Étudiants et enseignants, ensemble dans la rue
Environ 2 000 personnes ont défilé mardi, à Paris, contre les réformes de l’enseignement supérieur, du bac, des lycées, et pour réclamer plus de moyens.
Près de 2 000 personnes ont répondu à l’appel de l’interfédérale de l’éducation et de la coordination nationale étudiante [1] mardi à Paris. L’objet du mécontentement : les multiples réformes de l’enseignement, menées au pas de charge par le gouvernement.
Sur la place de la Sorbonne, entre les drapeaux des différents syndicats présents, une écharpe tricolore attire l’attention. Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine, est venu manifester. Il s’oppose à loi ORE, « relative à l’orientation et la réussite des étudiants » depuis plusieurs mois. Ce rassemblement, plus important que les précédents, lui donne le sourire : « Je crois qu’il y a une prise de conscience, de la part des étudiants, et de la part des enseignants, qui comprennent que la réforme en cours n’intervient pas pour supprimer le tirage au sort, ce n’est qu’un prétexte. Cette loi vise au démantèlement libéral du service public, de la connaissance, de l’éducation, de l’enseignement supérieur. Et tout le monde est en train de le comprendre. »
De son côté, Marianne, enseignante dans un lycée du Val-de-Marne, est venue protester contre la réforme du lycée et du bac. Elle tient une pancarte « Stop au démantèlement de l’éducation nationale ». Pour elle, c’est bien cela dont il s’agit : « À partir de l’année prochaine les filières vont disparaître. Avec le contrôle continu, on va passer beaucoup plus de temps à faire passer des épreuves, donc moins à enseigner. Le bac, anonyme et national, va être démantelé. Tous les bacs ne se vaudront plus, leur valeur dépendra du lycée où on l’a passé, c’est scandaleux. On demande des moyens, pour accueillir les élèves, créer des postes… Il y a une hausse démographique en ce moment, et en même temps une suppression massive des postes d’enseignants, du nombre de classes, c’est sans précédent. Le nombre de contractuels, c’est à dire de professeurs non formés, précarisés, explose. »
Erhan Kadic, professeur de physique-chimie au lycée Olympes-de-Gouges de Noisy-le-Sec, et militant Snes-FSU, confirme : « Nos élèves seront forcément désavantagés, le label 93 existe toujours et sera pris en compte dans la sélection. Si on commence à fermer les portes de l’université à nos élèves, on leur ferme tous les débouchés possibles et on crée une ségrégation géographique, qui est aussi une ségrégation sociale. »
Sous un doux soleil printanier, le cortège, qui réunit des lycéens, des étudiants, des enseignants et des personnels administratifs, mais aussi des cheminots, quitte la Sorbonne en direction de la place Jussieu.
La convergence des luttes est sur toutes les lèvres en cette journée de mobilisation. Pour beaucoup, l’ensemble des réformes en cours est animé d’un même esprit politique, de la loi asile immigration à la réforme de l’enseignement, en passant par la réforme de la SNCF et toutes les « attaques » envers le service public. Pour Mohamed, cheminot, leur présence dans le cortège est une évidence : « On a les mêmes problématiques, il s’agit de défendre le service public. On doit lutter ensemble, que ce soit les étudiants, les personnels hospitaliers, les postiers… On est solidaires les uns des autres, c’est comme ça qu’on va gagner le combat contre ce gouvernement, qui essaye de détruire nos droits et le service public. »
« Libérez nos camarades ! »
La sélection à l’université, les étudiants de Paris I, Paris III, Paris V, Paris VII, Paris VIII, Nanterre, Sciences-po et de l’ENS de Cachan, n’en veulent pas. Réunis derrière des bannières mentionnant : « Frontières, éducation, halte à la sélection », ou « Universités en luttes », ils scandent : « La fac elle est ouverte, on s’est battus pour qu’elle le soit, on se battra pour qu’elle le reste ! », ou encore « Les coups de matraque c’est gratuit, la fac devrait l’être aussi ! », ainsi que « Libérez nos camarades ! », en références aux six étudiants de Nanterre, interpellés la veille lors d’une assemblée générale pacifiste.
En arrivant devant le campus de Jussieu, la manifestation s’est largement étoffée. Des étudiants organisent un sit-in et prennent le mégaphone à tour de rôle pour informer l’auditoire sur les luttes étudiantes et sociales en cours. Une partie de la foule enjoint les personnes présentes sur le campus à rejoindre le cortège. Les grilles de l’établissement étant fermées, certains tentent de passer par dessus à l’aide d’une échelle. Une vingtaine de CRS se place alors entre les grilles de l’établissement et les manifestants. Pendant un long moment se déroule une scène cocasse, où les manifestants filment les CRS, qui eux-mêmes filment les manifestants, le tout étant filmé par les médias présents.
Une enseignante, maître de conférences à l’université de Lille, observe. Pour elle, il y a une inquiétante banalisation des violences policières dans les universités : « À Lille, comme dans d’autres facs, il y a eu des interventions assez violentes. Hier, les CRS étaient chargés d’assurer le bon déroulement des examens. Ils ont quadrillé le campus et ont allègrement gazé les professeurs et étudiants qui s’étaient rassemblés contre leur présence. Tout ça était encore inimaginable il y a quelques années. Cette disproportion de l’usage de la violence par l’État choque les enseignants et renforce la mobilisation. Toutes les universités doivent se rejoindre dans la lutte contre la sélection. »
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Cette fois, les matraques sont restées accrochées aux ceinturons. La manifestation s’éparpille. Une partie des étudiants part vers le métro en direction de Nanterre, pour soutenir leurs camarades, interpellés la veille.
[1] La coordination nationale étudiante est composée d’étudiants de 35 universités mobilisées à travers la France. Elle s’est réunie à Nanterre les 7 et 8 avril.
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