La ZAD nourrit les luttes syndicales en pays nantais
L’appropriation collective d’un territoire par le mouvement social confère de nouveaux moyens qui permettent d’appuyer les luttes syndicales.
dans l’hebdo N° 1501-1502 Acheter ce numéro
Depuis l’été 2017, différentes composantes du mouvement social à Nantes (étudiantes, syndicales, autonomes, ZAD) se rencontrent régulièrement. Ces rencontres ont pour but de réfléchir en commun à l’organisation du mouvement social et d’apporter un soutien à chaque composante selon son actualité propre. Ce travail a permis, entre autres, la réalisation de gestes communs lors des manifestations de l’automne 2017. Si cette composition n’est pas sans difficultés – chaque composante doit accorder elle-même ses propres tendances en interne –, une partie des habitant·e·s de la ZAD ont été des éléments moteurs du rapprochement.
Un exemple récent de ce rapprochement est la création du réseau de ravitaillement nommé la Cagette des terres. Son objectif est de mettre en relation producteurs·trices/paysan·ne·s, militants, syndicalistes et cotisant·e·s, en vue de nourrir (au sens propre) les luttes, et en particulier les piquets grévistes. Ce projet est ouvert et intègre des personnes qui n’habitent pas la ZAD, mais ses chevilles ouvrières en sont les habitant·e·s. À l’automne 2017, lors des grèves des postières et postiers de Saint-Herblain et de Vertou, en banlieue nantaise, la Cagette a nourri les grévistes, tous les matins de la dernière semaine du mouvement, avec un petit-déjeuner – et quel petit-déjeuner ! Crêpes, galettes, pains, fromages, pâtés, fruits et légumes, confiture, miel, soupe, avec du thé et du café. À l’issue du conflit, tous les salarié·e·s en lutte se sont vu remettre une cagette (d’où le nom du réseau) de produits frais issus des productions de la ZAD. Aucune contrepartie ne leur a été demandée. Ce sont les habitant·e·s de la zone qui ont cotisé à la caisse de grève des salarié·e·s.
Ce soutien actif a certainement joué un rôle dans la capacité des grévistes à tenir une lutte aussi longue. Bien que certains aient été pro-aéroport ou aient craint le contact avec les personnes de la ZAD, du fait des fantasmes colportés par la presse, beaucoup ont gardé des liens forts avec les habitant·e·s de la ZAD et s’y rendent fréquemment. Dans certaines structures syndicales, c’est maintenant presque un réflexe de solliciter le soutien du « réseau de ravitaillement » lorsqu’une grève est prévue.
L’existence de la ZAD est sans doute une des raisons déterminantes de cette nouvelle vigueur de la lutte à Nantes et alentour. Une partie des habitant·e·s mettent leur temps, leur énergie et leurs moyens au service des luttes. Parce qu’ils sont organisé·e·s en communauté, ils dégagent de l’énergie en réduisant le temps lié aux tâches courantes et à la production ! Toutes les composantes de la ZAD ne sont pas engagées dans ce travail de composition, mais cette volonté de convergence est portée par suffisamment d’habitant·e·s pour permettre un soutien significatif aux luttes en cours. Cette convergence s’élargirait si le monde syndical manifestait davantage de soutien face aux opérations d’expulsion.
La cause de cet effet revigorant sur les luttes est à chercher dans les moyens nouveaux que confère l’appropriation collective d’un territoire par le mouvement social. Et c’est sans doute à tort que nous, syndicalistes, pensons souvent seulement en termes de mots d’ordre et d’activisme. Rappelons aux non-initié·e·s que la ZAD, c’est : plusieurs exploitations laitières, un atelier de réalisation de produits laitiers, deux boulangeries, des tracteurs, plusieurs ateliers, des hectares d’exploitation agricole, de nombreuses grandes serres, des cultures maraîchères et céréalières, une meunerie, un atelier bois et une équipe de bûcheronnage, bientôt une scierie, une production de viande avec sa transformation… À côté des infrastructures agricoles, nous trouvons une bibliothèque, un studio d’enregistrement, des salles de concert et de sport, un restaurant gastro et une radio !
Cet ensemble de moyens humains, matériels et agricoles ouvre des perspectives pour les luttes syndicales dans la région. Nous pourrions systématiser et multiplier le ravitaillement des luttes, réaliser des structures en vue d’accueillir des salarié·e·s en difficulté, exposés à des licenciements ou encore à la répression antisyndicale, penser des lieux ou des organisations qui permettront de dynamiser la vie syndicale. Ces projets sont du domaine du possible.
Ces perspectives sont intimement liées à l’avenir de la ZAD, à la possibilité que cette zone permette une organisation commune. C’est précisément cette gestion commune que souhaite anéantir la préfecture de Nantes. Les fiches de projet agricole individuel qu’elle réclame ne permettent que d’élaborer des « projets alternatifs individuels », et non un territoire géré en commun, avec la puissance qui en découle. Projets individuels qui se dirigeraient progressivement vers une production marchande, rentrant ainsi finalement dans le système…
Cet acharnement contre l’organisation collective d’un territoire rappelle celui que subissent les salarié·e·s de certains secteurs lorsqu’ils s’organisent collectivement. Il va aussi de pair avec celui du pouvoir quand il cherche à détruire tout ce qu’il reste de commun, de collectif : les services publics, l’éducation, la sécurité collective des statuts ou des contrats dans certaines entreprises, dont la SNCF. Les syndicalistes doivent faire le lien avec les attaques du pouvoir contre la ZAD, qui, comme ailleurs, visent à fragmenter la société en une série d’individus isolés, égoïstes, bref, manipulables…
La ZAD n’est pas seulement utile au mouvement syndical par les soutiens qu’elle lui apporte. Elle l’est aussi par l’exemple qu’elle donne d’une alternative possible au monde marchand. Sur la ZAD, le coût de production d’un pain de 1,5 kilo – vendu à prix libre –, aux qualités gustatives et nutritives excellentes, est de… 1 euro ! Toutes les étapes de sa production, depuis la culture des céréales (sans traitements) jusqu’à sa cuisson, sont effectuées sur la zone. Dans le circuit marchand, chaque intermédiaire ponctionne sa marge propre, et le même pain est vendu 10 fois plus cher environ. Un rapport de 1 à 10 entre une production marchande et une production qui échappe à cette logique, voilà la meilleure preuve du fameux « coût du capital » !
L’aéroport n’est plus aujourd’hui la question, le projet est enterré. La question est l’avenir de ces terres. Retourneront-elles à de gros exploitants pesant de tout leur poids dans la chambre d’agriculture ? Parviendrons-nous à préserver ce territoire qui tente d’échapper aux logiques marchandes et qui nous aide à penser le monde de demain, débarrassé du salariat et de son corollaire : l’accumulation infinie du capital avec ses conséquences dramatiques pour les salarié·e·s et la biodiversité ? C’est à chaque syndicaliste de reconsidérer la question, quelle qu’ait été sa position concernant l’aéroport.
Signataires
(ces signatures n’engagent pas les structures syndicales dont ils sont membres) :
Philippe Sabaa (CGT), Jean Brunacci (Solidaires), Chrystèle Savatier (CGT), Pascal Fremont (Sud-PTT 44/85), Emmanuelle Lefevre (CGT), Jacky Beaujeault (Sud-PTT 44/85), Tristan Leroy (CGT), Willy Wesnoker (Sud-Rail), François Leclerc (CGT), Marie Cussonneau (Sud-PTT 44/85), Cécile Goarant (CGT), Yves Le Lann (Solidaires), Emmanuelle Étienne (Sud-PTT 44/85), Sandra Cormier (CGT), Nara Cladera (Solidaires), Christine Brochard (CGT), Joël Aere (Sud-PTT 44/85), Muriel Wolfers (CGT), Thierry Gruget (Sud-PTT 44/85), Cécile Goarant (CGT), Stéphanie Lambert (Sud-PTT 44/85), Patrice Brillouet (Sud-PTT 44/85), David Chatelier (CGT), Bruno Dupuy (Sud-PTT 44/85), Émilie Debordes (CGT), Stéphane Blaize (Sud-PTT 44/85), Steve Potiron (Sud-PTT 44/85), Daniel Lahaye (Sud-PTT 44/85), Yann Douteau (CGT), Marie-Claire Morin (Sud-PTT 44/85), Christine Nuez (CGT).
En cas de reprise des expulsions, un appel à converger sur la ZAD, à l’adresse du monde syndical, sera publié sur zad.nadir.org. Pour en être informé, contactez-nous à syndicatzad@riseup.net
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