Premiers de corvée*

La « journée de solidarité », que M. Macron veut multiplier par deux, pénalise peu les nanti·e·s.

Sébastien Fontenelle  • 25 avril 2018 abonné·es
Premiers de corvée*
© photo : Christophe Ena / POOL / AFP

La semaine dernière, t’en souvient-il, nous avons démontré ici même (et avec une rigueur scientifique qui ne s’était plus vue, je crois, depuis l’invention du gaufrier) qu’Emmanuel Macron était le fléau des pauvres (1).

Juste après, l’intéressé l’a du reste confirmé – dans le cours d’un entretien télévisuel avec MM. Bourdin & Plenel – en déclarant que l’instauration, pour financer quelques sécurités sociales, d’une deuxième « journée de solidarité » (JDS) lui semblait constituer « une piste intéressante ».

En effet, qu’est-ce que cette JDS qui a été inaugurée par l’excellent M. Raffarin en 2004 et que M. Macron voudrait multiplier par deux – non sans rêver, n’en doutons pas, d’un monde où il lui serait possible d’en imposer trois cents par an ?

C’est, pour le dire vite (mais assez bien), une journée (de sept heures) de travail pour laquelle les salarié·e·s ne sont pas payé·e·s : leur salaire (0,30 % de leurs émoluments annuels) est mis dans une « caisse nationale » dédiée à la solidarité avec les personnes âgées – en 2017, la JDS a ainsi rapporté 2,3 milliards d’euros à l’État.

Elle portait, jadis, un autre nom : on l’appelait la corvée. Soit, selon Wikipédia, « un travail non rémunéré imposé par un souverain [ou un] seigneur à ses sujets », et « un rouage essentiel du système politico-économique médiéval », dont l’abolition fut ensuite considérée comme un progrès par des sans-le-sou – mais nous savons que ces gens ont l’enthousiasme un peu facile.

Bien sûr, M. Macron pourrait user, pour financer plus de « solidarité », d’autres moyens que celui-ci, qui pénalise peu les nanti·e·s – on suppose, par exemple, que M. Arnault, juché sur ses milliards, vivra sans trop de souffrance qu’on lui prélève une fois l’an une microscopique fraction de son revenu hebdomadaire.

M. Macron pourrait ainsi mettre fin à une (autre) vieille tradition qui fait que l’État déverse dans le groupe Dassault, depuis de très longs ans et à de très divers titres, des aides publiques dont l’addition donne des sommes si astronomiques qu’il faudrait, pour les rembourser, beaucoup plus de JDS à 2,3 milliards d’euros que nous n’en pourrions compter dans les 400 minuscules signes qui nous séparent de la fin de cette chronique. (Plus simplement, il pourrait de surcroît exiger que son Premier ministre – qui semble juger parfois que le confort banal des Airbus républicains messied à son standing – renonce à jamais à s’affréter des avions de luxe à 380 000 euros aux frais des contribuables.)

Mais alors M. Macron ne serait plus tout à fait le fléau des riches – et, d’une telle possibilité, il ne veut manifestement pas entendre parler.

(*) Je pique ce titre magnifique, sur Twitter, à @Kesskidit.

(1) J’allais ajouter : l’Attila des fauché·e·s. Mais c’eût été injuste pour le fameux roi des Huns, qui n’était, pour ce qu’on en sait, pas plus féroce du tout que, disons, l’immonde massacreur Louis Léon César Faidherbe (1818-1889), dont tant de places et de rues – liste non exhaustive – portent chez nous le nom. (Plus de précisions chez : faidherbedoittomber.org)

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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