Tarnac : « Le procès a révélé les pratiques de l’antiterrorisme »
Le journaliste et écrivain David Dufresne explique en quoi le jugement des prévenus de Tarnac dépasse l’affaire en elle-même, à l’heure du recul des libertés publiques.
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Cité comme témoin par la défense au procès de Tarnac, David Dufresne, auteur de l’enquête Tarnac, magasin général [1], a mis en lumière la guerre des polices et l’instrumentalisation du « péril rouge » par la ministre de l’Intérieur de l’époque. Michèle Alliot-Marie n’est pas venue au procès, comme la plupart des personnalités concernées par le dossier. Les policiers ont témoigné masqués et le procureur a dû défendre seul ces méthodes de l’antiterrorisme largement méconnues, y compris parmi les professionnels de la justice.
Votre témoignage a été l’un des moments forts du procès de Tarnac. Comme avez-vous vécu cette expérience ?
David Dufresne : J’ai fait des comptes rendus de procès pendant des années à Libération, et ça n’était pas la première fois que je témoignais lors d’un procès, mais, dans ces conditions, c’était une première. Durant les trois heures de l’audition, j’ai ressenti la grande qualité d’écoute de la présidente et de ses assesseurs, la gêne du parquet et l’intense concentration de la salle. Le parquet a démoli mon enquête dans une audience suivante. Pourtant, dans son réquisitoire, le procureur a regretté que le politique ait instrumentalisé la justice. Or, mon enquête ne dit pas autre chose.
Le procureur voulait faire croire à la séparation des pouvoirs, mais celle-ci n’existe pas. Reconnaître que Tarnac est une affaire politique, que le « groupe de Tarnac » n’est pas un groupe et que l’affaire ne relevait pas du terrorisme, c’est considérable.
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Si les prévenus sont finalement relaxés, ils auront fait de la prison pour rien ?
Il faut plutôt s’attendre à ce que le jugement ne convienne pas à une des deux parties et qu’il y ait donc appel. L’affaire ira donc en Cour de cassation, puis devant la Cour européenne des droits de l’homme. Cela peut encore durer des années.
La vérité ne s’est-elle pas beaucoup échappée au cours de ce procès ?
Le doute doit profiter à l’accusé. Si le tribunal a des doutes, il ne condamne pas. La présidente du tribunal m’a d’ailleurs interrogé sur la distinction entre vérité des faits et vérité littéraire. Mais il existe plusieurs vérités : policière, judiciaire, des prévenus, des faits… Avocats et procureurs ne lisent pas non plus le code pénal de la même manière. Ce qui est injuste, c’est que les grands acteurs de l’ombre dans cette affaire ne soient pas venus témoigner : le procureur Jean-Claude Marin, Bernard Squarcini, alors directeur central du renseignement, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur… Les policiers, anonymes et encagoulés, n’étaient que des exécutants. La justice pourrait s’en sortir en disant : « On nous a apporté une affaire avec un témoin clé. Finalement, l’accusation de terrorisme est tombée, et ce témoin – qui a servi à justifier l’incarcération –, il ne faut pas en tenir compte. On ne peut donc pas juger. » Quand elle ne peut juger, la justice attend ou relaxe. Sur le procès de Tarnac, elle a beaucoup attendu. Mais ce procès a pu révéler au grand public – et peut-être même à certains professionnels de la justice – les pratiques de l’antiterrorisme. Cela donne raison à tous ceux qui se sont intéressés à cette affaire et ne l’ont pas lâchée.
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Le procès de l’antiterrorisme a donc eu lieu ?
Davantage que ce que les magistrats concernés auraient souhaité, en tout cas. Le procès de Tarnac a quasiment été un procès d’assises par sa théâtralité. La salle elle-même, disposée en demi-amphithéâtre, se prêtait à une certaine mise en scène. Ce qu’on sait depuis dix ans, c’est qu’il y a eu une revendication des sabotages des caténaires, qui n’a pas été suivie. Il y a eu quelques vagues expertises contradictoires, et l’enquête n’a porté que sur un des quatre sabotages qui ont eu lieu cette nuit-là. Mais il aurait pu y avoir d’autres témoins parmi ceux qui ont été cités et ne sont pas venus. C’est en cela que le procès de Tarnac dépasse l’affaire en elle-même. Il soulève des questions comme : qu’est-ce que la vérité ? Qu’est-ce que la politique ? Qu’est-ce que l’honneur en politique ?
L’affaire de Tarnac est née dans un certain contexte : effondrement de la droite, péril rouge et danger de « l’ultragauche ». Aujourd’hui, avec l’émergence de phénomènes comme le « cortège de tête », les gens de Tarnac semblent-ils un peu moins marginaux ?
À l’échelle de l’actualité, peut-être ; à l’échelle de l’histoire, il faut voir : dans les années 1970, de grandes manifestations se terminaient place de l’Opéra avec le saccage des banques… Mais la société est beaucoup plus sécuritaire aujourd’hui, et les libertés reculent. L’affaire de Tarnac en portait les prémices. Sauf que, il y a dix ans, les gens ne voulaient pas vraiment voir. Je ne sais pas si le procès aura fait émerger cette vérité. Reste que la justice peut merveilleusement « rendre justice à la justice » dans la résolution de cette affaire.
[1] Calmann-Lévy, 2012.