Même en macronie la loi Collomb indigne
Le projet de loi « asile et immigration » fait hurler la gauche et les associations, et gêne jusqu’au sein de la majorité macroniste.
dans l’hebdo N° 1499 Acheter ce numéro
Cette loi sera-t-elle l’occasion d’un vrai débat au sein de la macronie, et de vérifier qu’il y reste un peu de conscience de gauche ? Depuis le lundi 16 avril, l’Assemblée nationale examine le projet de loi « asile et immigration ». Porté par le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb – dont les propos aux relents lepénistes sur la « submersion migratoire » ont choqué –, le texte a vocation à permettre « une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ».
Voilà pour l’énoncé d’un projet fortement contesté, tant par les associations et les acteurs du secteur qu’à la gauche de l’hémicycle. La présentation du texte en Conseil des ministres, le 21 février, avait certes provoqué de légers remous dans la majorité parlementaire, jusque-là très docile. La députée LREM Sonia Krimi, opposée au texte, s’était d’ailleurs exprimée dans nos colonnes, refusant « la suspicion qui pèse sur les étrangers ». « Je ne suis pas seule sur cette ligne », avait-elle prévenu. Mais ce sont surtout les avocats des libertés qui s’étaient engagés. À commencer par le Défenseur des droits. Interrogé par la Commission des lois lors de l’examen du texte, Jacques Toubon s’était emporté face à des députés l’accusant de tenir une position « caricaturale » sur la question. « Les droits fondamentaux, ça n’est pas dans l’éther. Les droits fondamentaux, c’est sur les trottoirs du boulevard de La Villette ! », avait-il tancé, en référence à l’un des campements de migrants les plus étendus de Paris.
Vent debout contre le texte de loi, les associations et professionnels du droit d’asile dressent le même constat. Alors qu’ils multiplient les initiatives – tables rondes, états généraux des migrations, grèves… – pour alerter sur le danger de la mesure, ils n’ont toujours pas obtenu de réponse. « Nous avons des difficultés à contacter les parlementaires », confirme Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale d’Emmaüs International.
À la veille de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, une trentaine de députés La République en marche (LREM) ont néanmoins déposé quelque 200 amendements visant à adoucir ce texte. Le bât blesse notamment sur l’accueil des personnes en situation irrégulière, et surtout son humanité. « Il faut faire preuve de bienveillance, les migrants sont des personnes en souffrance, affirme Martine Wonner, députée LREM du Bas-Rhin. Ce sont des migrants, pas des délinquants. » Et son collègue ex-socialiste Jean-Michel Clément, député de la Vienne, renchérit : « Ce n’est pas une question politique, c’est une question d’humanité. »
Comme eux, plusieurs élus de la majorité déplorent la violence et la dureté des 41 articles du texte. À commencer par une importante réduction des délais. De 120 jours, les migrants ne disposeront plus que de 90 jours après leur entrée sur le territoire français pour déposer une demande d’asile. Une mesure qui, selon le texte transmis par le gouvernement, « participe de l’objectif de maîtrise des délais d’instruction et de dissuasion des demandes pouvant apparaître comme étrangères à un besoin de protection ». Comprendre : décourager les demandeurs, plus particulièrement ceux ne relevant pas de l’asile. « Sur cette question, il aurait mieux valu que le gouvernement s’abstienne », lance Delphine Bagarry, députée de la majorité dans les Alpes-de-Haute-Provence, qui rappelle que l’accélération des procédures afin de « rentrer dans les clous » a déjà cours, et qu’entre 30 et 40 % des demandes sont aujourd’hui traitées par le biais de la « procédure accélérée ». « En raccourcissant les délais, on impose aux personnels sur place de rendre un avis encore plus expéditif », prévient Jean-Michel Clément. Afin de désengorger les services des préfectures, de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), le gouvernement a, en parallèle, annoncé l’arrivée de renforts. « On peut bien rajouter 150 personnes dans les préfectures, une trentaine à l’Ofpra et quelques unes à la CNDA, mais cela ne suffit pas », estime Delphine Bagarry.
Sous couvert d’aller plus vite, la loi risque surtout d’humilier, voire de déshumaniser les migrants. Ainsi, le recours à des audiences vidéo, qui sera facilité, fait bondir Jean-Michel Clément : « Face à un écran, comment les demandeurs d’asile vont-ils pouvoir s’exprimer, parler des violences qu’ils ont subies ? » Cette célérité s’applique même jusqu’à la juridiction d’appel, puisqu’en cas de refus de l’Ofpra les migrants déboutés ne disposent plus que de deux semaines pour déposer un recours devant la CNDA, contre un mois auparavant. « Cela va toucher les plus démunis, ceux qui n’ont pas d’avocat ou qui ne parlent pas notre langue… », s’indigne Delphine Bagarry.
Mais c’est le volet « répressif » du texte qui cristallise les désaccords. L’article 8 de la loi, qui stipule que « le recours devant la CNDA n’aura plus un caractère automatiquement suspensif », compte à lui seul 27 amendements. Et pour cause : il autorise de reconduire à la frontière un demandeur d’asile avant même le jugement de la CNDA. « Comment assumer de renvoyer des personnes qui n’ont même pas encore vu leur dossier instruit ? », s’insurge Jean-Michel Clément. Pour les migrants en attente d’être expulsés – ou « éloignés » dans le projet de loi –, le délai pourrait se prolonger… dans les centres de rétention.
Maigre victoire pour les élus de la Commission des lois, qui n’a amendé le texte qu’à la marge : les 135 jours de rétention prévus par le gouvernement ont été réduits à 90… contre 45 jours aujourd’hui. Quant à l’enfermement des mineurs, il suscite la colère (lire page suivante). « C’est déjà inacceptable d’enfermer des adultes qui n’ont rien fait d’autre que de quitter leur pays pour une vie meilleure, alors des enfants ! », s’indigne Delphine Bagarry.
Si la criminalisation des demandeurs d’asile ne passe pas, celle des personnes qui les aident, non plus. Le maintien du « délit de solidarité » est l’un des points les plus discutés. Afin d’apaiser les tensions, huit députées de la majorité ont été reçues place Beauvau pour aborder ce point. « On nous a promis une surprise à ce sujet, lors de l’examen du texte de loi », se met à espérer Martine Wonner. Las, dans son interview du dimanche 15 avril, Emmanuel Macron s’est montré inflexible. S’il a promis qu’il serait « adapté », le délit de solidarité sera maintenu dans la loi, a prévenu le président de la République : « Dans le délit de solidarité, il y a des gens qui aident, consciemment ou inconsciemment, des passeurs. Ceux-là, je ne veux pas les affranchir du délit de solidarité. Parce que ce qu’ils font est grave et peut avoir des conséquences. »
Dès le mardi 10 avril, les députés LREM récalcitrants ont eu droit à un « remontage de bretelles » de la part de leur chef de file, le président du groupe Richard Ferrand : « Le débat est libre, mais il ne s’agit pas de faire battre des ministres… Quand on n’a pas réussi à convaincre en réunion de groupe, on n’a pas réussi… Sinon, on devient auto-entrepreneur, c’est-à-dire non inscrit ! », a-t-il menacé. « On ne va pas se laisser gronder comme à la maternelle », répond sèchement Martine Wonner. « C’est très violent, très autoritaire », renchérit pour sa part Delphine Bagarry, qui refuse, à ce stade, d’abdiquer : « Le risque d’exclusion, il est pris, c’est douloureux, mais il est assumé. » « Pacifiquement mais fermement », ces élus LREM tenteront donc d’infléchir la politique du gouvernement, et s’accrochent aux quelques points positifs du texte, notamment dans le premier volet de la loi consacré au droit au séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides : un titre de séjour de quatre ans contre un an renouvelable à l’heure actuelle, ou encore l’élargissement du regroupement familial aux frères et sœurs. Des mesures qui font d’ailleurs l’unanimité à gauche. « Nous voterons évidemment les articles qui assurent une meilleure protection des demandeurs d’asile », explique Danièle Obono, députée France insoumise et membre de la Commission des lois. « Ce projet est dangereux », rappelle toutefois la députée de Paris, soulignant un climat « nauséabond » autour de ces questions.
Malgré sa première audace, l’opposition LREM à Gérard Collomb reste tenue par la discipline du parti d’Emmanuel Macron, et a jusqu’ici refusé toutes les propositions d’amendements communs avec d’autres groupes, alors même qu’ils vont dans le même sens. Reste à savoir si les convictions l’emporteront, cette fois, sur la docilité. Pour le moment, l’exécutif est certain de sa domination. Et personne ne semble prendre au sérieux les propos d’Emmanuel Macron qui avait déclaré, dimanche 15 avril, que les députés étaient « libres » d’exprimer « leurs convictions ».