« La solution à deux États est toujours techniquement possible »
Le président de l’université palestinienne Al-Quds, Arnan Bashir, veut toujours croire à une option pourtant rendue de plus en plus difficile par la colonisation.
dans l’hebdo N° 1501-1502 Acheter ce numéro
L’université qu’il dirige est au cœur de Jérusalem-Est, dans une petite rue sinueuse grouillante de vie, où les échoppes d’épices le disputent aux boutiques de bondieuseries. De son vaste bureau tout en arcades, on devine la coupole de la mosquée Al-Aqsa. Pour Arnan Bashir, la quarantaine, professeur de philosophie et de sciences politiques, les 70 ans de l’État d’Israël, c’est avant tout 70 ans de la Naqba (la « Catastrophe »).
Que ressentent les Palestiniens alors qu’Israël fête ses 70 ans d’existence ?
Arnan Bachir : Les sentiments sont confus. Ils sont fatigués. Ils veulent obtenir la totalité de leurs droits dans leur pays, alors qu’ils sont tenus pour des citoyens de seconde catégorie. Il n’y a actuellement aucune possibilité d’égalité des droits pour eux. Ils ont le sentiment de payer le prix fort, et injuste, d’une erreur des Européens. C’est un jour triste qui nous rappelle que nous avons perdu plus de la moitié de notre pays, surtout nos terres agricoles, auxquelles nous n’avons plus accès.
Personnellement, comment avez-vous été touché par la Naqba ?
La famille de ma mère – des commerçants – venait de Naplouse mais vivait depuis le début du XIXe siècle à Jérusalem. Avant 1948, tous leurs magasins, leurs biens, leurs marchandises étaient dans Jérusalem-Ouest. Ils n’y ont plus accès. Ils ont perdu 90 % de leur fortune et patrimoine, et on ne peut rien faire pour les récupérer. Pareil pour mon grand-père. La plupart des Palestiniens sont dans cette situation.
Les Palestiniens croient-ils encore en une solution à deux États ?
Ils ont encore cet espoir, et c’est techniquement toujours possible, mais ils ont le sentiment que la partie israélienne n’a plus cette volonté politique. Regardez ce qui se passe sur le terrain avec les nouvelles colonies chaque jour plus nombreuses. La situation est désespérée. À Jérusalem, il y a des soldats tous les dix mètres, ce n’est pas normal !
Quelles seraient les conditions pour bâtir ces deux États ?
Ce qui est important, c’est que les Palestiniens puissent être réellement libres, qu’ils puissent déterminer seuls leur destin et avoir le contrôle et la souveraineté de leur terre. Par ailleurs, ils doivent obtenir une compensation juste, un dédommagement sérieux pour tout ce qu’ils ont perdu. Pas la peine de puiser dans les réserves d’un seul État pour cela. La communauté internationale ou l’ONU peuvent se mettre d’accord. C’est fondamental et incontournable.
Arabes israéliens et Palestiniens ont-ils, selon vous, une opinion différente sur cette question ?
Non, je ne le pense pas.
Ne s’oriente-t-on pas vers une annexion à partir de laquelle les Palestiniens devront se battre pour la reconnaissance de leurs droits ?
Vu la politique actuelle d’Israël, j’opte en effet pour cette hypothèse. Avec une bataille très longue et très rude pour les droits.
Les Palestiniens ont-ils encore confiance dans le Fatah ?
Oui. Il n’y a aucune autre option constitutionnelle et démocratique pour les Palestiniens. Le Hamas est un parti théocratique. Malgré sa corruption endémique, le Fatah reste un parti laïque et libéral qui peut diriger la Palestine.
Mais peut-il encore discuter d’égal à égal avec le gouvernement israélien ?
Personne n’a jamais discuté d’égal à égal avec Israël.
Quels sont, selon vous, les obstacles majeurs à la paix et à une future solution durable ?
La seule chose qui bloque toute avancée, toute négociation, c’est l’absence de réelle volonté politique pour trouver une solution du côté israélien. Les faits le prouvent.
Les intellectuels des deux côtés peuvent-ils apporter une solution ?
Je ne le pense pas, car les intellectuels ne sont pas des personnes très pragmatiques. Trouver une solution à ce conflit qui s’embourbe est le travail des activistes et des politiques, lorsqu’ils sont créatifs et novateurs. Pour ma part, je rêve d’un État palestinien démocratique avec un accès libre aux lieux de culte historiques, où l’on pourrait aller et venir librement, où l’on aurait une égalité totale de droits et un accès à nos archives. Je ne me souviens pas d’une période de notre histoire récente, même sous mandat britannique, où les Palestiniens avaient aussi peu de droits civiques.
Arnan Bashir Président de l’Université d’études de Jérusalem.
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