« Milla », de Valérie Massadian : Au bord de la mère
Dans Milla, Valérie Massadian brosse le portrait d’une femme aux prises avec la vie et la mort.
dans l’hebdo N° 1500 Acheter ce numéro
Milla et Léo ont à peine 18 ans, ce sont des jeunes « en rupture », des sans-famille. Ils dorment dans une voiture, squattent une maison abandonnée quelque part au bord de la mer, près d’un port de pêche. Dans le plan d’ouverture, ils apparaissent derrière une vitre où de la buée s’est déposée, dormant comme deux amants préraphaélites.
C’est un signe annonciateur : si Valérie Massadian, dont c’est ici le second long métrage de fiction, suit Milla et Léo dans leur vie marginale de tous les jours, empruntant à la chronique, elle pose sur eux un regard qui les sort de la grisaille naturaliste.
Milla est un film aussi singulier que ses personnages. Qu’ont-ils pourtant qui les distingue des autres ? Ils jouent, se chamaillent, rient beaucoup, ont des moments de tension. En eux se mêlent l’enfance, dont ils sortent, et la personne adulte, qu’ils ne sont pas encore. Mais Milla et Léo ont cette densité, incarnée par deux jeunes comédiens formidables, Séverine Jonckeere et Luc Chessel, que la réalisatrice sait révéler. Qu’est-ce qui fait des héros au cinéma, y compris quand la narration refuse tout spectaculaire ? Milla donne une réponse : une attention, une disponibilité à l’autre. Il n’y a jamais d’humains banals.
Le titre du film indique que cette attention est davantage encore tournée vers la jeune femme. Valérie Massadian voulait filmer Milla seule, une fois Léo disparu tragiquement. Du couple, elle était la plus fragile, la plus démunie socialement et culturellement. Elle va opposer à son deuil une résistance muette, douloureuse, mais continue. Les sentiments qui la traversent se lisent dans ses gestes, sa lenteur, et sur son émouvant visage.
Milla attend un enfant, travaille comme femme de chambre dans un hôtel, noue une relation de confiance avec sa collègue (interprétée par la cinéaste). Elle n’est pas une mater dolorosa, même si son univers se focalise ensuite sur son fils. Valérie Massadian use d’ellipses temporelles pour montrer comment la jeune femme reste en vie, propulsée définitivement dans le monde adulte et les contraintes sociales, la mélancolie à fleur de peau, mais sans résignation.
On n’insistera pas sur la dimension politique de Milla tant elle est évidente. En raison non seulement du type de personnages mis en lumière, mais par la forme même de ce film, qui se refuse aux représentations ordinaires. Le travail sur les temporalités, sur la beauté du prosaïque et sur les musiques et les sons prouve que Valérie Massadian est une cinéaste à suivre.
Milla, Valérie Massadian, 2 h 08.