Le petit Macron illustré

Il existe une rhétorique macronienne, avec ses mots et ses expressions. Certains sont puisés dans le vocabulaire anglo-saxon très prisé des managers et des DRH à la base du team building de La République en marche, qui pensent start-up, process, business plan… Un sabir managérial qu’Emmanuel Macron distille avec aisance dans ses discours, que ce soit au salon VivaTech ou au Collège de France, autant par souci de s’afficher dans la « modernité » que pour imposer sa vision du monde, celle d’une technocratie financière, qui tranche avec celle de ses prédécesseurs.

Le Président ne dédaigne pas, en même temps, user d’expressions aussi fleuries que désuètes : ficher son billet, chicaya, galimatias, carabistouille (déjà prisé par Jean-Luc Mélenchon), croquignolesque… Mais le parler-vrai qu’il revendique – en ciblant essentiellement les salariés (les « illettrées » de GAD), les perdants de la mondialisation qui le prendraient pour « le père Noël » ou « foutent le bordel », les petites gens qui « ne sont rien » et tous ceux qui refusent ses réformes – dénote un mépris de classe qui ne fait que renforcer son image de président des riches.

Ces provocations contrastent avec l’autre face du style Macron, qui cherche plutôt à camoufler les conséquences de ses réformes sous un discours mystificateur et des paroles lénifiantes. D’où une propension à l’euphémisation que l’on retrouve notamment dans l’énoncé de la plupart des lois. L’habilitation du gouvernement à réformer le code du travail par ordonnances était ainsi présentée comme allant « développer le dialogue social ». On trouvera d’autres exemples de cette rhétorique pernicieuse dans les mots et expressions qui suivent. Cette liste non exhaustive constitue l’embryon d’un dictionnaire du macronisme.

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Adaptation : empruntée au registre biologique, cette injonction transposée à satiété dans le discours économique et social macronien rappelle que son libéralisme est un darwinisme social.

Ambianceurs : appellation des militants de la « Team ambiance », habillés de tee-shirts pastel et répondant aux consignes transmises par l’application Telegram (applaudissements, standing-ovation, « Macron président »…) lors des meetings de campagne d’E. Macron.

Autocar : moyen de transport de troisième classe. Cit. : « Avec la relance des autocars, les pauvres voyageront plus facilement », E. Macron, 15 octobre 2014.

Assumer : verbe préféré des membres du gouvernement pour, à chaque décision discutable et contestable, se donner un quitus ou un satisfecit, et une apparence d’autorité. Cit. : « Je sais que je demande des efforts aux plus âgés, que parfois certains râlent, […] mais je l’assume », E. Macron, Châlons-en-Champagne, 1^er mars 2018.

Bêtise : mot simple et familier, à connotation enfantine, souvent employé au pluriel par E. Macron pour (dis)qualifier l’assertion dérangeante d’un adversaire politique, ou simplement d’un de ses concitoyens, auquel il oppose immédiatement sérieux et vérité. Cit. : « Au nom du respect que j’ai pour ce Parlement, je ne peux vous laisser dire des bêtises et contre–vérités », E. Macron en réponse à l’écologiste belge Philippe Lamberts, Parlement européen, 17 avril 2018.

Bordel : vulgaire et en même temps populaire, ce mot peut qualifier une manifestation d’ouvriers licenciés quand on revendique d’appeler un chat un chat. Cit. : « Certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des postes là-bas, parce qu’il y en a qui ont les qualifications pour le faire, et ce n’est pas loin de chez eux… », E. Macron, aparté à Égletons, 4 octobre 2017.

Bottom-up : (anglicisme) se dit d’une démarche procédurale hiérarchiquement ascendante, qui va du bas vers le haut, analyse les détails ou les cas particuliers pour généraliser. Cit. : « Je crois dans l’autonomie et la souveraineté. La démocratie est le système le plus bottom-up de la terre », E. Macron, Collège de France, 29 mars 2018.

Concertation : figure du dialogue social qui remplace avantageusement la négociation sociale ; d’ailleurs, la plupart du temps, le gouvernement n’a rien à négocier, son plan étant déjà arrêté. Cit. : « Le principe de la concertation selon le gouvernement, c’est “vous m’écoutez et vous faites ce que je dis” », Philippe Martinez, BFM TV, 19 mars 2018. Variante : quand la concertation est élargie, on parle de « co-construction ». Exemple : sur la politique de la ville, le gouvernement a mis en avant une consultation de conseillers citoyens et un « hackathon » destiné à faire émerger les idées des habitants.

Cabri : ce petit caprin n’a rien perdu de son pouvoir moqueur quand il s’agit de ridiculiser des revendications qu’on ne veut pas satisfaire. Cit. : « Comme dirait le Général, on va pas sauter comme des cabris sur une chaise en disant “progrès social, progrès social” si on ne sait pas se le payer », E. Macron à une femme qui l’interpellait lors des commémorations du 11 Novembre.

Contrat avec la nation : appellation respectueuse du programme présidentiel d’E. Macron, dont il est hors de question de s’écarter puisque les Français l’ont approuvé (disent les Marcheurs). Cit. : « Les objectifs qui figurent dans le “contrat avec la nation” supposent que le Parlement légifère pendant deux ans à un rythme très soutenu », Amélie de Montchalin, Libération, 8 janvier.

Cordée : métaphore du lien qui lie les membres d’une même communauté, dont le sort dépend de celui qui les guide et les tire. La théorie du « premier de cordée » se substitue à celle dite du « ruissellement », dont elle conserve l’esprit. Cit. : « Je crois à la cordée, il y a des hommes et des femmes qui réussissent parce qu’ils ont des talents, je veux qu’on les célèbre […]. Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c’est toute la cordée qui dégringole », E. Macron, TF1, 15 octobre 2017.

Croquignolesque : « Ce qui est croquignolesque […], c’est que nous finançons le logement social, mais il augmente les loyers et nous finançons, de l’autre côté, les locataires les plus modestes par les APL. On dépense des deux côtés ! », E. Macron, TF1, 15 octobre 2017.

Déconstruction : euphémisme destiné à masquer la violence des destructions opérées par l’État. Exemple : À Notre-Dame-des-Landes, la gendarmerie s’est vantée de n’avoir procédé qu’à des « actions de déconstruction », comme un enfant avec ses Lego, quand les images diffusées par elle montraient la destruction d’habitats et de lieux de vie par des pelleteuses.

Désocialiser : synonyme chic du verbe « défiscaliser », en usage dans l’ancien monde. Cit. : « Emmanuel Macron, pendant sa campagne présidentielle, s’était engagé à “désocialiser” les heures supplémentaires. […] C’est prévu en 2020 », Édouard Philippe, Facebook live, 6 février 2018.

Disruption : mot pédant désignant un bouleversement, particulièrement dans le domaine économique, mais aussi, par extension, la victoire politique inattendue de La République en marche et de son candidat. Synonyme de « rupture », mot trop associé à Nicolas Sarkozy pour être conservé. Cit. : « Plusieurs grandes disruptions techno-logiques ont, ces dernières années, façonné le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, en particulier la disruption numérique », E. Macron, Collège de France, 29 mars 2018.

Efficace : qualité et critère essentiels de toute réforme en macronie, qui n’aura pas besoin d’autre justification que son efficacité supposée, promise par la technocratie et vantée par les ministres, quand bien même la réforme en question consisterait à réduire des effectifs dans un service public, à restreindre des droits ou à raboter la démocratie. Cit. : « Être efficace, c’est en finir avec le bavardage législatif », E. Macron, Révolution (XO éditions).

Éloignement : synonyme administratif d’expulsion, qu’il euphémise avantageusement. Cit. : « L’éloignement des étrangers en fin d’une peine d’emprisonnement doit être une priorité », Gérard Collomb, circulaire, 16 octobre 2017.

En même temps : locution symbole d’équilibre et de modération, bien utile pour dire une chose et son contraire dans la même phrase. Cit. : « Je veux qu’en même temps qu’on libère, on protège », E. Macron, TF1, 15 octobre 2017.

Fainéant : désigne les opposants aux réformes comme celle du code du travail. Cit. : « Je serai d’une détermination absolue et je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes », E. Macron, Athènes, 8 septembre 2017.

Feedback : (anglicisme) un des nombreux emprunts macronistes au monde managérial pour parler de ce qu’en français classique on appelle un retour d’expérience ou d’information.

Helpers : (anglicisme) appellation officielle des volontaires de La République en marche. Cit. : « Les helpers, si vous n’êtes pas staffés, vous êtes invités à vous joindre à nous », Team ambiance, 5 février 2017.

Héros : Figures méritantes, distinctes des premiers de cordée, auxquelles le peuple aime se raccrocher. Conseil : ne pas hésiter à en faire des tonnes. Cit. : « Johnny Hallyday fait partie de ces héros français, j’ai souvent dit qu’il fallait des héros pour qu’un pays soit grand », E. Macron, 6 décembre 2017.

Jalousie : triste réflexe français qui consiste à jalouser les riches. Cit. : « Je ne céderai pas au triste réflexe de la jalousie française. Parce que cette jalousie paralyse le pays », E. Macron, Der Spiegel, 14 octobre. « Moi, je ne crois pas à la jalousie française qui consiste à dire “il y a des gens qui réussissent, taxons-les, nous nous porterons mieux” », E. Macron, TF1, 15 octobre.

Libérer les énergies : expression très ancienne du nouveau monde, en usage pour masquer les conséquences ordinaires des déréglementations et libéralisations, la démolition des conquêtes sociales et l’extension du marché.

Optimisation : terme mélioratif à mettre en avant quand on annonce une réduction de dépenses ; à privilégier aussi en matière fiscale, là où les jaloux (voir « jalousie ») parlent d’évasion fiscale, afin de ne pas stigmatiser des premiers de cordée. Cit. : « E. Macron : Ce n’est pas de la fraude fiscale, ça s’appelle de l’optimisation fiscale. J.-J. Bourdin : Alors c’est de l’évasion fiscale. E. Macron : Si vous voulez… », BFMTV, Mediapart, 15 avril 2018.

Poudre de perlimpinpin : expression remise à la mode dans le débat d’entre-deux tours de la présidentielle, quand E. Macron lance à Marine Le Pen : « Ce que vous proposez, comme d’habitude, c’est de la poudre de perlimpinpin. »

Rien : se dit de gens qui n’ont pas réussi et/ou qui ne portent pas de costard. Cit. : « Une gare, c’est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien », E. Macron, inauguration de Station F, 29 juin 2017.

Sérieux : qualité qu’il est de bonne politique de s’attribuer et de refuser à ses contradicteurs (voir aussi « bêtise »). Cit. : « Vous n’êtes pas sérieux, Monsieur Plenel », E. Macron, 15 avril.

Start-up : anglicisme désignant les entreprises champignons disruptives, citées en exemple par les macroniens pour leur adaptation à l’ère numérique et leurs innovations (y compris contre le droit social). Par extension, certains, dont le chef de l’État, veulent transformer la France en une « start-up nation ». Cit. : « Nous allons promouvoir un État adapté au XXI^e siècle : numérique, innovant et inclusif. […] L’État doit devenir digital », E. Macron, salon VivaTech, 15 juin 2017.

Task force : nouvelle structure créée pour coordonner les services de renseignements, quand bien même un Coordinateur national du renseignement existait déjà. « Un organe de coordination, je l’ai appelé ‘task force’, capable d’agir 24 heures sur 24 contre Daesh. » E.Macron, 21 avril 2017. Sur la sécurité, « on pouvait attendre d’Emmanuel Macron qu’il assume son libéralisme politique, au sens anglo-saxon du terme. » Il n’en est rien, selon le magistrat Vincent Sizaire. La posture de l’ancien ministre de Hollande, gêné par le vocabulaire guerrier et les coups de menton de Valls, se voulait résolument « démocrate ». Las : « En matière de libertés, il est dans la continuité des politiques sécuritaires qui l’ont précédé. » Il manifesterait en réalité une grande faiblesse : « Comme les autres avant lui, il est de plus en plus entre les mains des lobbys réactionnaires, certains hauts cadres de la place Beauvau et tous les marchands de sécurité », estime l’auteur de Sortir de l’imposture sécuritaire (La Dispute, 2016). Vincent Sizaire constate même une aggravation de la doctrine d’ordre public depuis la loi du 30 octobre 2017, qui inscrit dans le droit commun l’essentiel des dispositions inscrites dans l’état d’urgence : « L’état d’urgence était en soi une loi très inquiétante, mais elle n’était que provisoire » (lire aussi pp. 20-21). « De fait, le ministre de l’Intérieur a un rôle délirant dans l’ordre pénal », et Gérard Collomb n’a fait qu’étendre son emprise. « Sa nomination signait à elle seule une politique », constate Vincent Sizaire. Qui conclut : « Macron ? Rien de neuf. » [P. A.]

Transformer : remplace « réformer » dans le nouveau monde. Cit. : « La France n’est pas un pays réformable. Beaucoup ont essayé et n’y ont pas réussi, parce que les Françaises et les Français détestent les réformes […]. Il faut [leur] expliquer où on va, il faut [leur] proposer de se transformer en profondeur […]. C’est ce niveau d’exigence et d’ambition que nous devons avoir si nous voulons transformer le pays », E. Macron, discours à la communauté française de Bucarest, 24 août 2017.