Des économies de fonctionnaires
La réforme de l’État voulue par Emmanuel Macron suppose des suppressions de postes drastiques. Les services publics sont dans le viseur.
dans l’hebdo N° 1503 Acheter ce numéro
Tête droite, regard fier et poigne de fer, le gouvernement garde un infaillible aplomb de façade dans le tango engagé avec les syndicats de fonctionnaires – même s’il multiplie, ces dernières semaines, les pas de côté, temporisant avant de livrer les annonces qui ne manqueront pas de créer un choc. Il faut dire qu’il danse sur un volcan, car les neuf syndicats représentatifs des trois fonctions publiques (hôpitaux, État et collectivités) seront dans la rue le 22 mai, alors que les gros travaux n’ont pas encore commencé.
Peu importe les agitations, donc, le calendrier de la réforme de l’État et des services publics reste officiellement inchangé. À peine retardée par les travaux de chiffrages entamés à Bercy, la remise du rapport du Comité action publique 2022 (Cap 2022) – ce groupe de 34 experts chargés de faire des propositions au gouvernement –, initialement prévue fin mars, doit intervenir avant la fin mai. Sans doute au lendemain de la journée de mobilisation du 22 mai. Le gouvernement piochera ce qui l’arrange dans ces propositions, sur lesquelles il travaille déjà, écartant certaines mesures repoussoirs pour adoucir les apparences.
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Le fond, en revanche, s’annonce particulièrement dur. Cap 2022 doit permettre la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires. Il s’agit donc de durcir le mouvement amorcé avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) par Nicolas Sarkozy. Le candidat Emmanuel Macron attendait 60 milliards d’euros d’économies, voire plus si la croissance devait rester forte, suivant un objectif de baisse des dépenses publiques équivalente à « trois points de PIB ». Des ambitions qui laissent songeurs les syndicats de fonctionnaires, qui s’estiment déjà « à l’os ».
Pour y arriver, le gouvernement se base sur le même présupposé que pour la réforme du code du travail et de la SNCF. Il faut mettre à bas les « rigidités » du statut de fonctionnaire. Lever les « sujets RH » (ressources humaines) qui brident le « cœur du réacteur » et empêchent la mutation des services publics. Le statut de fonctionnaire est donc une cible privilégiée, comme Emmanuel Macron ne l’a jamais caché.
En deuxième lieu, le gouvernement mise sur la dématérialisation de 100 % des services publics d’ici à 2022, pour faire des économies et améliorer les services publics, auxquels, rappelle l’exécutif, les Français restent attachés. Une enveloppe de 700 000 millions d’euros a été débloquée pour mettre l’État, les collectivités et les services publics à l’heure de l’intelligence artificielle, de la blockchain et du big data, et dégager des gains de productivité. La « modernisation » des services publics devra aussi passer par une généralisation des enquêtes de satisfaction auprès des usagers et la mise en place d’indicateurs de performance, suivant l’inspiration du néo-management, qui s’appuie sur un « reporting » systématique. Mais, en guise d’amélioration, l’exécutif table surtout sur une « simplification des normes » et des démarches administratives, et sur le droit à l’erreur offert aux entreprises.
Troisièmement, il ne fait pas mystère de sa volonté de piocher dans les budgets les plus gourmands pour générer les plus grosses économies. Comme la Sécurité sociale, les retraites ou les allocations-chômage des 800 000 « permittents » qui cumulent une activité à temps partiel avec un petit pécule de Pôle emploi. Les règles pourront en effet évoluer par décret après le vote de la loi sur le chômage et la formation professionnelle.
La baisse des APL et des emplois aidés a déjà permis de ponctionner les « grandes masses budgétaires ». Le gouvernement pourrait aller plus loin en « simplifiant » le versement des aides sociales, en prenant davantage en compte le patrimoine des allocataires et en appliquant le « versement social unique » évoqué pendant la campagne.
Enfin, il faut s’attendre à un recul des services publics, sous la forme de délégations au privé, de mises en concession ou d’ouvertures à la concurrence. « La transformation numérique permet de revoir l’organisation de nos réseaux », a confirmé Thomas Cazenave, délégué interministériel à la transformation publique, lors de la restitution d’une consultation sur la future réforme, le 2 mai. En clair, des services publics de proximité devraient être remplacés par des plateformes informatiques.
La coupe s’annonce également sévère dans l’audiovisuel, jusqu’à 500 millions d’euros d’économies d’ici à 2022, croient savoir Les Échos, soit 13 % du budget total des groupes audiovisuels publics et l’équivalent du budget de Radio France (609 millions). Quant aux hôpitaux, qui ont déjà essuyé 6,8 milliards d’euros de baisse des dépenses de santé en 2018, ils devront consentir 1,2 milliard d’euros de baisse de masse salariale avant la fin du quinquennat (1). Autre piste d’économies, la mise en concurrence de Pôle emploi est « évidemment » une hypothèse envisageable, lâche aussi une source interne à l’opérateur public, malgré les démentis du gouvernement.
Sur la méthode, la réforme qui se prépare a été pensée comme un rasoir à quatre lames. La première sera le Cap 2022, chargé de livrer un éventail de propositions et d’identifier les missions que l’État peut _« transférer » au privé ou aux collectivités, fusionner entre elles ou simplement supprimer. Sa feuille de route et sa composition, on ne peut plus claire, révèlent une volonté de ne pas faire dans la demi-mesure.
La deuxième a déjà commencé à œuvrer en sous-main et devrait être encore discutée de long mois avec les syndicats. Il s’agit de quatre chantiers concernant directement les fonctionnaires : le « dialogue social renouvelé », qui devrait déboucher sur une fusion des instances représentatives du personnel ; l’incitation au recrutement hors statut ; l’individualisation des rémunérations ; et la formation et la mobilité. Un « plan de départs volontaires » devra également être imaginé pour fluidifier les réorganisations de service. Au bout du processus, le statut de fonctionnaire ressemblerait de plus en plus à une coquille vide.
La troisième lame s’affûte dans tous les ministères, chargés d’identifier en leur sein, avant l’été, les « réformes structurelles » imaginables pour dégager des économies, avant de les porter eux-mêmes. Suivant cette méthode « quasi managériale », les ministres ont dû passer chacun leur tour un « oral » devant le Président pour faire un point sur leur feuille de route. L’exécutif espère que, en les responsabilisant, il évitera les « couacs » et s’assurera leur engagement inconditionnel.
La quatrième lame concerne les finances des collectivités locales. Le gouvernement ne parle plus de baisse des dotations de l’État, mais de « contrat » visant à ne pas augmenter les dépenses de fonctionnement (2). Le carcan budgétaire fixé est tel que Stéphane Gatignon, à Sevran, a démissionné en mars de son mandat de maire, et que le maire de Gennevilliers a refusé de signer le « contrat ».
L’agenda social s’annonce donc chargé. Outre la manifestation unitaire du 22 mai, les membres du gouvernement sont attendus le 16 mai sous l’autorité du Premier ministre puis le 30 mai auprès du président de la République pour parfaire leur plan d’action.
(1) Document de travail de la Direction générale de l’offre de soins, mis en ligne par le site spécialisé Hospimedia.
(2) Pas plus de 1,2 % ou de 1,5 %, selon la mairie de Gennevilliers.