Le peuple de la ZAD remonte aux barricades
Les zadistes ont reçu un soutien massif le week-end dernier et envisagent la reconstruction des bâtiments détruits par la police.
dans l’hebdo N° 1499 Acheter ce numéro
Pluie, boue, 2 500 gendarmes mobiles, Flash-Ball, lacrymogènes, grenades offensives assourdissantes qui creusent des cratères noirs dans les prairies : pas très avenante, l’ambiance, mercredi 11 avril, pour l’invitation au pique-nique champêtre lancée la veille en soutien aux habitants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Mais trop, c’est trop : le lundi, dès le début de l’opération d’expulsion, le lieu-dit des 100 Noms a été rasé en dépit de l’assurance par la préfecture de Loire-Atlantique que les projets agricoles n’étaient pas visés. « Par précaution, nous avions mis les brebis et les ânesses à l’abri, en prévision des gazages, indique Sarah (1). Mais nous pensions pouvoir rester. Qui pouvait ignorer nos activités ? » Michel a réussi à sauver une partie seulement des semences maraîchères qu’il produisait pour la ZAD. Sarah, avec quatre autres habitants, avaient constitué un troupeau collectif d’ovins, « identifié, pucé pour la traçabilité, contrôlé par les services sanitaires, et nous avions demandé un rendez-vous collectif à la Mutualité sociale agricole pour adhésion ».
C’est comme si tout ça n’avait jamais existé. Cédric a déposé dans la foulée un référé pour expulsion illégale : les 100 Noms était officiellement sa résidence principale, comme pour ses co-occupants (dont certains depuis cinq ans). Le tribunal l’a débouté, soulignant la régularité de l’ordonnance d’expulsion. Le jour du saccage, elle n’a pas pourtant pas été présentée par l’huissier. « Il nous a donné 15 minutes pour rassembler nos affaires, témoigne Guillaume, en ajoutant que nous étions mal placés pour négocier un peu plus de temps, car nous n’étions pas du bon côté du marteau ! »
Mercredi 11 avril : l’avant-garde des Vieux-Fourneaux
Ils sont plusieurs centaines à s’être faufilés en bottes et ciré dans le bocage pour éviter les barrages et rejoindre le pique-nique aux « Vieux-Fourneaux (2), camping des Cheveux blancs », comme la ZAD a baptisé ce lieu avec humour. Car les « plus de 60 ans » y sont en nombre. « La plupart ont d’étonnants parcours d’engagement ! » s’épate Jef, un habitant calé en histoire des luttes sociales.
D’autres renforts avaient rappliqué dare-dare aux premières détonations, jeunes militants rompus à la résistance de terrain, sacs de couchage sous le bras et disposés à s’installer plusieurs jours pour contrer l’opération militaire. On entend parler allemand, espagnol, anglais. D’impressionnantes barricades ont été érigées, empilement de carcasses de voitures, de pylônes de béton, de tôles, de troncs et de toutes sortes de matériaux. La ZAD est devenue un camp retranché. Le ministère de l’Intérieur, qui redoute une répétition du drame de Sivens (3), a donné des consigne de modération à ses troupes. Il n’empêche : les blessés se comptent par dizaines, et des deux côtés. Un jeune homme remonte vers la ligne de contact, figée du côté des Fosses-Noires, l’œil gauche protégé par une gaze et des lunettes noires. « Le médecin m’a dit de rester dans le noir, mais ça me déprime. » Des éclats de grenade lui ont mutilé la cornée, il ne sait pas encore si elle guérira. Une jeune femme portant un brassard de « médic » est très alarmée. « Les flics s’en sont même pris à des ambulances, pour contrôler l’identité des blessés évacués vers l’hôpital de Nantes ! »
Le pique-nique a été gazé lui aussi. Les explosions assourdissantes font monter le stress. « C’est dur ici, mais c’est un énorme succès, il a fallu plusieurs services de cantine pour nourrir tout le monde », témoigne Geneviève Coiffard, figure aux « cheveux blancs » de la résistance au projet d’aéroport.
Samedi 14 avril : Nantes à la rescousse
Si la ZAD n’est pas abandonnée à son sort, loin de là, ce ne sont encore que les irréductibles que l’on voit rappliquer. Cependant, ce qu’il faut désormais appeler « l’affaire des 100 Noms », emblématisée comme l’expression de la brutalité obtuse de l’État, met les réseaux sociaux en ébullition. « Un fiasco », titrait le très modéré et très lu quotidien Ouest-France, pourtant peu suspect d’amitiés zadistes. L’appel à manifester dans Nantes, samedi 14 avril, sera le premier vrai test de solidarité : bloquer un absurde projet d’aéroport est une chose, soutenir la ZAD et ses innovations socio-écolo-anti-capitalistes en est une autre.
À voir >> Notre vidéo « Le peuple de la ZAD se lève »
« Dans le milieu syndical, on n’est pas tous d’accord avec eux, aussi on remercie ses habitants d’avoir bien voulu décaler leur manif’ », salue en son nom propre Philippe, délégué CGT local. Car à 14 h 30, horaire initialement prévu, plusieurs mouvements sociaux en grève ont prévu une marche unitaire dans la ville. Nantes a une solide réputation dans ce domaine. « Cheminots, étudiants, même Macron, même combat ! », scande un chauffeur de manifestation. Et, déjà, de nombreux panneaux « soutien à la ZAD» fleurissent dans le cortège. C’est unanime : l’intervention dans le bocage révolte. En dépit du risque d’un contrôle policier, Jef est venu. « C’est très important pour nous que s’opère la jonction avec les autres luttes. »
Il est 16 h 30 et la voix du délégué CGT monte, dans un plaidoyer vibrant pour l’engagement des habitants de la ZAD, soulignant la proximité avec les troupes travailleuses qui rejettent la mainmise du fric sur la société, saluant la solidarité concrète qu’ils ont démontrée des jours durant avec les postiers de Saint-Herblain en grève. « Maintenant, je vous invite à rejoindre leur manif’ ! » Jef boit du petit lait : « J’en aurais pleuré ! Notre projet collectif crée un nouvel imaginaire qui régénère les luttes sociales. » La nouvelle marche qui s’ébranle dans Nantes agglutine près de 10 000 personnes. Vers 17 h 30, la tension monte entre les autonomes et les CRS. Heurts, casse, arrestations. Hilarité sur la ZAD à la lecture du tweet du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb : « Je condamne fermement les violences commises à Nantes cet après-midi. Leurs auteurs n’ont pour objectifs qu’entraver le dialogue en cours avec l’État et provoquer nos forces de l’ordre. » Conséquence, la journée de dimanche s’annonce pleine d’incertitudes : le bruit court que les accès au bocage de Notre-Dame-des-Landes vont être quadrillés par les forces de l’ordre.
Dimanche 15 avril : « Ils détruisent, on reconstruit »
Car la ZAD a lancé un appel : rendez-vous à midi à la ferme de Bellevue pour un rassemblement de soutien « avec tout se qui se construit ici ». Avertis des difficultés à venir, des centaines de sympathisants convergent tout au long de la nuit de samedi. On se gare au niveau des barricades pour finir à pied à la frontale, barda sur le dos. Dans l’ouest de la ZAD, que la résistance a momentanément préservé des expulsions, de petits groupes frappent aux portes des lieux de vie pour dégoter un coin de pré ou de paille où planter une tente. Ceux du dimanche matin rusent, contournent les contrôles par les petites routes, traversent des prairies carte en main. À Bellevue, l’esplanade est noire de monde, et il en arrive encore, orientés vers d’autres lieux. Le peuple de la ZAD est venu. « On est près de 10 000 », estime un syndicaliste paysan du collectif Copain 44. « Vous vous souvenez du serment des bâtons ? », lance Geneviève Coiffard au micro de la sono. En octobre 2016, un rassemblement des anti-aéroport s’était achevé par un vaste planter de bâtons. « Nous avions promis de venir les déterrer si jamais la ZAD était menacée. L’heure est venue ! »
Mais la geste principale du jour est autrement audacieuse : remettre debout le « non-marché » du Gourbi, place forte symbolique de la ZAD où se donne, sans transaction, le surplus des productions alimentaires. « C’est la quatrième fois qu’il est détruit par les flics, on a l’habitude », ironise un habitant. Les expulsions ont momentanément cessé, mais la préfecture a annoncé qu’aucune reconstruction ne serait tolérée.
Depuis jeudi, les charpentiers sur place se sont lancé un défi ébouriffant : remplacer le dôme de terre broyé par les tractopelles policiers par une halle en bois faite maison, à partir de grumes prélevés dans la forêt de Rohan, voisine. Les artistes de la bande sculptent la tête du poinçon des trois fermes de la charpente : un triton, emblème de la ZAD, une tête de bélier et… un doigt d’honneur. Le temps s’écoule, et la structure en kit attend sur les remorques : ça pète et fume au carrefour de la Saulce et au-delà. Les forces de l’ordre ont pris position aux points stratégiques, et notamment autour du Gourbi, les tracteurs n’y parviendront jamais. Ça conciliabule, grave, dans un coin de l’esplanade. « Nous ne pouvons pas lâcher prise, il nous faut absolument marquer le coup au vu de tous : ils détruisent, nous reconstruisons », martèle Jef. Une solution est trouvée : les deux tonnes de pièces de bois seront convoyées à dos de marcheurs dans un pré à distance du front, où les plus décidés contiennent les gendarmes. En deux heures de temps, étonnante performance, s’élève le squelette d’une élégante halle de 50 mètres carrés sous les applaudissements.
Le soleil décline. On a peine à y croire, mais la rage de reconquête n’est pas encore satisfaite. En pleine nuit, alors que les fourgons militaires sont repartis, une bonne centaine de bras soulèvent l’imposante structure pour la transporter sur un kilomètre et demi, à travers haies, fossés et prairies, jusqu’au Gourbi. Il est minuit, feux de Bengale, bouilles hilares, euphorie et ultime panache. « Demain, ils l’auront mise par terre », glisse, convaincu, l’un des charpentiers.
Lundi 16 avril : « Ils finiront par comprendre »
10 h 19, la Gendarmerie nationale diffuse les images prises par son hélicoptère. Un rhinocéros furieux fonce sur la charpente. Crachant fumée, le véhicule blindé recule, s’élance à nouveau. « Les opérations de déblaiement se poursuivent pour garantir la viabilité des axes. La charpente, déposée illégalement la nuit dernière, a été détruite. » La ZAD tient sa démonstration. Un habitant essuie sa désolation. « Nous reconstruirons, six, sept, huit fois. Ils finiront par comprendre que nous ne partirons jamais. »
(1) Plusieurs prénoms ont été changés.
(2) Référence à la fameuse BD du même nom.
(3) Rémi Fraisse y a été tué le 25 octobre 2014 par une grenade offensive lancée par un gendarme.