fait porter le débat sur « l’âge du consentement ». A contrario, la ligne de défense de l’agresseur a été de mettre en avant la « maturité » de la victime. La loi que prépare le gouvernement propose de fixer un seuil d’âge qui se situerait à 15 ans. L’analyse de Carine Durrieu-Diebolt.
Pourquoi ce débat sur l’âge du consentement trouve-t-il un écho particulier aujourd’hui ?
Carine Durrieu-Diebolt : Dans le dossier de Pontoise, la partie adverse invoquait une réduction de l’âge de l’entrée dans la vie sexuelle : les enfants de 11 ans, aujourd’hui, seraient plus sexualisés qu’hier et auraient une maîtrise de la sexualité leur permettant de donner un consentement. En réalité, je constate que l’âge d’entrée dans une sexualité réelle tourne toujours autour de 16-17 ans. En revanche, les enfants ont plus tôt accès à une sexualité virtuelle. Les garçons imitent des scénarios pornographiques, certains déclarent que les femmes « aiment bien être forcées », « qu’elles disent non au début et oui après ». Dans le dossier de Pontoise, l’agresseur a déclaré que les filles d’aujourd’hui étaient « des filles faciles qu’on baise en dix minutes »…
Les images pornographiques sont extrêmement accessibles, et la performance sexuelle est également promue dans des films classiques. Or, les ados ont tendance à vouloir s’éduquer à la sexualité avant de commencer. Les parents ne peuvent tout contrôler. Alors il faut faire passer des messages. Dire aux filles de ne pas laisser de photos d’elles sur le téléphone de leur petit ami. Répéter aux enfants que la pornographie, ça n’est pas la sexualité. Il faudrait consacrer des enseignements plus réguliers à l’éducation à la sexualité à l’école. Laisser le sujet aux familles est trop aléatoire.
A-t-on besoin d’un seuil d’âge ?
C’est absolument indispensable. En dessous de 13 ans, un enfant est toujours dans un rapport de domination avec un adulte. Dans le dossier de Pontoise, j’ai plaidé la contrainte morale, l’intimidation et la surprise. La contrainte morale est importante. Car, dans ces cas de figure, un adulte n’a pas besoin d’exercer de violences, il peut intimider l’enfant avec un regard, un ton, des gestes… Ce qui est très difficile à prouver. On est dans le règne de l’invisible, sans traces, ce qui assure une impunité à l’agresseur. La loi doit rétablir un équilibre.
Vous parlez de contrainte morale. Quand peut-on alors parler d’emprise ?
Dans le cadre d’une relation comme les situations d’inceste. Les petites filles qui en ont été victimes confondent souvent désir sexuel et amour filial. C’est d’autant plus compliqué pour elles d’établir une distinction que l’adulte leur a présenté les rapports sexuels comme une initiation. Les victimes d’inceste qui ont grandi sans autre référence pensent que ces rapports étaient normaux. Quand on les interroge dans le cadre d’une procédure, elles n’arrivent pas à faire la part des choses. Ces enfants-là, il faut les protéger. Un seuil d’âge éviterait des discussions très difficiles et culpabilisantes. Par exemple, on demande souvent aux victimes si elles ont eu du plaisir. Et parfois elles en ont eu. Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’étaient pas sous emprise et qu’elles ont voulu ces rapports.
Parler de consentement, n’est-ce pas hors sujet avec des enfants ?
Le consentement n’est pas une notion juridique. Dans les textes de loi, on utilise les mots « violence », « contrainte », « menace » ou « surprise », car, à travers un procès pénal, on juge les actes de l’agresseur. Fixer un seuil d’âge serait une belle avancée : si ce seuil avait existé pour le procès de Pontoise, il y aurait eu une instruction. Et la qualification « d’atteinte sexuelle », blessante pour la victime, considérée comme complice de l’agresseur, n’aurait pas été envisagée. D’autres avancées seraient souhaitables : augmenter le budget de la justice pour les policiers et les magistrats ; celui de l’aide juridictionnelle pour les avocats. Et poser la question de la correctionnalisation de ces dossiers. Je suis également favorable à des procès pour viol devant une cour d’assises sans jurés, avec des magistrats formés et spécialisés. Car les jurés sont plus sensibles à des arguments qui salissent la victime, comprennent difficilement les mécanismes du trauma expliquant qu’elle n’a pas réagi, ne saisissent pas toujours qu’une fellation est un viol…
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