Universités : « La diversité va disparaître »

Selon Sophie Orange, sociologue à l’université de Nantes, le mouvement peut s’étendre si enseignants et parents prennent la mesure du recul historique induit par ce plan.

Erwan Manac'h  • 4 avril 2018 abonné·es
Universités : « La diversité va disparaître »
© photo : À Nantes, le 15 mars. La répression policière systématique rend la mobilisation difficile.LOIC VENANCE/AFP

Inapplicable, discriminant, décourageant… Le système de sélection à l’entrée de l’université devrait rassembler contre lui bien au-delà des étudiants et militants engagés pour la défense du service public, estime Sophie Orange, spécialiste de l’enseignement supérieur.

Le mouvement est-il en train de s’amplifier ?

Sophie Orange : Chez les étudiants, le mouvement est déjà assez mûr. Il s’est construit progressivement et a fait naître des modalités d’action variées pour informer les jeunes, qui portent leurs fruits. Chez les enseignants-chercheurs, une partie était déjà mobilisée par principe contre l’idée d’une sélection à l’entrée de l’université. Je pense que nous allons assister à un deuxième mouvement, qui mobilisera cette fois les profs qui se rendront compte très concrètement de ce que signifie la sélection en termes de charge de travail : la gestion des algorithmes mis en place dans chaque fac, le tri des dossiers, etc.

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Sophie Orange

Sociologue à l’université de Nantes

Un troisième mouvement pourra également se mettre en place lorsque les familles et les lycéens se rendront compte que nous n’aurons pas le temps de traiter sérieusement leurs demandes et de lire toutes les lettres de motivation.

Le mouvement se développe dans une tension particulière, avec la menace des groupes violents d’extrême droite et la répression policière…

C’est particulièrement vrai à Nantes avec la police. Dès que les étudiants proposent une manifestation, ils sont immédiatement encerclés par des forces de l’ordre toujours extrêmement nombreuses, avec un hélicoptère qui survole les cortèges et un usage disproportionné des gaz lacrymogènes. Il y a là une différence importante avec le mouvement de 2006 contre le contrat première embauche (CPE), que j’ai connu en tant qu’étudiante. À l’époque, personne n’avait peur d’aller manifester. Aujourd’hui, nous savons que les choses se terminent souvent mal, avec des tensions provoquées par la présence des forces de police.

Sur le fond, quel est l’objectif de la loi « orientation et de réussite des étudiants » (ORE) ?

Emmanuel Macron l’a parfaitement résumé en août, en affirmant qu’il fallait faire comprendre aux gens que « l’université n’est pas la solution pour tout le monde ». Le principe est clair : il faut remettre en question le service public de l’enseignement supérieur, ouvert à tous les bacheliers. Partant de l’idée, assez déconnectée de la réalité, que l’université serait un lieu ouvert à n’importe qui. Dans les faits, l’université est déjà assez segmentée, et les bacheliers d’origine populaire, les enfants d’ouvriers et d’employés, les bacheliers technologiques et professionnels, y sont sous-représentés.

Quelles sont les conséquences prévisibles de Parcoursup, le système de sélection mis en place par la réforme ?

Il faut s’attendre à un phénomène d’autocensure. Car les futurs bacheliers doivent constituer un dossier, établir une stratégie et justifier de certaines compétences, ce qui découragera certains jeunes de tenter d’entrer à l’université. Cela accentuera une frontière symbolique qui existait déjà.

Il y aura également un phénomène d’usure au moment de la sélection, même dans les filières qui ne connaissent pas de sureffectif aujourd’hui. Dans mon UFR de sociologie, par exemple, nous avons 450 places et nous savons que cela correspond plus ou moins au nombre d’étudiants qui veulent vraiment suivre des études de sociologie. Or, nous avons reçu 2 053 candidatures. Nous ne pouvons pas dire oui à tout le monde. Il faudra donc mettre des gens en ballottage, au risque qu’ils soient acceptés ailleurs ou qu’ils se découragent, notamment ceux qui ont peu de ressources économiques.

Nous devons aussi nous attendre à un élagage par le haut. Les profils assez brillants risquent de ne pas être sélectionnés, car nous estimerons qu’ils ne veulent pas véritablement entrer à l’université. On ne les mettra pas en premier, afin de cibler des postulants plus proches de ceux que nous avons déjà parmi nos étudiants. J’ai constaté cela dans les commissions d’entrée en BTS : les très bons profils sont écartés, car les enseignants procèdent par conjectures, en se disant qu’ils ne viendront pas à la rentrée. Ils privilégient donc des élèves moyens.

La sélection tend donc à homogénéiser les profils des étudiants. La diversité, qui était certes relative mais existait encore, va tendre à disparaître.

Il s’agit d’une rupture historique ?

Oui, il y a un double mouvement de fermeture à l’entrée et de mise en adéquation de l’enseignement supérieur avec le marché du travail. Progressivement, les notions de savoir, de culture générale, d’esprit critique, qui ne sont pas directement rentables, sont remises en question. C’est une remise en cause profonde du modèle universitaire de démocratisation et d’ouverture sur le savoir. Progressivement, les filières dont nous avons l’impression qu’elles ne sont pas rentables disparaîtront, et les frais d’inscription pourraient augmenter. Nous ne sommes qu’au début des difficultés.

Éducation
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