Drogues : La France accro au tout-répressif
La loi prévoyant une amende pour usage de stupéfiants peut désengorger les tribunaux mais reste de l’ordre de la pénalisation.
dans l’hebdo N° 1498 Acheter ce numéro
Trois cents euros d’amende pour un consommateur de stupéfiants pris en flagrant délit (quelle que soit la drogue). C’est ce que souhaite faire prochainement adopter la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale. Début 2017, le candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron s’était montré assez vague sur le sujet, hésitant visiblement entre la poursuite de la politique répressive française – démagogique car populaire dans l’opinion publique –, parmi les plus dures de l’Union européenne, et un timide changement de cap. Force est en effet de constater que la loi française du 31 décembre 1970 (maintes fois révisée dans le sens d’une aggravation des peines encourues), pour sévère qu’elle soit, n’a pas limité l’usage et encore moins réduit les risques sanitaires liés à celui-ci. L’échec de cette politique, qui aura bientôt cinquante ans, est souligné par la plupart des spécialistes de la question, au-delà des clivages partisans. La France compte un nombre de consommateurs de stupéfiants parmi les plus élevés d’Europe, en particulier de cannabis, notamment chez les jeunes, et la répression de l’usage des drogues illicites crée un engorgement de ses tribunaux, autant qu’une occupation exponentielle de ses services de police.
Surtout, la loi de 1970 est très peu et très inégalement appliquée : quand près de 150 000 consommateurs de stupéfiants illicites (estimation basse) étaient interpellés en 2015, seuls 1 283 ont écopé de peines de prison ferme. D’où l’idée d’une « nouvelle procédure », selon le mot de Nicole Belloubet, qui serait une « amende forfaitaire délictuelle de 300 euros », mais qui « ne viendrait pas se substituer aux autres types de réponses pénales existantes ». La ministre a précisé qu’il reviendrait aux forces de l’ordre d’apprécier « la nature du stupéfiant » avant de recourir à l’amende forfaitaire, afin d’éviter que « les personnes présentant un vrai risque sanitaire » fassent l’objet d’une simple amende. Manière de dire que cette nouvelle réponse pénale serait destinée essentiellement aux consommateurs de cannabis.
La majorité macronienne semble d’abord préoccupée de faire gagner du temps à la police et de désengorger les services judiciaires, et de ne surtout pas donner l’impression de changer une politique pénale pourtant jugée inefficace. L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) estime en effet à plus d’un million les heures consacrées par la police à l’interpellation d’usagers de drogues. Toutefois, la majorité des députés de La République en marche (LREM) refuse d’apparaître « laxiste » aux yeux de l’opinion publique. En janvier dernier, un rapport parlementaire, coécrit par les députés Éric Pouillat (LREM) et Robin Reda (LR), préconisait plusieurs pistes : l’une rétrogradant la consommation de stupéfiants de délit à simple contravention, l’autre le sanctionnant toujours en tant que délit, mais par une amende située entre 150 et 200 euros.
Avec le choix de Nicole Belloubet, l’espoir d’un relâchement de l’approche exclusivement répressive est douché. Quand bien même l’exemple d’États voisins privilégiant davantage la prévention et la protection de la santé publique a montré depuis longtemps qu’il était possible de faire baisser la consommation et le nombre d’usagers.
En décembre dernier, les parlementaires qui préparaient le rapport introductif à ce changement de réponse pénale ont entendu l’avis de deux figures de la Commission globale des politiques de drogues (1), liée aux Nations unies, Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Suisse, et le médecin Michel Kazatchkine, ex-président de l’Onusida, que le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a refusé de recevoir. « La France, avec cette réforme, fait fausse route, expliquèrent-ils ensuite à Politis, puisque cette contraventionnalisation ne sort pas d’une politique de drogues répressive, en particulier parce que la récidive d’un usage entraînerait automatiquement des peines plus lourdes, y compris l’incarcération. » Ruth Dreifuss précisait : « Il faut choisir très clairement. Pour notre part, nous recommandons la dépénalisation totale de l’usage et de la détention pour toutes les substances aujourd’hui illicites, puisqu’il n’y a aucune raison de punir quelqu’un qui se met peut-être en danger lui-même mais aucunement son environnement. Mais si l’on décide de passer du pénal à l’administratif, alors qu’on le fasse totalement ! C’est-à-dire que l’on considère que toute consommation ne relève plus que d’une contravention. » Or maintenir un principe de répression, tout en ajoutant une peine d’amende forfaitaire comme premier échelon des peines encourues, est un refus de s’engager dans une politique responsable et raisonnable. Le principe macronien du « en même temps » aboutit ici sur une impasse.
(1) Cette commission comprend de nombreux intellectuels et d’anciens chefs d’État d’Europe et d’Amérique du Sud, ainsi que Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU.