Emmanuel Macron : Chevauchée personnelle
Sur la scène internationale, l’hyperactivité du Président vise avant tout à redorer le blason français. Mais, peu fructueuse, elle risque aussi d’être contre-productive au Proche-Orient.
dans l’hebdo N° 1501-1502 Acheter ce numéro
La récente visite d’Emmanuel Macron aux États-Unis restera sans nul doute l’une des images fortes de son quinquennat. Surjouant ses atouts – séduction, jeunesse, flatterie puis franc-parler, maîtrise de la langue anglaise –, il est parvenu à hisser son clinquant numéro de duettistes avec Trump au rang d’un tête-à-tête entre très grands de ce monde. Du moins en apparence. Car, si les médias des deux côtés de l’Atlantique ont accompagné l’événement avec une rare minutie, la forme a souvent submergé le fond dans les commentaires. Ce n’est pas un hasard, tant fut soignée la mise en scène des trois journées de cette « visite d’État », la première concédée par Donald Trump à un chef d’État étranger, et tant furent insignifiantes les avancées diplomatiques.
Éclairante rencontre, car, plus que toute autre depuis un an, elle imprime le style et les objectifs de Macron en politique étrangère : une chevauchée personnelle dont le but premier ne serait pas tant de décrocher des résultats tangibles que de redonner du crédit à la France sur le terrain diplomatique.
« France is back ! », clamait le Président à Davos, en janvier dernier, dans une allocution devant un parterre de grands patrons et de dirigeants de la planète. La France est de retour, c’est indéniable, si l’on juge l’impact des prestations macroniennes au volume de commentaires séduits émis de l’étranger. « Jusqu’à ce jour, je n’avais rien à envier aux Français à part la baguette et le vin, a twitté le député démocrate Gerry Connolly à la suite du discours de Macron devant le congrès états-unien. Inspiré, audacieux, ferme défenseur de la démocratie et prêt à prendre les armes pour la défendre : voilà ce que la plupart de nos compatriotes aimeraient entendre de la bouche de leur président. »
Novice en matière internationale à son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron a pris pied en une année sur l’ensemble des terrains internationaux où il ambitionne d’avoir une influence. De réceptions à Paris en voyages à l’étranger (43 !), il a rencontré Trump, Poutine, Xi Jinping, Modi (Inde), Netanyahou, Erdogan, Mohammed Ben Salmane (Arabie saoudite), etc. Et en dehors de l’Europe, où il a bien sûr échangé avec les principaux dirigeants, Macron a privilégié les visites au Maghreb et en Afrique de l’Ouest francophone. En chaque occasion, il a tenu à faire apparaître la France comme un allié ou un partenaire de premier rang, qu’il s’agisse de politique ou d’économie.
Cette offensive tous azimuts illustre la conception de l’indépendance qu’Emmanuel Macron défend en matière de politique internationale : une France capable de parler avec tout le monde, médiatrice, à l’aise pour s’inviter au cœur des grands enjeux diplomatiques du moment, avec une priorité donnée à la lutte contre le terrorisme.
La conjoncture planétaire, très incertaine, a servi ce dessein. May empêtrée dans le Brexit, Merkel politiquement affaiblie, l’imprévisible Trump en chien dans le jeu de quilles international, Poutine de plus en plus infréquentable : l’habile Macron s’est opportunément glissé dans les espaces libres, comme il a su le faire pour conquérir l’Élysée.
Néanmoins, cette activité vibrionnante s’apparente pour le moment à une gesticulation, tant elle reste stérile. Les interventions bien balancées du globe-trotter n’ont pas fait bouger d’un pouce la crise des migrations africaines ou le conflit ukrainien. À Washington, il n’a en rien infléchi la volonté de Trump de lâcher l’Accord de Paris sur le climat ou de taxer l’acier et l’aluminium européens.
Si Macron défend l’utilité diplomatique, dans la durée, de son ballet copain-copain avec le président états-unien, celui-ci est pourtant de nature à nourrir une réelle préoccupation pour le Proche-Orient. Macron, qui prétend défendre l’accord sur le nucléaire iranien (1), l’a pourtant jugé insuffisant, à l’unisson d’un Trump déterminé à le dynamiter dès le 12 mai et vaguement d’accord avec la proposition française de mettre en chantier un accord plus dur, visant à limiter l’influence régionale de l’Iran (qui soutient Al-Assad en Syrie). Colère de Téhéran, mais aussi désapprobation de Berlin. Mi-avril, Macron et Trump se passaient de l’aval de l’ONU pour décider de frappes aériennes en Syrie. Quelques jours avant, Macron recevait amicalement le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane : foin d’indépendance et de volonté médiatrice, Paris s’affiche clairement dans l’axe Washington-Riyad-Tel-Aviv face à l’Iran dans un Proche-Orient sous haute tension.
C’est cependant dans le périmètre de l’Union européenne que Macron est le plus attendu sur le front diplomatique. Très en verve dans sa volonté de « refonder » l’UE lors de sa campagne présidentielle, il a précisé la liste de ses propositions dans un discours prononcé à la Sorbonne en septembre 2017 : dans une Union toujours aussi libérale, davantage de fédéralisme, de sécurité, d’équité sociale, un meilleur accueil des migrants, l’accélération de la transition énergétique et numérique, etc., quitte à assumer une UE à deux vitesses pour les pays qui ne s’embarqueraient pas dans les réformes – celles qu’il veut lancer.
Mais, alors que son élection avait fait naître chez les europhiles l’espoir de voir secouée l’inertie de l’UE, l’excitation est retombée. Tout comme à l’échelon mondial, Macron apparaît en cavalier solitaire, et d’un aplomb presque dérisoire. Le Conseil européen de fin mars devait donner le coup d’envoi de la réforme de la zone euro : un flop, renvoi sine die. L’Allemagne, où Merkel patauge dans son accord de coalition, est en pause. L’Italie est dans l’incertitude complète après des élections qui ont bouleversé les équilibres politiques. Et, alors que s’affirment des gouvernements conservateurs et autoritaires dans une Union politiquement de plus en plus hétérogène, le réformiste Macron peine sérieusement à coaliser autour de sa stratégie. La leçon la plus saignante lui a été administrée au Parlement européen à Strasbourg, le 17 avril, par l’écologiste belge Philippe Lamberts, lequel a remis une corde d’escalade au Président, en référence aux « premiers de cordée » : « Chaque fois que vous agirez pour une Europe plus juste, plus durable et plus démocratique, nous serons à vos côtés. À défaut, vous nous trouverez sur votre route », a-t-il asséné, après avoir confronté les belles intentions européennes aux actes de celui qui, dans son pays, « précarise les travailleurs et fait des cadeaux aux riches », vend des armes à des régimes « qui les retournent contre leur propre peuple ou leurs voisins », et dont la police « lacère tentes et sacs de couchage de migrants ».