ZAD : Parce que les temps changent…

Si le parallèle entre le Larzac et Notre-Dame-des-Landes est tentant, les deux luttes ne sont pas identiques. Décryptage au-delà des fantasmes.

Vanina Delmas  • 28 mars 2018 abonnés
ZAD : Parce que les temps changent…
Des milliers de personnes ont participé à la fête d’enterrement du projet d’aéroport, le 10 février 2018.© Jérémie Lusseau/Hans Lucas/AFP

Une banderole « Larzac 2018 » virevoltait sous les fenêtres de la préfecture nantaise, lundi 19 mars. Le message était limpide : « La gestion des terres à ceux qui l’ont défendue ». Quelques centaines d’ex-opposants au projet d’aéroport et d’occupants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes manifestaient leur vision pour l’avenir du territoire au moment où débutaient, à huis clos, les premières discussions menées par la préfète de la région Pays de la Loire, Nicole Klein.

Séparées dans le temps et l’espace, les luttes du Larzac et de Notre-Dame-des-Landes n’ont cessé d’être comparées, rapprochées, réunies, parfois jusqu’à l’amalgame. Il faut dire que les points communs ne manquent pas : les agriculteurs en première ligne, la durée du conflit et la détermination pérenne des militants, sans oublier l’issue victorieuse. En outre, les deux projets gouvernementaux ont émergé au début des années 1970, même si celui d’extension du camp militaire de La Cavalerie devait se réaliser plus rapidement. Dès lors, des liens se sont tissés : un comité Larzac s’est créé en Loire-Atlantique et le slogan « Larzac, NDDL, même combat » est apparu sur les murs, rappelle Julien Durand, opposant historique au projet d’aéroport et aujourd’hui porte-parole de l’Acipa, l’association regroupant les « anti ». Naturellement, le modèle de gestion collective des terres expérimenté sur le plateau du Larzac après la victoire de 1981 s’est mis à trotter dans les têtes dans le bocage nantais.

Utopie et autogestion étaient les maîtres-mots du Larzac. Une « utopie réelle pour éroder le capitalisme », comme dirait le sociologue américain Erik Olin Wright. Cette recherche d’un autre mode de vie est omniprésente dans tous les lieux d’expérimentations écologistes et sociales, notent Isabelle Fremeaux et John Jordan, qui ont sillonné pendant près d’un an ce qu’ils nomment « les sentiers de l’utopie [1] » européens. Que ce soit dans les camps climat, dans la « ville libre de Christiania » au Danemark, dans la ferme autogérée de Cravirola dans l’Hérault ou à l’écovillage de Zegg, en Allemagne, l’utopie est une pratique de l’ici-et-maintenant pour s’affranchir du capitalisme. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes n’y échappe pas. Il s’opère « une politisation du moindre geste », selon la sociologue Geneviève Pruvost, qui a participé au mouvement et scruté le quotidien des occupants arrivés ici pour trouver une cohérence entre leur mode de vie et leurs convictions politiques. L’existence ordinaire revêt une portée politique qui passe davantage par le faire que par le dire (voir aussi notre reportage).

Pour Sylvaine Bulle, membre du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa), il ne faut pas réduire la ZAD à son aura utopiste. La sociologue, spécialiste des violences politiques et des mouvements contestataires, s’est penchée sur le versant politique de cette forme d’occupation. « L’utopie, à savoir conquérir un bout de territoire dans le réel pour en faire autre chose, est arrivée tardivement, dans la dernière période de la lutte, précise-t-elle. Des anticapitalistes venaient pour ouvrir des brèches, tester des expérimentations agricoles et écologistes. Parallèlement, il y a un projet plus contestataire, plus global, plus frontal dans le mouvement autonome qui a émergé sur la zone. » La diversité des profils habitant la ZAD et/ou soutenant le mouvement anti-aéroport ne peut plus être niée et complique les tentatives de définition. « Notre-Dame-des-Landes est la rencontre des paysans et des anarchistes, même si c’est imparfait, même si on voit que l’avenir va cristalliser à nouveau ce rapport de force. Mais c’est une puissance d’agir qui réunit des personnes différentes, et c’est ce qui définit l’expérimentation politique, sinon la politique », poursuit Sylvaine Bulle.

La solidarité de cette myriade de composantes du mouvement a permis de tenir sur le long terme et de faire flancher le pouvoir. Mais tous gardent les pieds sur terre, chacun avec ses idéaux et ses perspectives d’avenir. Le collectif Mauvaise Troupe, constitué d’habitants et de proches de la ZAD, l’a résumé dans un ouvrage, Saisons, nouvelles de la ZAD [2], qui retrace les batailles qui ont eu lieu de janvier 2016 à l’été 2017. « Les manœuvres du mouvement ont consisté, une année durant, à dissuader l’ennemi de nous attaquer. Nous avons envahi ses ponts, ses autoroutes, nous avons marché bâtons en main, nous faisant un serment. Il tient. Et, durant tout ce temps, nous avons aussi préparé l’avenir, sans jamais faire de cet espace le cantonnement stérile d’une soldatesque à l’affût. Nos bâtons attendent encore. C’est bien la concomitance de ces deux perspectives qui a façonné la chair de cette victoire à rebonds. Et le terreau des combats à venir, tant il est évident qu’ils ne nous laisseront jamais la jouissance inconditionnelle de ce territoire. »

À l’époque du Larzac, le contexte socio-économique bénéficie d’un chômage quasi nul et de filets sociaux solides permettant de tenter un mode de vie plus radical. Le maquis du causse se densifie de jeunes venant de partout, de tous les milieux, de tous les horizons, mais avec un projet en tête. « C’était la génération après Mai 68. Excepté quelques militants purs et durs ou certains individus en errance sociale, la plupart voulaient occuper, s’installer. Et, pour avoir la légitimité de s’installer, ils développaient des carrières agricoles », décrypte Pierre-Marie Terral, docteur en histoire contemporaine de l’université Paul-Valéry Montpellier-III [3]. Un idéal de contre-culture libertaire dont le but premier n’était pas la confrontation radicale avec l’État. D’ailleurs, la ligne non-violente importée par la communauté de L’Arche et Lanza Del Vasto a guidé le mouvement jusqu’au bout. Tandis que, parmi les habitants de la ZAD, ceux appartenant à la mouvance autonome, anarchiste et insurrectionnelle ont fait éclore des formes de collectif qu’on croyait disparues, notamment liées à l’action directe.

Un mythe du Larzac s’est forgé au fil du temps, parfois par les militants eux-mêmes, consacrant cet espace montagneux comme un havre de paix pour tous ceux en quête d’un mode de vie alternatif. Comme hors du temps, hors des contraintes. Erreur. En dix années de lutte, les débats ont été récurrents, parfois houleux, parfois euphoriques. Mais les « 103 », les agriculteurs ayant refusé de céder leurs terres, ont toujours eu le dernier mot. « Après 1981, cela n’a pas été simple pour les habitants de mettre ce système alternatif et autogéré en adéquation avec la loi, alors qu’ils avaient l’eau, l’électricité, les terres, les maisons gratuitement, rappelle Pierre-Marie Terral. Même chose pour la mise en place de la gestion collective du foncier. Mais ils ont su s’entourer des bonnes personnes pour les conseiller et ont eu la chance d’avoir des interlocuteurs volontaires, notamment Michel Rocard. A-t-on aujourd’hui un pouvoir porté vers une alternative et l’invention d’une modernité nouvelle ? » Rien n’est moins sûr…

[1] Les Sentiers de l’utopie, Isabelle Fremeaux et John Jordan, La Découverte, 2012.

[2] Saisons. Nouvelles de la ZAD, Mauvaise Troupe, L’Éclat, 2017.

[3] Larzac, terre de lutte. Une contestation devenue référence, Pierre-Marie Terral, Privat, 2017.

Écologie
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