La gauche atomisée
Durement défaits en 2017, les partis de gauche restent convalescents mais s’accordent, avec des stratégies diverses, sur un ennemi commun : Macron.
dans l’hebdo N° 1501-1502 Acheter ce numéro
À gauche, rien de nouveau. Ou si peu. Alors que le président de la République est issu du sérail socialiste – même s’il n’a jamais adhéré au PS –, force est de constater que la politique portée par son gouvernement se situe à des kilomètres des idéaux constitutifs de la gauche. « Emmanuel Macron s’est greffé sur une gauche malade, le PS de François Hollande », analyse Fabien Guillaud-Bataille, conseiller régional PCF d’Île-de-France. Réforme du code du travail, pacte ferroviaire, loi asile et immigration, justice… « Il en a révélé le pourrissement néolibéral », insiste-t-il.
Emmanuel Macron, fidèle à ses promesses de campagne, mène ses réformes tambour battant, quitte à réduire le poids des parlementaires. Alors que les élus de droite – Front national compris dans le cas de la loi asile et immigration – votent le plus souvent sans sourciller les textes du gouvernement d’Édouard Philippe, les élus de gauche peinent à s’imposer, surpassés en nombre par la pléthorique majorité élue dans la foulée de la présidentielle de 2017. À l’Assemblée nationale, ils ne sont que 63 (15 pour le groupe constitué autour du PCF, 17 pour la France insoumise et 31 pour Nouvelle Gauche, autour du PS), soit à peine plus de 10 % du total. En face : la majorité des 312 députés La République en marche et des 47 du MoDem, et les groupes de droite – 32 UDI-Agir, 102 LR et 8 FN (qui ne forment pas un groupe).
Et les rangs de la gauche ne vont pas en s’étoffant. Lors des cinq élections législatives partielles qui ont eu lieu depuis six mois, seul un socialiste, Joël Aviragnet, a réussi à l’emporter. Malgré ce zéro au compteur, « la France insoumise fait de bons résultats », se félicite Manuel Bompard, directeur des campagnes du mouvement. Fier du résultat de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, où le candidat a récolté 19,6 % des suffrages, le groupe se rêve en « premier de cordée » de l’opposition. Mais la FI « n’est pas seulement une force d’opposition, c’est une force qui aspire à exercer le pouvoir », insiste Manuel Bompard.
Les stigmates de la guerre des gauches qui a secoué le quinquennat de François Hollande et les dernières élections sont encore présents. Les socialistes restent plombés par un bilan social et moral catastrophique, tandis que Jean-Luc Mélenchon est accusé de vouloir régner sans partage sur les ruines d’un camp dont il renie le nom. « Le clivage droite-gauche renvoie à des catégories que l’on n’utilise plus trop », explique Manuel Bompard. « L’appel à voter Macron au second tour de l’élection face à Marine Le Pen, c’était une nécessité. Ne pas le faire, une faute morale », tranche Jean-François Debat, trésorier du PS et maire de Bourg-en-Bresse. Concernant l’avenir, il théorise : « La gauche a toujours eu deux jambes, une plus radicale et protestataire, et une autre plus apte à diriger. »
Certaines idées de gauche font cependant encore consensus. À l’image de l’écologie, prônée par la France insoumise, le nouveau parti de Benoît Hamon, Génération·s, ou les communistes (avec quelques réticences). Une pensée qui ne date pas d’hier, portée avant tout – et avant tous – par Europe Écologie-Les Verts, aujourd’hui disparu de l’Assemblée nationale. « L’écologie est un thème rassembleur au sein de la gauche. EELV ? Ils avaient sans doute raison avant tout le monde », sourit Manuel Bompard.
Pourtant, là encore, c’est le président de la République qui mène la danse. Après le désormais célèbre « Make our planet great again », lancé à l’intention d’un Donald Trump sortant les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, le gouvernement fait à présent fi de cette valeur. Son désintérêt pour la thématique est tel que, lors de ses derniers entretiens télévisés, Emmanuel Macron ne l’a pas évoquée. Glyphosate et autres pesticides ne sont pas près de disparaître des cultures.
« Front commun »
De l’« humanisme social et politique » dont se revendiquent les partis de la gauche, pas de trace non plus en macronie. Dernier épisode en date : la loi asile et immigration, portée par l’ancien socialiste Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur. Alors que la dureté du texte était critiquée jusque dans les rangs de la majorité, celle-ci a néanmoins massivement voté le texte. Un seul député, Jean-Michel Clément, ex-PS et farouche opposant au texte, a voté contre et s’est retiré du groupe LREM. « Gérard Collomb mène la même politique que Gilbert Collard ou Florian Philippot s’ils avaient été à son poste », juge sévèrement Benjamin Lucas, permanent de Génération·s.
Alors que les idées soulevées par la gauche lors de l’élection présidentielle avaient suscité des débats – l’hypothèse d’un revenu universel, pour n’en citer qu’une –, elles sont aujourd’hui retombées dans l’oubli. « Benoît Hamon ne correspond pas à la figure de l’homme providentiel de la Ve République, mais les idées qu’il a défendues lors de sa campagne sont en phase avec l’actualité », remarque Sandra Regol, porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts.
La faute, sans doute, à l’omnipotent président, mais aussi à la gauche elle-même, qui peine à se rassembler pour trouver un terrain d’entente. La politique très à droite menée depuis un an par le gouvernement Philippe favorise les sympathies et les rapprochements entre les sensibilités de gauche. Douze formations – dont Alternative libertaire, EELV, Ensemble, Génération·s, le NPA, Nouvelle Donne, le PCF et le groupe parlementaire de la France insoumise – ont d’ailleurs répondu présent à l’appel d’Olivier Besancenot à faire un « front commun » et à afficher un soutien sans réserve aux cheminots, durement touchés par le « pacte ferroviaire » et la réforme de la SNCF.
Cette alliance de circonstances permet de relancer un dialogue au sein de la gauche et pourrait faire émerger l’hypothèse de candidatures communes lors des prochaines élections, les européennes de 2019. « Nous ne sommes pas là pour théoriser le rassemblement », dément Manuel Bompard, estimant qu’« on ne fait pas d’alliance sur un plus petit dénominateur commun ». Comprendre : à moins de rallier la ligne du mouvement, il n’y a pas d’alliance possible avec la France insoumise.
Retour au terrain
Le groupe veut poursuivre sur la lancée de son score à la présidentielle et mise avant tout sur la réussite de son modèle mouvementiste. « La société a évolué et demande un engagement plus souple, dans des structures moins exigeantes, moins codifiées, moins structurées », estime Manuel Bompard. Ce modèle, à l’opposé du système de partis, tend à faire des petits. « Le partisanisme est un peu dépassé, il y a le besoin de redonner un souffle en proposant des structures plus horizontales, loin des vieux appareils sclérosés », confirme Benjamin Lucas, de Génération·s.
Exit baronnies et pontes cumulards, la gauche de l’an 1 retourne à sa culture locale. « L’exemple de Grenoble, avec l’élection d’Éric Piolle en 2014, est édifiant », confirme Sandra Regol (EELV), qui rappelle que cette candidature au poste de maire de la ville iséroise partait d’une initiative citoyenne. Une initiative directement inspirée de la méthode Alinsky, qui prône une auto-organisation à l’échelle locale et dont plusieurs partis de gauche – France insoumise en tête – s’inspirent pour rassembler. Un retour à la politique de terrain qu’effectuent tous les mouvements de gauche. À l’image de Génération·s. Si le mouvement politique du candidat malheureux du PS à l’élection présidentielle ne dispose pas de représentants élus sous sa bannière, il s’enorgueillit de compter déjà 53 000 membres, répartis en 600 comités locaux.
À défaut de peser sur le plan idéologique, la gauche compte bien mettre à profit cette souplesse et cette proximité retrouvée. Alors que la politique libérale d’Emmanuel Macron se durcit et que les foyers de la colère sociale se multiplient – étudiants, cheminots, retraités… –, les partis repartent en campagne et multiplient les soutiens aux mouvements. Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, s’est ainsi rendu le 19 avril à l’assemblée générale de l’université de Nanterre (Paris-X).
Après l’avoir mise au tapis, c’est finalement Emmanuel Macron qui remet la gauche en lumière, lui permettant même de s’unir sous une même bannière à l’occasion des manifestations. « Tant qu’il y aura des inégalités, la gauche trouvera sa raison d’être », théorise Benjamin Lucas. De ce point de vue-là, elle a encore de beaux jours devant elle.