Avec Parcoursup, ils n’en seraient pas là…
Dès la prochaine rentrée, le bac ne sera plus suffisant pour s’inscrire à l’université, dont seront écartés les élèves de filières pro, mais aussi ceux qui ont rencontré des difficultés scolaires.
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Date butoir : le 22 mai. Ce jour-là, les premières réponses positives de Parcoursup tomberont pour les lycéens. Mais seulement pour les bons élèves. Les autres, ceux dont le dossier scolaire est jugé moins bon, se verront attribuer des réponses telles que « oui si » ou « en attente ». Avec la réforme et la loi ORE, les portes de l’université risquent d’être fermées pour eux. Pourtant, ces « mauvais » lycéens feraient-ils forcément de « mauvais » étudiants ? Réponse en trois contre-exemples.
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Sélim Derkaoui : « La fac m’a construit »
« Sans l’université, je n’en serais pas là. Ces formations ont vraiment contribué à ce que je suis devenu. » Lorsque Selim Derkaoui, jeune journaliste, raconte son parcours, il ne peut s’empêcher de tomber dans l’analyse, qu’elle soit sociologique ou politique. Il évoque pêle-mêle Bourdieu, la loi LRU et les questions budgétaires de l’enseignement supérieur. Pourtant, au lycée, sa première note en sciences économiques et sociales, c’était 1/20. « J’ai eu 17 au baccalauréat, s’amuse-t-il. Ma revanche personnelle ! » À la fin de la seconde, ses professeurs lui imposent de redoubler. Or, dans certaines formations sélectives, les redoublements dans le secondaire génèrent un malus. Et si c’était le cas pour le classement des dossiers de Parcoursup à la fac ? Dans une logique de sélection, les redoublants se retrouvent désavantagés.Au moment de l’orientation en première, on propose au jeune homme d’aller en filière technologique. Il le vit comme une injustice et refuse : « Un de mes camarades, fils de prof, avait les mêmes notes que moi, mais lui était accepté en première générale. J’avais vraiment l’impression que STMG [sciences et technologies du management et de la gestion, NDLR] était la voie de garage pour les Arabes. » D’ailleurs, quelques années plus tard, il retournera dans le bureau du proviseur pour défendre le passage en première S de sa petite sœur. « Elle aussi, on voulait l’envoyer en STMG. Résultat ? Elle a eu son bac et est en deuxième année de licence ! » Leurs parents connaissent mal les codes scolaires. Pour eux, ce qui compte surtout, c’est le diplôme, qu’importe la filière. En cours de sciences économiques et sociales, Selim découvre Pierre Bourdieu et la notion de déterminisme social, mais sans appliquer celle-ci à sa propre situation. « Il m’a fallu l’université pour cela », ironise le jeune homme de 26 ans.
En 2010, le lycéen décroche son bac avec mention assez bien. « Une victoire : j’étais le premier de la famille à l’avoir. » Il s’inscrit en licence de droit mais arrête au bout de quatre mois, faute d’intérêt. Il erre un peu, s’oriente en géographie, échoue au concours de Sciences Po-Grenoble. « Je pense que c’est normal d’hésiter, de se tromper. Encore plus quand on n’a pas de stratégie scolaire familiale ! » Finalement, l’année suivante, il s’inscrit en histoire, où il découvre la lecture, « pas seulement comme une contrainte scolaire ». Il dévore les manuels de Bernstein et Milza. Si ses notes ne sont pas extraordinaires, ces années lui ont permis de se construire, « ne serait-ce qu’en tant que citoyen », estime-t-il. « L’université m’a marqué. » D’ailleurs, il choisit de faire ses études de journalisme au Celsa, « pour son côté enseignement universitaire ». Actuellement en dernière année, il est en contrat d’apprentissage dans l’émission de Frédéric Taddeï sur Europe 1. « Lui, il a fait sept cursus différents à l’université sans dépasser la première année », sourit-il.
Ismael Ben Youssef : « Quelle utilité du diplôme si tu n’aimes pas ton travail ? »
Lorsqu’un des professeurs demande à ses élèves de BEP de se projeter dans le futur, tous parlent de carrière dans le commerce. Pas Ismael Ben Youssef. Lui évoque la possibilité de continuer ses études à l’université. « La réponse du professeur ? “Laissez tomber, on ne vous prépare pas à ça.” Il n’a pas été méchant, juste honnête. Ça m’a encouragé à mettre les bouchées doubles. » Lorsqu’il raconte son parcours « atypique », le trentenaire devient instantanément sérieux. Il met calmement un mot sur sa période du collège : « échec scolaire ». « Il y avait différentes raisons, explique-t-il. Le divorce de mes parents, le cancer du sein de ma mère… » Collégien dans un établissement privé, il accumule les mauvaises notes, sauf en histoire. « Quand tu as 6 de moyenne générale, tu es content d’avoir 14 dans une matière, même si ce n’est pas forcément une très bonne note », relativise le jeune homme. Il redouble sa 6e, puis sa 4e. Après le brevet, on lui impose d’aller en section professionnelle. « Au moins, on m’a laissé le choix de la filière », plaisante-t-il. Sans grande conviction, il se dirige vers le commerce, « par attrait pour l’argent », et commence un brevet d’études professionnelles en vente action marchande. « On était très bien encadrés. Les professeurs nous poussaient : avec juste un BEP, on n’a rien. » Il continue donc avec un bac professionnel en alternance. « Là, c’était plus dur. Je galérais entre le travail et les études. Je m’absentais beaucoup et faisais le minimum. » Lorsqu’il s’ennuie en cours, il lit des livres d’histoire, surtout sur les Templiers. « Et un peu Jacques Le Goff. » À 22 ans, il obtient un BTS management des unités commerciales, mais ne se sent vraiment pas épanoui. « Un diplôme, c’est bien pour travailler. Mais quelle utilité lorsque tu n’aimes pas ce que tu fais ? »Le jeune homme s’inscrit en fac d’histoire en 2010, presque sur un coup de tête. « Je n’aurais jamais pu le faire avec Parcoursup », affirme-t-il. L’une des craintes concernant la réforme, en effet, est qu’elle ferme la porte aux bacheliers pro, lésés par les prérequis. L’argument du gouvernement est leur faible représentation dans les licences (8 % en 2016), mais surtout leur faible taux de réussite, qui est de 5 %. Pourtant, Ismael fait partie de ceux-là. « En arrivant, j’ai eu pas mal de difficultés : j’ai triplé ma première année. Je n’avais aucune méthodologie. » Encouragé par ses professeurs et surtout passionné, il persévère tout en travaillant à côté. « Je n’étais pas boursier, donc, financièrement, c’était assez compliqué. » Il finit par décrocher sa licence et s’inscrit un master. Il a 30 ans et obtient 17/20 à son mémoire.
« Pour moi, la licence, ce n’est pas pour se préparer à un emploi, c’est se former l’esprit, acquérir des connaissances pures. » Intéressé par la transmission et la vulgarisation de l’histoire, il s’oriente vers un master professionnel et effectue actuellement son stage au musée de l’Armée. Lorsqu’il évoque son travail, Ismael s’emballe. Parle d’une épée retrouvée qui daterait du XVIIIe siècle. « On pense qu’elle a été volée, mais je n’en suis pas sûr. J’ai passé mes journées aux Archives pour trouver des indices. » Il commence à énumérer les indices, raconte ses recherches, décrit l’objet. L’année prochaine, il se présentera au concours d’attaché territorial de conservation du patrimoine.
Caroline P. : « À 17 ans, on manque de maturité »
Selon ses mots, elle a toujours été une « élève moyenne ». Pour en arriver aujourd’hui à enchaîner les stages aux Nations unies, Caroline P. a parcouru bien du chemin ! D’abord, le baccalauréat : deux mois avant l’examen, c’est le sursaut. « Au lycée, j’avais arrêté de travailler pour des raisons personnelles, explique la jeune femme de 23 ans. Mais je voulais absolument quitter le lycée, et j’ai pris conscience que la seule porte de sortie était ce diplôme. » Malgré de mauvaises notes, elle ne se décourage pas et se met au travail. À force d’acharnement, elle décroche son bac L aux oraux de rattrapage. « Quand on a 17 ans, on voit mal où ces efforts vont nous mener, à quoi cela nous servira plus tard. Je n’étais pas convaincue de ce que je voulais faire. Et puis je n’étais pas encouragée par mes professeurs. » Ses enseignants lui donnent même un avis défavorable pour son orientation post-bac. Mais, là encore, elle s’entête et réussit à passer outre. Difficile d’imaginer un scénario pareil avec Parcoursup. Les universités doivent classer les étudiants : le dossier scolaire, composé des notes et des appréciations des professeurs, est le premier élément pris en compte. Au vu de son dossier, Caroline aurait eu peu de chances d’entrer à la fac.
Pourtant, en 2012, la bachelière arrive en première année de licence de droit, dans une université parisienne. Elle se retrouve en difficulté. « Je devais travailler deux fois plus que les autres », affirme-t-elle. Caroline redouble sa licence 1 mais s’accroche : « Pour la première fois, j’étudiais quelque chose qui me passionnait. » En troisième année, elle part en Erasmus à Vienne, y apprend l’anglais et obtient sa licence avec mention assez bien. Surtout, la jeune fille a un coup de cœur autant pour le pays que pour son système d’enseignement supérieur. « En Autriche, les universités sont très faciles d’accès. J’ai surtout adoré le fait que les professeurs soient autant à l’écoute. » Elle choisit de rester à Vienne et y termine son master en droits de l’homme. En septembre, elle sera en stage aux Nations unies, pour la troisième fois.
« Dans mon lycée, les questions d’orientation étaient un peu biaisées, se rappelle Caroline. Les conseillers ne nous parlaient pas de tous les parcours sous prétexte que nous étions mauvais. On n’a même pas eu toutes les informations nécessaires pour faire nos choix. » Elle s’indigne en évoquant Parcoursup : combien d’élèves qui, comme elle, n’auront pas développé toutes leurs capacités au lycée seront laissés de côté ? « À 17 ans, on ne sait pas tout, on manque de maturité pour décider de manière précise de son avenir. De plus, cet avenir se décide sur les notes de lycée. C’est complètement inadapté. » La jeune fille imagine travailler un jour pour le ministère de l’Éducation. « Pour qu’on fasse enfin des réformes dans l’intérêt des étudiants, et qui promeuvent l’égalité des chances. »