« En Polynésie, la souveraineté politique est envisageable »
Membre du parti indépendantiste Tavini Huiraatira* depuis 2013, Moetai Brotherson plaide pour l’installation d’un processus d’autodétermination.
dans l’hebdo N° 1504 Acheter ce numéro
Après en avoir été retirée en 1963, la Polynésie française a obtenu en 2013 sa réinscription sur la liste des territoires « à décoloniser » de l’ONU. Une mince victoire pour cet ensemble d’archipels du Pacifique, qui souhaite que les discussions pour mettre en place un processus d’indépendance soient amorcées. Sans grand succès jusqu’ici, déplore Moetai Brotherson, le seul député du parti indépendantiste à l’Assemblée nationale.
La Nouvelle-Calédonie décidera de son indépendance par référendum le 4 novembre. Où en est la Polynésie ?
Moetai Brotherson : Nous n’en sommes pas du tout au même stade. En Polynésie, aucun processus d’autodétermination et d’indépendance n’a été mis en place. Tout comme la Nouvelle-Calédonie, nous disposons d’un statut départageant les prérogatives de l’État et celles de la collectivité, mais notre indépendance reste limitée à ça. L’État conserve les compétences régaliennes (monnaie, justice, défense, immigration…), et l’exécutif local, qui dispose de ministres et d’un président, est compétent en matière de santé ou d’éducation. Certains domaines sont partagés, comme la fiscalité. La Polynésie ne prélève pas d’impôts sur le revenu : 60 % des impôts que nous percevons sont des taxes indirectes, pour la majorité sur la consommation. Dans un territoire où toute l’économie est fondée sur les importations et dont les capacités de production sont faibles, cela représente une manne importante.
Moetai Brotherson
Député de la 3e circonscription de la Polynésie française depuis le 21 juin 2017.
En 2013, le président de l’époque, Oscar Temaru, a obtenu que la Polynésie soit réintégrée dans la liste des territoires à décoloniser. Pourquoi en avait-elle été retirée ?
La liste a été créée en 1946 et la Polynésie y a figuré jusqu’en 1963. Cette année-là marque l’installation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) et le début des essais nucléaires en Polynésie. Face à l’ONU, la France du général de Gaulle était claire : « Pas question que les Nations unies viennent mettre le nez dans les affaires nucléaires. » Depuis la création du parti par Oscar Temaru, en 1978, Tavini Huiraatira s’est fait un devoir d’obtenir la réinscription sur la liste. Dès lors, nous avons dû faire face à une opposition brutale de la part de la France. Les pays qui nous soutenaient nous ont rapporté avoir été l’objet de menaces. Comment expliquer ce détestable lobbying ? Les efforts d’Oscar Temaru et du sénateur Richard Tuheiava ont cependant fini par payer, et la Polynésie figure de nouveau sur la liste des pays à décoloniser depuis le 17 mai 2013. À l’époque, pour la France, ça a été un terrible camouflet. Et ça l’est toujours.
La situation à l’ONU est ubuesque. Lorsque sont évoquées les velléités d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, les émissaires français sont dans le dialogue ; lorsque notre cas est abordé, ils sortent carrément de la salle ! Cette dichotomie est d’autant moins compréhensible que nous ne réclamons pas une autonomie immédiate, mais le lancement du processus d’autodétermination sous l’égide de l’ONU, justement. Nous ne souhaitons pas que ces accords interviennent dans un contexte bilatéral.
Sous quel statut souhaitez-vous prendre votre indépendance ? À quelle échéance ?
Il faut d’abord tordre le cou aux mythes : l’indépendance économique n’existe pas et ne peut exister en 2018. Pour la Polynésie comme pour les autres. Aucun pays ne peut se déclarer indépendant économiquement. Pas plus la France que les États-Unis, dont la dette est détenue à 20 % par la Chine. Justifier nos attentes d’indépendance en plaidant pour une autarcie économique serait tromper la population polynésienne. Une souveraineté politique est en revanche tout à fait envisageable. Le statut d’État associé que détiennent à l’égard des États-Unis les Îles Marshall et la Micronésie est sans doute une solution. Certaines compétences ainsi qu’une partie de l’activité économique et de l’action publique pourraient rester détenues par l’État français. Nous ne pourrions nous priver des 240 milliards de francs Pacifique que nous recevons annuellement ainsi.
Il faut d’abord réorganiser l’économie polynésienne et la faire sortir de la bulle dans laquelle elle est artificiellement maintenue. Il est anormal que notre niveau de vie soit comparable à celui de pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Notre économie n’est pas fondée sur la réalité de nos ressources. Le système fiscal polynésien favorise les importations au détriment de la production locale ; il faut l’asseoir sur la réalité de nos ressources et actionner nos leviers de croissance. Nous avons deux piliers sur lesquels nous pourrions nous appuyer : le tourisme et le secteur primaire. Pourquoi ne pas les développer avant de déclarer de manière fracassante notre indépendance ?
Quels rapports entretiennent les Maoris avec l’État français ?
Si demain nous demandions par référendum « Êtes-vous pour l’indépendance ? », le « non » l’emporterait haut la main. J’entends souvent ce discours : « Sans la France, nous vivrons dans la misère. » C’est faux ! Nous sommes une population de 275 000 personnes, comme l’Islande. Celle-ci n’est-elle pas indépendante ? Le détachement doit se faire progressivement. Avant toute chose, il faut mettre en place le processus d’autodétermination et éduquer la population : sur les essais nucléaires, la culture maorie… Certains pensent encore qu’au moment de la colonisation la Polynésie s’est donnée avec joie. On oublie les morts, les résistances et les batailles menées.
En 1996, la France a effectué ses derniers essais nucléaires dans des atolls polynésiens. Des demandes de réparation ont-elles été faites ?
L’arrivée du CEP a marqué un tournant dans notre histoire. Les essais nucléaires sont une manifestation très concrète de la colonisation. Ce choix de l’État français nous a été imposé. De Gaulle avait mis le couteau sous la gorge des élus locaux : le CEP ou un gouvernement militaire en Polynésie. Se sont ensuivis trente ans de mensonges d’État. À l’époque, on parlait d’essais « propres », sans danger pour les populations et l’écosystème…
Nous ne pouvons demander réparation : nous sommes un territoire français sur lequel l’État exerce de plein droit. Mais, ces dernières années, il y a eu une reconnaissance de l’impact du nucléaire. Lors de son déplacement en 2016, François Hollande a reconnu des conséquences sanitaires, environnementales, économiques et sociales. Mais personne ne nous a présenté d’excuses pour les millénaires de radioactivité qui nous attendent…
En Nouvelle-Calédonie, les revendications indépendantistes ont pu générer de la violence, pourquoi n’est-ce pas le cas en Polynésie française ?
La question qui sera formulée lors du référendum en Nouvelle-Calédonie – « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » – est un peu brutale et exclut d’emblée la possibilité de devenir un État associé. En Polynésie, le contexte est différent. Quand je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie en 2009, j’ai été frappé par la sorte d’apartheid qui y règne. Les Kanaks et les Blancs ne se mélangent pas. Il y a ce slogan qui veut que tous aient un « destin commun ». Quand on discute avec les gens, beaucoup le complètent en plaisantant : « Oui, mais chacun chez soi. » La Polynésie est un territoire beaucoup plus métissé. J’en suis l’exemple.
Lorsque nous avons obtenu notre inscription sur la liste des territoires à décoloniser, la veuve du fondateur du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), Marie-Claude Tjibaou, nous a félicités d’avoir obtenu cette inscription « sans une goutte de sang ». Nous allons continuer dans cette voie.
* « Servir le peuple » en tahitien.