Non, l’État ne va pas « investir 10 millions d’euros par jour » dans la SNCF
DÉSINTOX. Emmanuel Macron vante un investissement de 35 milliards d’euros sur dix ans pour tenter d’apaiser la colère des cheminots. La réalité est plus complexe.
C’est un élément de langage récurent dans le discours d’Élisabeth Borne, la ministre des Transports qu’Emmanuel Macron qu’a repris Emmanuel Macron dans son interview face à Jean-Pierre Pernaut, jeudi 12 avril :
L’État va investir 10 millions d’euros par jour pendant dix ans pour entretenir les lignes, pour votre sécurité, pour que les trains puissent continuer et arriver à l’heure, avoir des connexions, et que les petites lignes se développent davantage.
Une sacrée somme, que la ministre présente aussi sous la forme d’un investissement de 35 milliards sur dix ans. Elle a toutefois fait tiquer plusieurs élus d’oppositions.
« Je voudrais savoir comment ces 3,5 milliards par an sont gagés, où est-ce qu’ils figurent dans notre budget ? », a questionné Christian Jacob, chef de file des députés LR, ce jeudi en séance plénière à l’Assemblée nationale. Le PS et les Insoumis enfoncent le clou, regrettant que les explications de la ministre, depuis le début du débat, « se résument en une dizaine de phrases ».
La ministre choisit comme à l’habitude de se défendre par l’attaque. Contre les « présentations caricaturales » qui occultent un « engagement fort ». Elle avoue néanmoins qu’il ne s’agit « évidemment pas d’aller inventer des dépenses supplémentaires par rapport à la loi de finances pour cette année ».
Explications :
Selon une source interne à la SNCF, ces annonces sont en réalité des autorisations de dépenses au titre du renouvellement du réseau, délivrées chaque année par l’État au conseil d’administration de SNCF Réseau, qui gère les infrastructures.
La somme de 35 milliards est en effet planifiée sur dix ans pour le renouvellement des installations vieillissantes (remettre le réseau à neuf), explique cette même source, qui s’exprime sous couvert d’anonymat. Mais c’est SNCF Réseau qui finance quasi intégralement cette enveloppe, et ce, à partir de ses propres ressources et de deux modes de financement :
• Les péages, facturés pour chaque passage de train à SNCF Mobilités, la branche chargée de l’exploitation des trains. Ces sommes se répercutent sur le prix des billets et, concernant les petites lignes régionales, sur les collectivités locales qui en assument une partie afin de diminuer les tarifs. L’État paye environ 2 milliards d’euros de « redevance d’accès » pour que les TER puissent circuler sur le réseau.
• La dette permet de « financer » le reste des besoins.
Autrement dit, 35 milliards vont effectivement être dépensés dans les dix prochaines années, mais le gouvernement ne modifie pas l’équation fondamentale du rail français, qui se caractérise par un sous-investissement chronique qui a creusé une dette abyssale. Il ne tranche donc pas la question, au cœur du débat ferroviaire, de savoir qui de l’État ou des usagers paiera le fonctionnement du rail.
Contactés vendredi, la SNCF et le ministère des Transports n’ont pas donné suite à nos demandes d’éclaircissements.
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